Le 27 juillet 1944, l’hôpital du maquis du Vercors, alors replié sous le porche d’une grotte, est découvert par des soldats allemands. Les blessés sont achevés, les médecins emmenés à Grenoble puis fusillés, et les infirmières, déportées au camp de concentration de Ravensbrück. Un massacre, symbole de la répression allemande dans le Vercors.
Il y a des lieux qui ne nous laissent pas indifférents. Celui de la grotte de la Luire est de ceux-là. Au milieu de la forêt, la cavité se situe à quelques centaines de mètres de la route. Un petit sentier y mène aujourd’hui. Nous y croisons quelques collégiens probablement venus visiter l’un des nombreux lieux de mémoire du Vercors. En haut du chemin, le porche majestueux se dévoile. Pourtant, ce n’est pas la beauté du site que l’on vient admirer, mais son atmosphère chargée d’histoire et de résistance. Alors on ferme les yeux et on se remémore le témoignage de Maud Romana, infirmière pour le maquis du Vercors. "Le jour de l’arrestation, vers 17 heures, on a entendu une rafale de mitraillettes qui se rapprochait. Puis tout d’un coup, on a vu apparaître une vingtaine d’uniformes verts avec des armes braquées sur nous. Ils ont tiré un petit peu partout dans la grotte, et ensuite, ils se sont avancés et c’est à ce moment-là que nos blessés allemands d’origine polonaise ont crié : ne tirez pas camarade !”
"Je suis restée avec eux jusqu’au dernier moment”
Le 27 juillet 1944, l’armée allemande découvre que l’hôpital du maquis du Vercors s’est replié à l’entrée de la grotte de la Luire. À même le sol, au milieu des cailloux, des malades sont sur des brancards. Il y a une trentaine de résistants blessés aux combats et des soldats allemands d’origine polonaise. Autour d’eux, sept infirmières, les docteurs Fischer et Ullmann et le père Yves Moreau de Montcheuil. Dix-huit blessés sont achevés sur place. Les autres seront exécutés plus tard, tout comme les médecins et le prêtre. Les infirmières, elles, sont déportées dans le camp de concentration de Ravensbrück. Odette Malossanne, 25 ans le jour de son arrestation à la Luire, n’en reviendra jamais. Rosine Crémieux, 20 ans, Cécile Goldet 43 ans, France Pinhas, 27 ans, Maud Romana, 24 ans, Suzanne Siveton, 21 ans, et Anita Winter, 26 ans, ont survécu.
Cinquante ans plus tard, en 1994, dans un documentaire, les seules survivantes du massacre de la Luire ont témoigné. "Les blessés qui étaient sur les brancards étaient assez émus sur le moment de voir toute l’équipe s’en aller, explique Anita Winter, des sanglots dans la voix. Et je me suis rendu compte d’un certain désarroi qu’ils avaient à rester seuls. Et je me suis avancée vers le docteur Fischer… Et je lui ai demandé de proposer aux Allemands que je reste. Et donc je suis restée avec eux, jusqu’au dernier moment". Aujourd’hui, dans la grotte, des plaques nous rappellent l’horreur du massacre.
L’une d’elles intime au visiteur de se recueillir : “Cet endroit est sacré, passant, recueille dans le silence”. Et dans ce silence, on imagine les voix résonner contre les parois. “Nous étions tous enfermés dans la même grotte", se souvient Rosine Crémieux,"les conversations du [docteur] Hullmann, du [docteur] Fischer et du père Montcheuil sont restées très présentes pour moi. Ils parlaient de la lutte. Des fortes chances de mourir".
Dans un livre intitulé, la Traîne-sauvage, Rosine Crémieux a consigné ses souvenirs d’infirmière et de déportée à Ravensbrück. Un récit riche, sous la forme d’un dialogue avec Pierre Sullivan.
Un hôpital organisé et structuré
Pour comprendre ce que nous raconte aujourd’hui le massacre de la grotte de la Luire, Pierre-Louis Fillet, directeur du musée de la résistance de Vassieux-en-Vercors, nous a accompagné sur le site. “Cet épisode témoigne d’abord de l’euphorie qui règne dans le Vercors à partir du 6 juin 1944. Il y a une forte mobilisation de résistants en faveur du Vercors. Et à partir du 9 juin 1944, la Résistance maîtrise complètement le massif. Il est verrouillé. Et début juillet, il y a environ 4 000 hommes en permanence. C’est un moment euphorique, la résistance évolue au grand jour, on restaure la République. Et dans ce contexte, il faut aussi pouvoir mettre en place un service médical pour soigner les blessés. D’où la création de l’hôpital du maquis du Vercors, qui s’installe à Saint-Martin".
L’hôpital est créé début juin dans le village de Saint-Martin-en-Vercors. Il existe des archives vidéo de la structure. Elles ont été tournées par Félix Forestier, caméraman envoyé depuis Paris par le comité de libération du cinéma français. On y voit une ambulance arriver et des hommes décharger un blessé. Il est emmené dans ce qui semble être l’école du village. Dans la pièce, on aperçoit une dizaine de lits, tous occupés. On y voit également Odette Malossanne, l’une des infirmières de l’hôpital et le docteur Fischer médecin d’origine roumaine. "Ils sont très structurés. Ils ont des médecins et une équipe d’infirmières pour gérer l'hôpital. Il y a une partie du matériel qui provient de l’hôpital de Grenoble. Il y a des médicaments, des bandages, on opère dans l’hôpital du maquis. C'est vraiment très structuré, à l’image de ce qu’est le maquis du Vercors à cette période-là. Avec des responsables civils et militaires qui gèrent le ravitaillement, tout ce qu’il y a à gérer pour encadrer 4 000 hommes présents en permanence au mois de juillet 1944".
La Luire, symbole de la violence de la répression allemande
Dans la nuit du 21 au 22 juillet 1944, l’hôpital doit déménager face aux incursions allemandes dans le massif. Installée brièvement à Die dans un premier temps, l’équipe médicale finit par emmener les blessés à la Luire, jugée plus sûre. "À partir du 21 juillet 1944, c’est la plus importante opération de représailles contre un maquis en Europe occidentale. Les Allemands pratiquent véritablement la politique de la terre brûlée. Et quand ils découvrent l’hôpital du maquis le 27 juillet 1944, ils n’épargnent personne". Le massacre témoigne de la violence de la répression allemande contre les Résistants et ceux qui les aident.
Quatre-vingts ans plus tard, il est possible de se recueillir sous le porche de la grotte. Si la visite des entrailles de la cavité est payante, l’accès à l’entrée reste libre et gratuit. "J’ai encore dans ma mémoire la voiture allemande d’où sont descendus un père et son fils", raconte Rosine Crémieux à la fin de son livre "La traîne sauvage" (...) Voir ce père allemand lire et probablement traduire pour son fils la plaque commémorant le massacre puis repartir en silence, m’avait réconfortée. Je me demande si à l’avenir ce lieu sera encore propice à un tel recueillement". Quatre-vingts ans plus tard, les élèves croisés sur le chemin de la grotte auraient peut-être rassuré l’infirmière du maquis. Le lieu et son histoire ne sont pas tombés dans l’oubli. Les passeurs de mémoire veillent.
France 3 Auvergne-Rhône-Alpes sera en direct mardi 16 avril à 12h05 pour une édition spéciale présentée par Olivier Michel. Pour suivre le direct ou voir le replay, rendez-vous sur France.tv