Procès de Gabriel Fortin : "Ce n'est pas qu'un tueur de DRH, c'est un assassin en puissance", l'avocat général requiert la peine maximale

Le procès en appel de Gabriel Fortin touche à sa fin. Depuis le 13 mai, la cour d'assises de l'Isère juge Gabriel Fortin pour trois assassinats et une tentative d'assassinat en janvier 2021 en Drôme, en Ardèche et dans le Haut-Rhin. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en première instance, assortie d'une peine de 22 ans de sûreté, le "tueur de DRH" a fait appel en juin 2023. Les réquisitions ont eu lieu ce mardi 28 mai.

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À l’issue de deux heures de réquisitions, l'avocat général a demandé la peine maximale à l'encontre de Gabriel Fortin. Ce dernier était toujours absent de la salle d'audience ce mardi 28 mai au matin, dernier jour de son procès en appel à Grenoble.

Un dossier exceptionnel

"C’est un dossier d’exception. Exceptionnel, eu égard aux motivations et au mutisme de l’accusé (...) Ce parcours meurtrier ne peut que susciter effroi et consternation”, a déclaré l'avocat général en préambule. Le procès en appel de Gabriel Fortin est dans sa dernière ligne droite. "Gabriel Fortin est resté mutique, nous en restons donc à ses seules déclarations en garde à vue qui consistaient à dire : je réfute toutes les accusations qui sont portées contre moi”, a rappelé Bernard Simier au début de son réquisitoire ce mercredi matin, dernier jour du procès en appel de Gabriel Fortin, surnommé dans la presse "le tueur de DRH".

"Ce 28 janvier 2021, j’étais de permanence quand peu de temps après les deux assassinats, Alex Perrin, le procureur, m’appelle pour m'en rendre compte. Puis, Jacques Dallest m’appelle à son tour pour me dire que le même auteur pourrait être impliqué dans d'autres faits commis en Alsace. J’ai compris à cet instant que nous partions pour un dossier au long cours. J’ai tenu à représenter l’accusation à l’occasion de cet appel", commence Bernard Simier. 

Caractériser la préméditation

"Ce procès est celui de l’horreur brutale et dévastatrice". "La préméditation définit l’ensemble de ce dossier, caractérise cette vengeance froide, mûrie pendant de nombreuses années", explique l'avocat général à l'adresse des jurés. Il revient notamment sur les recherches informatiques relatives aux cibles potentielles de Gabriel Fortin. "L’analyse de ces notes et fichiers informatiques, plusieurs dizaines de milliers, a permis de le relier au moins à trois de ses victimes. Pour Mme Pasquion, il n’a pas été établi de lien direct. Elle a été assassinée, car elle était à ses yeux le symbole de son échec professionnel ou parce que ce bureau était proche de la sortie”, ajoute l'avocat général.

L'entraînement au tir est pour l'accusation un autre élément à prendre en compte pour établir la préméditation dans ce dossier criminel. "Dès 2012, Gabriel Fortin s'est mis à tirer d'une manière très fréquente : loisir ? Plaisir des sensations ? On peut en douter. Pourquoi le cacher à ses proches sinon pour construire ce projet ?" s'interroge le représentant du ministère public.

Autre élément pour asseoir la préméditation, la préparation méticuleuse des repérages des lieux, en Alsace, comme chez Pôle emploi à Valence. Sans oublier une préparation méticuleuse des trajets. "Il ne laisse rien au hasard", souligne le magistrat qui n'oublie pas de mentionner que l'accusé a aussi pensé à rédiger une liste de matériel à emporter avec lui lors de son périple meurtrier. Le représentant du ministère public évoque les adieux de Fortin à ses proches, des éléments bancaires envoyés à son frère, la location d'une voiture, les armes transportées et les nombreuses munitions, mais aussi l'utilisation de noms d'emprunts ou encore une formule "annonciatrice" du drame : "la peur doit changer de camp". Une liste qui témoigne ainsi, selon l'avocat général, de l'intention de donner la mort.

Parcours meurtrier

Le magistrat va également revenir en détail sur les faits, rappeler aux neuf jurés les drames qui ont endeuillé les familles des victimes. Une reprise chronologique précise des faits pour permettre aux jurés de se forger une conviction. De la mort d'Estelle Luce le 26 janvier 2021, à celle de Géraldine Caclin, deux jours plus tard. "Estelle Luce n'était qu'une stagiaire lorsqu'elle a eu le malheur de croiser Gabriel Fortin qu'elle avait sans doute oublié", explique Bernard Simier.

Il a aussi des mots d'apaisement pour Bertrand Meichel, partie civile. Ce DRH a échappé de justesse à la mort : "Son courage quand il a voulu stopper son agresseur ne peut être que salué. Il ne doit ressentir aucune culpabilité, c'est Monsieur Fortin l'accusé".

"Intention homicide et préméditation : pas de questionnement non plus" concernant la mort de Géraldine Caclin, la dernière victime. L'avocat général évoque un témoin qui décrit Gabriel Fortin comme "froid et méthodique". "Elle a été abattue lâchement alors qu'elle était au sol et n'avait aucune échappatoire".

"Vous ne jugerez Monsieur Fortin que pour les faits dont il est accusé, mais on ne peut mettre de côté, l'idée qu'il peut y avoir d'autres victimes (...) Des interrogations demeurent mais des cibles ont été identifiées dans ce dossier", ajoute l'avocat général à l'adresse des jurés. Dont Maitre Leduc, avocat de la procédure prud’homale avortée de Gabriel Fortin, ou encore son ancienne petite amie.

"Les raisons de la colère"

Après un retour sur les faits afin d'établir la "volonté homicide" de l'accusé et la préméditation, Bernard Simier en vient aussi aux "raisons de la colère". "A-t-il été injustement licencié ?" "Pourtant sa hiérarchie lui a donné une chance. Chez Francel, il a été noté son insuffisance professionnelle, son incapacité à travailler en équipe, une mauvaise volonté..." détaille l'avocat général. "Il a été licencié parce qu'il n'était pas compétent et qu'il ne supportait pas la critique, il n'a pas été victime d'un licenciement économique". Même problématique chez Faun Environnement, à Guilherand-Granges.

Gabriel Fortin est un homme qui ne cesse de "ressasser vilenies et injustices", pourtant ce n'est pas Edmond Dantès. "On ne lui a pas volé sa femme, spolié ses biens ? Il n'a pas été emmuré (...) ce ressentiment lui appartient", note le magistrat en citant le héros de Dumas. "Ce n'est pas qu'un tueur de DRH, c'est un assassin en puissance", assène l'avocat général.

Expertises psychiatriques

Le représentant du ministère public va ensuite longuement revenir sur les deux expertises psychiatriques, rappelant au passage que les différents experts n'ont pas échangé avec l'accusé. Les deux derniers experts ont fait "une expertise sur dossier, ils ont donné leur avis", "Les experts donnent un avis et votre cour n'est pas tenue par ces conclusions", rappelle l'avocat général, "nous avons des rapports avec des conclusions contraires, c'est à vous d'apprécier ces avis".

"Il n'y a aucune altération du discernement, celui-ci est pleinement responsable de ses actes, selon le premier rapport. La Cour d'assises de la Drôme va s'en écarter, évoquant une altération liée à un lent processus de décompensation", rappelle l'avocat général.
En revanche, la deuxième expertise, réalisée par deux experts lyonnais à la demande de la présidente, a retenu une altération du discernement de l'accusé.

"Hypertrophie du moi, méfiance, vécu du préjudice comme injustice, grande psychorigidité... ", l'avocat général brosse à grands traits des éléments de personnalité de l'accusé présentés par les experts psychiatre.

"Les deux nouveaux experts lyonnais, nommés par la présidente, ont apporté une réponse différente ; ils ont relevé les mêmes éléments que leurs confrères et évoquent un trouble de la personnalité paranoïaque en soulignant que ce trouble entraîne une altération du discernement, voilà le dilemme auquel nous sommes confrontés", résume l'accusation.

Revanchard, complotiste, aigri… Il ne s'agit pas d'un passage à l'acte sous l'effet d'une pulsion, c'est un assassin méthodique ; il ne peut être question de délire. Autre particularité de Monsieur Fortin : il n'assume rien !

Bernard Simier

Avocat Général

Réquisitions

"On élimine la question d'une éventuelle abolition du discernement. Subsiste la question de l'altération du discernement", note le magistrat. "Concernant l'altération du discernement de Monsieur Fortin, je m'en reporte à votre appréciation, je suis moi-même partagé. Vous l'apprécierez comme l'a fait la première cour d'assises," insiste le magistrat.
"Si on devait retenir l'altération du discernement de Gabriel Fortin, je vous demande expressément qu'elle n'entraîne aucune minoration de la peine !". Et d'insister sur la dangerosité criminologique et un risque évident de récidive de l'accusé : "nous sommes face à une paranoïa de combat, la plus dangereuse, un combat qui ne s'arrêtera jamais !".

"Si Gabriel Fortin était parmi nous, je me serais adressé à lui avec quelques mots. C'était son droit de faire appel, mais cet appel a nécessité l'organisation lourde de ce procès, mobilisé les parties civiles, l'administration pénitentiaire et puis rien ! Il n'a pas saisi la possibilité de s'exprimer pour dénoncer ces fameuses injustices ; même s'il a le droit au silence, ce comportement, je le juge insultant vis-à-vis de votre Cour et de la mémoire des victimes. Il a raté son procès comme il a raté son existence", déplore le magistrat avec gravité.

Pour Me Sophie Pujol-Bainier, avocate de la famille d'Estelle Luce, qui a réagi à l'issue de cette première matinée, "c'est ce que les victimes attendaient. Je pense qu'elles sont satisfaites au terme d'un réquisitoire précis, rigoureux. Il a démontré la culpabilité, la dangerosité et c'est ce qui ressort pour tous de ce dossier",

L'avocat général a requis la peine maximale à l'encontre de Gabriel Fortin : la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 22 ans.

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