Plus de 2 000 professionnels des Alpes françaises et italiennes ont répondu à un questionnaire sur leur métier et leur avenir. L'objectif : définir les enjeux des métiers de la montagne à l'heure du réchauffement climatique et, à terme, trouver de nouvelles perspectives pour ces professions.
En bonne experte, Martine Chaligné et son équipe de l'AFRAT (Association pour la Formation aux Métiers du Tourisme Rural) d'Autrans (Isère) ont commencé, dès l'an dernier, à envoyer un questionnaire aux professionnels de la montagne de la région Auvergne-Rhône-Alpes. L'objectif de ce jeu de questions-réponses : évaluer les conséquences du réchauffement climatique sur les métiers de la montagne : "La transition ne sera pas que technologique. Elle doit être humaine. Il faut donc revoir les manières de fonctionner des hommes qui travaillent en montagne", explique Martine Chaligné.
"On a commencé, avant la pandémie de Covid-19, à essayer d'évaluer l'impact du réchauffement climatique sur les métiers de la montagne", indique la directrice du centre de formation continue. "On a choisi d'interroger les socio-professionnels pour savoir comment leurs pratiques quotidiennes évoluaient."
Des changements d'habitude
Pour les moniteurs de ski, ou les gardiens de refuge, l'étude a révélé des changements strictement liés au climat, avec les saisons qui se décalent dans le temps par exemple. Mais pour d'autres professionnels, tels que les hôteliers ou les restaurateurs, c'est davantage une évolution socio-économique de leur clientèle qui se dessine.
Pour nombre d'habitants des gros centres urbains frappés par la canicule, la montagne prend des aspects de refuge climatique... Pour les loisirs mais aussi pour télétravailler par exemple. Ce sont de nouveaux flux de population qui peuvent apporter un regain d'activité, mais aussi, déstabiliser certains milieux naturels protégés, selon Martine Chaligné.
Un questionnaire transalpin
Né dans le Vercors, c'est beaucoup plus loin de ses bases que le questionnaire a trouvé une seconde vie. Juste de l'autre côté du Mont Blanc, dans le val Ferret. Les scientifiques de la fondation "Montagna Sicura" y ont relayé l'initiative auprès de leurs professionnels. L'association franco-italienne aura collecté, au final, les réponses de 2000 socio-professionnels sur les deux pays.
Un bon moyen pour tenter de "digérer" un été passé au chevet d'une montagne italienne en souffrance extrême. A commencer, dès le 3 juillet dernier par les 11 morts de l'effondrement du glacier de la Marmolada dans les Dolomites. Une catastrophe directement liée à la canicule et qui devait donner le ton d'un été 2022 à nulle autre pareil.
L'urgence du changement climatique
"Avec la médiatisation extrême, et même outrancière souvent faite autour de ce drame, nul n'ignore plus en Italie désormais que le changement climatique, ce n'est pas demain mais dès aujourd'hui", explique Jean-Pierre Fosson, le directeur de la "Fondazione Montagna Sicura" de Courmayeur. "Une mauvaise blague a même fait dire à certains scientifiques que cet été 2022 serait certainement le plus froid... des 30 prochaines années."
Une façon de dédramatiser un récent quotidien estival chamboulé par la canicule dans les montagnes valdôtaines : les guides de montagne ont été privés, en pleine saison, d'accès aux voies italiennes au Mont Blanc. Idem pour le Cervin, victime d'éboulement, fermé dès le début août aux alpinistes. Sans parler des torrents de boue et de roches qui ont paralysé l'activité de plusieurs vallées de la petite région alpine francophone.
"Chez nous, la souffrance de la montagne cet été, est apparue aux yeux de tous", confie Ezio Marlier. Le président des guides de la vallée d'Aoste qui s'est impliqué personnellement pour que ses collègues répondent au questionnaire.
"J'ai été moi-même surpris du grand nombre de questionnaires remplis cet été par les guides, accompagnateurs de montagne et moniteurs de skis valdôtains", explique encore Jean-Pierre Fosson. "Les premières impressions que l'on en a tiré, c'est avant tout que nos professionnels ont désormais une idée très claire de ce que signifie le réchauffement climatique."
Jean-Pierre Fosson poursuit : "Ils sont prêts à s'y adapter. Ils sont demandeurs d'une approche internationale et transfrontalière des formations à mettre en place pour les accompagner. Parce que, des deux côtés du Mont Blanc, on a en commun une clientèle mondiale, et que le réchauffement climatique ne connaît évidemment pas de frontières."
Des formations d'accompagnement au réchauffement à inventer
Les premiers enseignements sont donc là. Pour en savoir davantage, il faudra attendre le Festival international des métiers de la montagne. Entre le 23 et le 26 novembre, la 28e édition de la manifestation chambérienne sera justement consacrée à "la montagne en transition". L'occasion de faire état des conclusions de l'enquête franco-italienne.
"Pour l'heure, on a encore peu de formations qui s'occupent du réchauffement", avoue Martine Chaligné : "Je pense que l'heure est venue de considérer la montagne comme un laboratoire, un centre de ressources sur de nouvelles façons de travailler."