Coronavirus : en Italie, les écoles toujours fermées, "est-ce que cela vaut de sacrifier les générations à venir" ?

Les italiens ont "mal à leur école » ! Alors que tous les secteurs ont peu à peu repris une activité normale, aucune école, ni aucune université n’a encore rouvert ses portes depuis le 21 février dernier. Les parents sont à bout...

A l’heure, où la plupart des écoliers des pays de l’Union Européenne sont de retour en classe pour les ultimes leçons au tableau noir d’une année scolaire jamais vue jusqu’alors, les petits italiens resteront chez eux… Jusqu’à quand ? Même leurs parents et leurs professeurs n’en ont encore aucune idée.

Samedi 20 juin était un grand jour pour toute l’Italie : le championnat de « Calcio » (football) reprenait son cours, presque normal, (mais privé de public !) dans tous les stades de la péninsule. Preuve que les italiens se sont définitivement réappropriés tous les lieux clefs de leur vie d’avant Covid ? Eh bien, détrompez-vous. Aucune ville n’a été autorisée à retrouver l’usage normal de son école.

« En avril, quand chez vous Macron se préoccupait déjà, dans ses discours, des dommages causés aux enfants privés d’école par le confinement et [qu'il souhaitait] rouvrir les écoles dès que possible, ici, notre président du Conseil lui, n’avait aucune considération pour la difficulté dans laquelle la crise du Covid mettait nos enfants et leurs parents, explique Costanza Margiotta, professeure d’Université à Padoue en Vénétie. Lui, un professeur d’Université pourtant ! Dans son plan de relance, quasiment aucune ressource extraordinaire n’a été affectée à l’école, contrairement à presque tous les autres secteurs d’activité ! »

Alors, avec plusieurs collègues, et parents de sa région de Florence, Costanza tire la sonnette d’alarme en envoyant une lettre ouverte, accompagné d’une pétition signée par 5000 personnes, à Giuseppe Conte. Leur objectif : obtenir au moins, une date de réouverture des écoles, et de préférence en mai. « Mais on a obtenu de réponses ni à cette question-là, ni sur les autres », conclut-elle avec déception.

« Notre système éducatif n’a rien de comparable avec celui de la France », appuie, là où ça fait mal, le professeur de droit civil des Universités de Turin et de Berkeley en Californie Ugo Mattei : cela fait déjà longtemps que les différents gouvernements qui se sont succédés depuis au moins 30 ans, ont habitué le monde de l’éducation à être abandonné. »
 

 Une école sacrifiée sur l’autel des économies

L’éducation, secteur oublié chez nos voisins transalpins ? Les enseignants en colère de l’après Covid ont, en effet, quelques raisons de le penser. Car certains chiffres sont têtus ! D’après l’OSCE (organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), l’Italie consacre seulement 3,6% de son Produit intérieur brut (PIB) à son système éducatif, quand elle se situe à 5% de moyenne dans les autres pays de l’Union Européenne. Entre 2008 et 2012, insistent les statistiques de la Commission Européenne, le budget consacré aux écoles et aux universités italiennes a été amputé de 10 milliards d’euros… pas moins !

Le résultat ? Les enseignants ne sont pas les seuls à le voir. Chaque année, élèves et parents du nord comme du sud de la péninsule voient des salles de classes, des écoles fermées parce qu’elles sont mal entretenues, mal chauffées en hiver. 49% des établissements scolaires du pays seulement seraient ainsi aux normes de sécurité, d’après les chiffres du ministère de l’éducation.

Quant au personnel, enseignant ou pas, il est largement précarisé. 30% des travailleurs de l’enseignement public n’ont pas de CDI (la proportion s'établit entre 15 et 20% en France).

« L’important pour les gouvernements italiens, c’est Milano Expo, (la requalification du  quartier de l’exposition universelle de Milan en 2015) ou la compagnie aérienne Alitalia à laquelle le décret de relance économique du gouvernement consacre 3 milliards d’euros… mais pas l’école qui ne bénéficiera que d’un peu plus d’un milliard », compare Ilaria Bartolozzi, l’attachée de presse milanaise du comité « Priorità Scuola » (priorité à l’école), la structure nationale créée suite à l’absence de réponse du gouvernement à la pétition du mois d’avril des professeurs et parents florentin.

« Et encore, ajoute dubbitatif, le professeur Mattei, cette somme risque, comme la plupart des fonds européens alloués à notre système éducatif, d’aller dans les investissements technologiques, l’extension des réseaux wi-fi par exemple, pour favoriser le télé enseignement ».
 

Trop de vacances… tuent les vacances !!

C’est que le mouvement en faveur d’un retour à l’école des élèves a rapidement pris de l’ampleur dans la péninsule.

« Les familles italiennes, déjà mises à genoux par les licenciements, les mesures de chômage partiel, et les incertitudes sur l’emploi, ont dû trouver des solutions pour faire garder leurs enfants encore plus tôt que d’habitude, poursuit Ilaria. Dans une année ordinaire, les parents savent que dès le début juin, leurs enfants seront en vacances d’été jusqu’à la mi-septembre environ selon les régions. Mais cette année, c’est dès le déconfinement, commencé début mai par notre gouvernement, qu’il a fallu trouver des solutions. »

« Nous, les Mamans italiennes, nous sommes vraiment très, très en colère, poursuit Francesca Fiore, auteur du blog très suivi sur le net Mammadimerda. Déjà que pendant 3 mois et demi, il a fallu mener de front vie professionnelle, devoirs des enfants et tâches ménagères, ce qui n’est pas facile, mais en plus, en laissant les écoles fermées en mai, le gouvernement nous a empêché de retravailler…Moi, par exemple, j’ai été obligé de démissionner de mon boulot…et je suis loin d’être la seule » !!

Travaillant dans le secteur du tourisme, Francesca, son mari et ses deux filles de 7 et 9 ans, savent maintenant qui gardera le « ragazze » cet été. Mais beaucoup de couples italiens se posent encore la question.

« En Italie, l’aide entre membres de la même famille a toujours servi à compenser les carences de l’Etat providence, » explique Ugo Mattei, le professeur turinois lui aussi engagé dans le mouvement « priorità scuola » sous la bannière de son Comité pour la défense des biens publics communs. « Pour ceux qui ne peuvent pas compter sur l’aide de la famille, des parents ou grands-parents pour garder les enfants l’été, il y a ce que l’on appelle les centres d’été. Le gouvernement a permis exceptionnellement à des structures privées de s’installer dans les écoles fermées aux enseignants. C’est ainsi qu’il peut promettre de multiplier le nombre de centre par trois. Mais comme il faut embaucher aussi beaucoup de personnel à cette occasion, les prix payés par les familles aussi vont être multipliés par trois… Et seules les familles aisées pourront offrir un centre d’été à leurs enfants ! »,  conclut Ugo Mattei.

« Et ne me parlez pas davantage des fameux « bonus baby sitter », « congés Covid » ou de l’aide spéciale centre d’été, vantées par le gouvernement, prolonge Francesca, la « Mamma » en colère. Ici, vous ne pouvez pas compter sur l’Etat ! Pour obtenir une aide, les critères requis sont tellement restrictifs, que l’on vous fait remplir des pages de demande sur le site de l’INPS (l’Institut italien de prévoyance sociale), pour au final vous dire que vous n’avez droit à rien. Et encore, lorsque le site est accessible ! ».
 

 Sur le pavé de l’après-Covid : Parents, enseignants et enfants ! 


 Devant l’incapacité du gouvernement à envisager et encore plus d'organiser le retour à l’école de leurs enfants, c’est une présence massive qui était annoncée dans quelques 60 villes de la péninsule jeudi 25 juin.

Deux mois presque jour pour jour après une première manifestation organisée dans 19 villes le 23 mai dernier, le président Conte devait voir grossir dans les rues les effectifs de cette Italie qui a mal à son école. Cette Italie qui souffre depuis bien des années de la voir sacrifiée sur l’autel du désendettement de l’Etat. "Nos gouvernements ne s’imaginent pas à quel point le rôle de l’instruction est central dans la société. Laisser les écoles fermées, cela coûte moins cher aux finances publiques c’est vrai, motive le professeur Ugo Mattei. Mais est-ce que cela vaut de sacrifier les générations à venir ? De laisser nos étudiants s’enfoncer dans la dépression parfois devant leurs cours à distance ? De sacrifier le travail des femmes, qui bien souvent quittent leur travail pour garder les enfants, car elles ont un salaire plus bas que leur conjoint ? Et puis, que veut-on nous cacher en privilégiant la désocialisation des gens en mettant de plus en plus un ordinateur ou un robot entre eux ? Les maxi-profits et le lobbying des géants du digital ?" conclut-il.

« Je ne sais même pas si on verra rouvrir les écoles en septembre, craint Costanza, la coordinatrice pour l’Italie des manifestations « Priorità Scuola ». Le gouvernement ne sait même pas comment il va s’y prendre pour adapter l’école aux normes sanitaires imposées par le Covid. Avec un peu de chance, en septembre on en sera encore à tester le système de retour en classes que vous expérimentez vous, en France, depuis cette semaine » !

En France, on appellerait cela de l’autoflagellation… en Italie, de l’« antitalianismo » !
 
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