Edgard Pisani, décédé lundi soir à l'âge de 97 ans, a été une figure marquante de la Ve République, ministre sous les présidences de Gaulle et Mitterrand. À seulement 28 ans, il avait été nommé préfet de Haute-Loire.
Grand spécialiste des questions agricoles et européennes, expert écouté sur le tiers-monde et les collectivités locales, il était aussi connu pour avoir été délégué du gouvernement socialiste en Nouvelle-Calédonie, secouée dans les années 80 par la revendication indépendantiste.
Portant barbe et lunettes, ce géant d'1m92 était un as de la négociation, au caractère indépendant et à l'esprit inventif. L'ancien président Valéry Giscard d'Estaing n'hésitait pas à l'appeler "mon cher Sully", en référence au très astucieux surintendant des Finances d'Henri IV.
S'il lui arrivait de revendiquer le droit à l'utopie, il assurait toutefois pratiquer dans ses fonctions "l'art du possible". Chaleureux, il avait le goût du terrain et de la palabre mais, provocateur et très conscient de ses éminentes qualités intellectuelles, il ne passait pas pour un fin stratège politique.
En 1980, ce proche de Michel Rocard, qui se définissait comme un "révolté non révolutionnaire", avait dit qu'en cas de victoire de M. Mitterrand en 1981, il irait "pêcher à la ligne".
Bizarrement, le futur président, qui ne l'aimait guère, ne lui en tint finalement pas trop rigueur. "J'ai toujours été solitaire et sans calcul", disait M. Pisani, se qualifiant d'"inclassable".
Né le 9 octobre 1918 à Tunis, il y a passé sa jeunesse, dans une famille d'origine maltaise. Licencié ès lettres, Edgard Pisani est un résistant actif. Son rôle dans la libération de la préfecture de Paris lui vaudra d'être distingué par le Conseil National de la Résistance. Michel Piccoli a tenu son rôle dans le célèbre film de René Clément "Paris brûle-t-il ?"
En août 1944, un peu par hasard, selon lui, dans l'effervescence de ces journées historiques, il devient chef de cabinet du préfet de police. Il commence une carrière dans la préfectorale. Il en est le benjamin lorsqu'il est nommé préfet, à 28 ans, de la Haute-Loire. Il l'est ensuite de la Haute-Marne. Il en est sénateur de 1954 à 1961 (Gauche démocratique), puis de 1974 à 1981 sous l'étiquette PS, auquel il a adhéré en 1975.
A vouloir forcer la terre, nous prenons le risque de la voir se dérober
Ministre de l'Agriculture de 1961 à 1965, il contribue à rénover l'agriculture française avec la loi portant son nom, lançant une restructuration complète des exploitations, des productions et des marchés agricoles. Il est également l'initiateur de l'Office de la forêt.
Il joue également un rôle de premier plan dans les discussions aboutissant à l'Europe agricole, ce qui lui vaut le surnom de "champion de l'Europe verte". Dans son livre "Un vieil homme et la terre" (2004), il écrit: "J'ai été productiviste... hier. Ce qui se passe, aujourd'hui, m'inspire plus d'inquiétude que d'espoir. A vouloir forcer la terre, nous prenons le risque de la voir se dérober".
Devenu ministre de l'Equipement en 1966, il démissionne avec éclat du gouvernement Pompidou en avril 1967, pour protester contre la procédure des ordonnances. En mai 1968, M. Pisani juge sévèrement le pouvoir et vote la censure. Il rompt avec la majorité gaulliste, renonce à son mandat de député du Maine-et-Loire et n'est pas réélu aux législatives de juin.
M. Pisani met alors à profit sa "traversée du désert" pour réfléchir, étudier et écrire. L'auteur de "Utopie foncière" (1977) et "Socialiste de raison" (1978) devient vite un des experts du PS.
Il est élu en 1979 député européen (liste PS-MRG). Deux ans plus tard, le gouvernement Mauroy le nomme Commissaire européen chargé du développement.
Délégué du gouvernement en Nouvelle-Calédonie, une mission de cinq mois semée d'embuches, il est déchargé sur le terrain du dossier mais devient néanmoins en 1985 ministre chargé de ce territoire où la tension était toujours vive. Chargé de mission à l'Elysée, il est ensuite, de 1988 à 1995, président de l'Institut du monde arabe, passant pour être l'homme des tractations secrètes avec le monde arabe.
Marié deux fois, il était père de cinq enfants, dont l'économiste Jean Pisani-Ferry.