Le Ministère du travail a publié dimanche 3 mai son « protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés » face au coronavirus. Un document de vingt-et-une pages qui ne semblent contenter ni le Medef, ni la CGT du Puy-de-Dôme.
Il semblerait que patronat et syndicats de salariés aient trouvé un terrain d’entente : les mesures édictées par le gouvernement pour accompagner le déconfinement des entreprises sont loin de faire l'unanimité. « Le document fait vingt-et-une pages et il commence par " Lavez-vous les mains ". Merci, ça fait des mois qu’on nous le répète, on n’avait pas besoin de ça », ironise Claude Vincent, président du Medef du Puy-de-Dôme. « Encore une fois, on publie ça un dimanche, huit jours avant le déconfinement. Comment voulez-vous que les instances du personnel soient consultées et apportent une expertise dans ce délai ? », interroge Ghislain Dugourd, secrétaire général de la CGT du Puy-de-Dôme.
Le bon sens fait droit
Si le document énerve, c’est que son utilité ne saute pas aux yeux des principaux concernés. Le protocole préconise par exemple dans ses grandes lignes d’aérer régulièrement les pièces fermées, de désinfecter les surfaces ou de rester chez soi en cas de symptômes de Covid-19. « Ça fait deux mois que les chefs d’entreprises réfléchissent à comment faire. C’est un catalogue de mesures qui ne sont pas inintelligentes mais qu’on avait anticipées. Le bon sens a fait droit dans les entreprises », explique le patron des patrons du Puy-de-Dôme.Le fait de coucher ces principes sur le papier ferait planer un risque de sanction sur les employeurs selon le Medef. « Pour moi ces règles ne servent qu’à pouvoir nous gronder, confie Claude Vincent. Ce qui est grave c’est que demain on va rouvrir et que l’inspection du travail va venir nous tomber dessus si deux employés sont à moins d’un mètre ». Le respect de la distanciation sociale préoccupe les chefs d’entreprises. Elle semble difficile à mettre en œuvre partout et tout le temps. « Si vous voulez expliquer quelque chose et montrer un schéma, vous ne serez pas à un mètre » prend en exemple le président du Medef.
Le secrétaire général de la CGT du Puy-de-Dôme partage les mêmes doutes sur la pertinence des mesures. « Elles sont sous le bon sens scientifique mais chaque entreprise aura des spécificités. Est-ce qu’elles sont applicables partout, je ne sais pas ». Le syndicaliste dénonce une certaine précipitation de la part du gouvernement.
Difficultés de mises en œuvre
Au-delà de la pertinence des règles que chacun pourra juger, le monde de l’entreprise se heurte donc à la difficulté de leur respect. En cas d’impossibilité de distanciation sociale, le port du masque est recommandé. « On sait qu’on n’est pas en capacité d’avoir les stocks nécessaires, s’inquiète le représentant CGT. La priorité c’est la santé. Si reprise il y a il faut qu’elle se fasse avec des garanties ».Le retour en entreprise s’annonce a minima. D’abord, le télétravail reste la norme à moins d’être impossible. Mais en dehors, tout le monde ne pourra pas retrouver son poste. La gestion des flux d’employés, la distanciation sociale (encore elle), va imposer dans de nombreuses structures la réduction des effectifs. « Les concessionnaires vont redémarrer avec 50% du personnel, illustre Claude Vincent du Medef. Pendant quelques semaines on va être en mode dégradé partout. J’espère qu’on sera à 100% en septembre ».
Le protocole préconise aussi des aménagements d’horaires pour éviter que des salariés ne se croisent. Dans les faits, il faudra composer avec la disponibilité de chacun. « Les employeurs savent faire. Démarrer un atelier à 8h au lieu de 10h, c’est facile. C’est plus compliqué pour le salarié dans son quotidien s’il doit déposer ses enfants à l’école le matin et les récupérer à 17h » anticipe le chef d’entreprise. Pour la CGT, il existe aussi un risque de mal-être. « Tout ça fait qu’on aura une autre organisation du travail. Ce sera un calvaire pour les gens qui seront isolés, sans lien social ».
De nouvelles charges
Les mesures pourront coûter chères à certaines entreprises. Entre les masques à fournir, les protections en plexiglas à installer, les employeurs vont faire face à de nouvelles charges. Le protocole recommande aussi un nettoyage plus strict des locaux. « Normalement quand on intervient en entreprise, on intervient par rotation. On ne fait pas tout tous les jours » explique Gilles Calmels, gérant de Miermont propreté à Aurillac dans le Cantal. Les passages chez les clients sont quotidiens dorénavant pour tout assainir.« Jusque-là on ne nous demandait pas de désinfecter les sols ». La donne a changé. Interrupteurs, poignées de portes, radiateurs, les surfaces régulièrement touchées sont systématiquement traitées avec un virucide. Ces prestations plus fréquentes ont forcément un coût. Peut-être même un peu plus élevé qu’en temps normal. « On utilise parfois des produits plus chers que ceux habituels parce qu’ils ne sont pas toujours disponibles. Soit parce que les usines ont été mises en pause soit parce qu’il y a une forte demande », détaille Gilles Calmels.
Recul social
Le monde de l’entreprise est chamboulé. Tous ces aménagements en urgence et ces nouvelles règles inquiètent la CGT qui redoute un recul des acquis sociaux. « La crainte c’est que les changements de temps de travail par exemple deviennent la norme » explique Ghislain Dugourd. La pose forcée de congés payés aux salariés et le recours au chômage partiel a du mal à passer également. « L’effort national n’est pas partout pareil. La question de la redistribution des richesses se pose quand on voit que de grandes entreprises continuent à verser des dividendes à leurs actionnaires » souligne le secrétaire général du Puy-de-Dôme.L’écart risque de se creuser avec une reprise économique plus qu’incertaine. « Chez les très gros, il va y avoir un peu de dégât mais c’est surtout dans les petites entreprises qu’il y aura de la casse, prédit le président du Medef 63. Il va y avoir des licenciements ».