Confinement, déconfinement, école à la maison : en pleine construction, comment les ados vivent-ils la situation ?

Comme nous, ils ont découvert le confinement. La fermeture brusque de leur établissement scolaire, l’école à distance, la crainte du virus, les copains qu’on ne voit plus… Comment les adolescents traversent-ils cette période singulière ?

Société
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Ce quotidien perturbé depuis deux longs mois maintenant à cause du coronavirus, tous l’ont vécu à leur manière, avec leurs émotions et les besoins propres à leur âge.

En psychologie, l’adolescence est une étape importante dans le développement de l’individu, celle de la formation et de la consolidation identitaire. Avec un leitmotiv pour ceux qui sont en plein dedans : trouver des espaces qui échappent aux adultes. Pas tant pour s’opposer mais pour se construire, retrouver ses amis et s’affirmer en tant qu’individu. Pas toujours facile quand tout est bousculé d’un coup…

Pour Oscar, collégien grenoblois en sport études : "c’était un peu bizarre car c’était la première fois qu’on vivait ça. On ne prenait pas beaucoup l’air, on restait enfermés alors qu’avant on faisait beaucoup de sport. Je n’ai pas vraiment eu peur pour moi car à la maison on se tenait au courant tous les jours."

 

"Ça s’est plutôt bien passé"


Ce qui a le plus manqué à Emma, élève de 4ème dans la capitale des Alpes, c’est de pouvoir sortir et retrouver ses amis. "Quand je sortais avec ma mère, on passait en bas de chez les copines ou dans un parc pour les apercevoir. On échangeait beaucoup par téléphone, on savait que ça n’allait pas durer, alors ça allait, ça s’est plutôt bien passé."

Huit semaines plutôt bien vécues par les 2 adolescents.

C’est ce que constate aussi pour le moment, prudemment, Florence Rochet, chef de service de la Maison des Adolescents de l’Isère Rhodanienne. Ces structures, présentes dans chaque département, accueillent gratuitement les jeunes et leur entourage pour parler des petits ou gros soucis. Un lieu d’écoute, de conseil et de prise en charge si nécessaire. Fermées elles aussi au public, des permanences téléphoniques sont restées actives.

"Les 3 premières semaines de confinement ont été très calmes. Nous faisons l’hypothèse d’un effet de sidération générale face à la situation, la peur de cet inconnu pour tout le monde. Nous avons appelé individuellement tous les adolescents et les familles que nous suivons et ce sont surtout elles qui s’inquiétaient, sur la question scolaire notamment : le travail, les perspectives, le retour à l’école… Les adolescents, eux, nous disaient qu’ils s’adaptaient, qu’ils se sentaient en vacances."

Paradoxalement, c’est plutôt le déconfinement qui apparait comme source d’angoisse. A mesure qu’il approchait et se concrétisait, les appels se sont faits plus nombreux.

"On a senti que ça bougeait un peu plus ces 2 dernières semaines" ajoute Florence Rochet. "On perçoit maintenant une crainte sur le retour à la normale, mais sans vraiment être verbalisé, beaucoup encore une fois en ce qui concerne la scolarité. Et puis sur le fait aussi qu’on va se retrouver, mais pas de la même façon. Dans ces moments d’interrogations, les parents doivent se faire confiance et ne pas hésiter à dire à leurs enfants qu’ils n’ont pas les réponses à toutes leurs questions, mais que dans cet inconnu on peut continuer à avancer et s’adapter."

 

Avec le confinement, des écrans partout…


Télétravail, continuité pédagogique, télévision, réseaux sociaux… Une des conséquences du confinement et du retour à la normale progressif, c’est la multiplication des écrans dans nos foyers, et l’hyper sollicitation qui va avec.
 

"Beaucoup de parents ont été obligés et certains le sont encore de faire tout ce qu’ils reprochent à longueur de temps à leurs ados en matière de numérique : passer du temps devant les écrans", analyse Christine Cannard, psychologue spécialiste de l’adolescence et ingénieur de recherche à l'INSERM, "et certains doivent bien rire en ce moment." "Téléphone, tablette, visioconférence, c’est le moyen de substitution actuel pour rester en contact. Ça oblige les parents à relativiser, à lâcher prise mais aussi à rester très vigilants par rapport à l’usage qu’en font les plus jeunes : la façon de "manipuler" les réseaux sociaux, les forums, les innombrables vidéos qui circulent et arrivent jusqu’à eux. Le comportement le plus délétère, c’est le comportement passif, regarder et faire circuler. Il faut les aider à rester critiques devant toute cette sollicitation."

 

… et des habitudes qui se bousculent


"Ça été parfois difficile de les sortir des écrans" admet Cristelle, la maman d’Oscar qui, pour rester en lien depuis la maison, utilise réseaux sociaux et jeux vidéo pour discuter avec ses copains."Il a fallu rappeler que ça n’était pas les vacances, garder de la rigueur. Ça été compliqué au début. Je demandais à Oscar et son frère de me donner la date et l’heure qu’il était, ce qu’ils étaient censés faire à ce moment-là normalement, pour essayer de les ramener à la réalité. Garder le cap aussi au niveau exigence scolaire. Ne pas se dire qu’on allait prendre les choses moins au sérieux que d’habitude… "

Garder le cap, c’est aussi garder un cadre structurant pour l’adolescent. Situation exceptionnelle ou pas, pour Christine Cannard, "la vie en communauté doit s’envisager comme un contrat, avec un respect des horaires et un partage des activités. Sinon, il y a un risque d’enfants ultra connectés, même la nuit, qui ne décrochent pas ou sont capables de sauter des repas. Il faut conserver une certaine autorité. Autoriser des choses… c’est donc en interdire d’autres."

 

Un contrôle façon "Belle au Bois Dormant"


Pour la chercheuse, la traversée de cette période inédite dépend évidemment du tempérament de chaque adolescent et de son environnement. Elle pourra être associée à une contrainte par ceux qui n’en supportent pas en temps normal. Ou à la possibilité d’être tranquille chez soi, sans aucune contrainte justement.

"Il y a aussi ce que révèlent aujourd’hui les comportements du déconfinement. Ceux qui se voyaient seuls comme en prison, avec des contraintes en permanence, ce sont ceux qui se lâchent aujourd’hui, se font des bisous à tout-va ou vont fêter un anniversaire entre copains. Dans le cadre de mon activité j’ai constaté aussi que certains adolescents ont parfois été trop protégés, n’ont pas vu ce qui se passait dehors, les gestes importants à adopter. Il y a eu un contrôle abusif, façon "Belle au Bois Dormant", qui peut être anxiogène et générer ensuite la peur de ressortir car on n'a été exclu de la vraie vie. A l’inverse, dans d’autres familles qui ont continué de voir des amis, qui ont pris et laissé beaucoup plus de libertés, la contrainte de porter un masque à l’école ou de se laver les mains n’est pas comprise par leurs enfants. Des exemples de comportements qui au final créent chez les plus jeunes, soit de l’anxiété, soit de la bravade."

 

Le confinement, propice au partage et à l’inspiration


"Certains ont profité de ce temps pour faire plus des choses avec leurs enfants et ça c’est très positif. Des relations familiales redécouvertes, apaisées aussi par plus de temps et de sommeil", note encore Christine Cannard.

Pour Emma, 14 ans : "cette période ça a été de l’inspiration pour plein de choses." Pendant le confinement, mise au repos de téléphone quelques jours, la collégienne s’est "mise à dessiner et ça m’a inspirée, alors que je ne le faisais jamais avant. J’aime beaucoup, j’ai vraiment découvert ça et je vais continuer."

 

Et maintenant ?


Dernier conseil, dans l’optique d’un retour à l’école. Septembre c’est encore loin, mais il faudra bien préparer cette rentrée après ce qui ressemble déjà à de très longues vacances.

"Naturellement, 80% des adolescents se couchent tard. Si on laisse leur sommeil se décaler encore tous les jours du fait du manque de contraintes et de la surconsommation d’écrans, le retour à la normale promet d’être très difficile. Et ce décalage n’est pas bon pour la santé" insiste la psychologue, également spécialiste des troubles du sommeil de l’enfant et de l’adolescent.

Il faudra donc peut-être bientôt penser à remettre le réveil…


N.B.
Christine Cannard est psychologue clinicienne, Docteur en Psychologie de l'enfant et de l'adolescent, ingénieur de recherche INSERM au Laboratoire de psychologie et neurocognition de Grenoble. Elle est l’auteure de l’ouvrage : "Le développement de l'adolescent" aux éditions De Boeck Supérieur.

 
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