À Valence un combat judiciaire oppose Charlie Hebdo et une association musulmane qui estime qu'un article a porté atteinte à son honneur et sa considération, en entraînant une vague de décisions politiques et un projet d'école avorté. Condamné en première instance, l'hebdomadaire vient d'être relaxé en appel.
C'est une série judiciaire en plusieurs chapitres, voire en plusieurs tomes. Un dossier de plus de 2500 pages selon le président de l'association Valeurs et Réussite. Cette association musulmane, est basée à Valence, dans le quartier prioritaire de Fontbarlettes. Depuis 10 ans elle y mène des activités sociales et un travail éducatif dans le cadre d'une école privée. Cet établissement était sur le point de passer sous contrat avec l'Etat, selon des documents que nous avons pu consulter. Dans son règlement il est précisé qu'il est interdit de porter le voile, que les classes sont mixtes. Son travail pédagogique et sa démarche avaient été jugés conformes au passage sous contrat au même titre que d'autres écoles privées. Mais avant cela, l'école avait pour obligation d'agrandir ses locaux, attenants à la mosquée.
Chapitre 1 : L'article de presse
Mais en juillet 2023 paraît un article de Charlie Hebdo. Il fait état de liens présumés entre cette association et les frères musulmans. Le début d'une longue bataille qui oppose la rédaction du journal, l'association, la mairie et la préfecture.
Ces accusations de tendances "frèristes" laissent sous-entendre un risque de radicalisation qui serait, par la vente de ce terrain, soutenu par les autorités. La mairie, qui entretenait de bons rapports avec ses responsables depuis plusieurs années avait accepté de vendre un terrain, un compromis avait même été signé en juillet 2022. Il y est précisé que "le vendeur déclare que le bien dépend de son domaine privé."
Chapitre 2 : Le revirement de la Mairie
Mais après la parution de l'article de Charlie Hebdo, revirement de situation. La mairie fait marche arrière. Les services de l'urbanisme font état d'un problème juridique : le terrain ne pourrait être vendu car il appartiendrait au domaine public. Une information contradictoire avec les documents du compromis de vente que nous avons pu consulter. La mairie reconnaît "s'être trompée". Mais selon l'association Valeurs et Réussite il ne s'agirait pas d'une erreur. Une plainte a été déposée contre le maire Nicolas Daragon et l'ancienne préfète de la Drôme, Elodie Di Giovanni, pour faux et usage de faux par personne dépositaire de l'autorité publique.
Chapitre 3 : La justice
"La présentation des faits, par la mairie et par la préfecture, est fallacieuse" estime Morad Jabri, le président de l'association. "Après un compromis de vente, une demi-douzaine de réunions, des services techniques installés juste en face de nous, on découvre quelques semaines après la parution d'un article que le terrain n'est plus dans le domaine privé ?". C'est à cette question que la procédure en cours devra répondre. La mairie de Valence quant à elle a choisi de répondre à ces accusations par voie de communiqué : "la plainte déposée par l’association « Valeurs et réussite » ne repose sur aucun fait nouveau. Cette procédure étant en cours, nous nous abstiendrons de tout commentaire sur le fond. Nous faisons preuve d’une sérénité absolue face à des méthodes indignes, que nous réfutons et pour lesquelles nous demanderons réparation".
Chapitre 4 : la politique
Cette affaire avait connu un fort retentissement médiatique après la publication de l'article de Charlie Hebdo. Marion Maréchal Le Pen avait notamment affirmé que le maire de Valence "a tenté de vendre un terrain à une association des Frères Musulmans". Plus tard, elle définissait les Frères Musulmans comme un "courant islamiste poursuivant les mêmes objectifs que Al-Qaïda et Daesh, imposer la charia dans le monde". Des propos que l'association et son président considèrent comme diffamatoires et pour lesquels une plainte a également été déposée.
Depuis ces différents épisodes, les soupçons d'intégrisme religieux n'ont depuis, plus quitté les esprits au-delà des portes de l'école. L'établissement a perdu la plupart de ses partenariats. "Cette école, nous l'avons conçue pour lutter contre l'obscurantisme" estime son fondateur. "Sous prétexte de lutter contre la radicalisation, on crée du séparatisme" estime-t-il. "Il y a une forme d'hypocrisie. Car passer sous contrat, ça signifiait accueillir tous les enfants sans distinction, être contrôlés par l'Etat, et donc faire reconnaître la transparence dont nous faisons preuve depuis le début".
Nos confrères de Blast, auteurs d'une enquête sur cette école intitulée "Islamophobie, l'Etat en Guerre contre une école musulmane" ont diffusé des enregistrements dans lesquels le maire de Valence, Nicolas Daragon explique au président de l'association : "si vous faites des recours contre la ville, j'ai beau bien m'entendre avec vous mais je ne pourrai plus vous aider. À un moment il faut se calmer et se dire qu'on ne va pas y arriver". Selon l'association Valeur et Réussite ce dernier aurait subi de nombreuses pressions. Dans un autre enregistrement on peut entendre Nicolas Daragon expliquer "On m'accuse de favoriser les islamistes, je suis harcelé quotidiennement (...) Je subis une maltraitance de l'Etat et je le dis à la Préfète : ces gens-là ne sont pas des séparatistes".
À suivre..…
Condamné en première instance à Valence, Charlie Hebdo a été relaxé le 23 avril 2024 par la cour d'appel de Grenoble qui a estimé que qu'"aucun des propos poursuivis n'est diffamatoire. L'imputation de proximité entre l'école et les Frères musulmans (...) relève du libre débat d'idées" et d'un "jugement de valeur infiniment subjectif" de la part de Charlie Hebdo, "insusceptible de caractériser une diffamation étant rappelé que le réseau des Frères musulmans n'est pas interdit en France", juge-t-elle.
"Nous avons manqué une occasion de lutter contre le séparatisme que certains cherchent à imposer à nos concitoyens de confession musulmane" estime Jean Yves Dupriez, un des avocats de l'association Valeurs et Réussite qui a décidé de former un pourvoi en cassation. "Cela n'enlève rien aux propos mensongers", a-t-il ajouté. Les Frères musulmans ne sont certes pas interdits mais le "discrédit est grand" quand on est accusé d'en être proche, a déclaré Morad Jabri.
L'avocat du journal, Richard Malka, a, quant à lui, fait part de son "soulagement que le droit ait retrouvé son cour normal".
L'association Valeurs et Reussite estime par la voix de son avocat que "plus personne ne peut ignorer que tout était faux dans cet article et a déjà annoncé son pourvoi en cassation.