Au premier jour de son procès en appel à Grenoble, Gabriel Fortin a créé la surprise en demandant à se retirer de la salle d'audience. Condamné à perpétuité pour trois assassinats et une tentative d'assassinat l'an dernier en première instance, c'est pourtant lui qui avait fait appel. Les parties civiles présentes à l'audience sont partagées entre colère et appréhension.
Gabriel Fortin, l'ancien ingénieur, surnommé "le tueur de DRH", a annoncé lundi 13 mai, peu après l'ouverture de son procès, ne pas vouloir assister aux débats, n'ayant "rien à dire". L'homme n'était resté qu'une heure et demie dans la salle d'audience. Ce mardi matin, il a été contraint par la présidente de se présenter dans le box des accusés. Une présence éphémère.
Incidents d'audience
Ce mardi matin, Gabriel Fortin est apparu déterminé à refuser d'assister aux débats. La présidente lui a rappelé que c'était lui qui avait interjeté appel après le procès en première instance en 2023 et a souligné qu'il était donc "légitime et logique" qu'il soutienne cet appel. L'intéressé avait répondu que ses avocats se chargeraient de "faire le travail".
La présidente de la Cour d'assises l'a informé qu'il pourrait être "contraint" d'assister aux débats, si besoin par recours à la force publique. C'est ce qu'il s'est produit après la pause de milieu de matinée, l'accusé refusant catégoriquement de revenir dans le box, malgré une "sommation à comparaître" délivrée par un huissier sur décision de la Cour. Il a été escorté de force dans la salle par des policiers. En réaction, Gabriel Fortin s'est mis à répéter en boucle : "Je ne souhaite pas participer aux débats, je ne souhaite pas participer aux débats". Il a refusé de répondre à la présidente qui l'invitait à se montrer "un peu raisonnable". Après quelques minutes, face à ce trouble de l'audience, la présidente a décidé de l'extraire de la salle et de poursuivre les auditions jusqu'à la mi-journée.
"C'est une nouvelle manière d'essayer de maîtriser les débats. C'est quelqu'un qui veut imposer à la justice sa façon d'être, le regard qu'il porte sur la justice (...) C'est un ego qui se manifeste. Il n'a pas d'empathie. C'est une absence totale d'empathie de la part de Gabriel Fortin pour les familles de victimes qui manifestent de la douleur. Il n'a pas un regard, pas de considération. On cherche chez lui ce qui reste de l'humanité dont ont parlé les premiers témoins", a réagi ce mardi à la mi-journée Me Hervé Gerbi, représentant des sœurs de Patricia Pasquion. L'avocat relève cependant que Gabriel Fortin ne prend plus de notes durant les débats comme il le faisait lors du premier procès.
Selon Me Denis Dreyfus, avocat de la famille Pasquion, "les familles des victimes sont extrêmement remontées par les faits et cette couche supplémentaire d'horreur qui leur est imposée par cette attitude totalement indécente".
"Un fantôme"
"C'est un lâche, c'est toujours un lâche, ça reste un lâche et en plus, il se débine. Il n'a même pas la franchise de venir affronter les victimes. Pour moi, ce n'est pas un homme (...) C'est lui qui a fait appel et il n'est pas là. On a à faire à un fantôme. C'est un procédurier et un rancunier (...) C'est lui qui a peur, qui ne veut pas nous affronter", avait martelé Jean-Luc Pasquion la veille, à l'issue de la première journée d'audience au sujet de Gabriel Fortin. Ce box vide ravive la colère des parties civiles.
L'époux de Patricia Pasquion, cadre de Pôle Emploi abattue sur son lieu de travail en janvier 2021, ne comprend pas ce nouveau rendez-vous avec la justice. "Tout a été dit au premier procès. C'est du temps perdu. Nous, on subit", a-t-il ajouté. Malgré tout, Jean-Luc Pasquion entend bien assister à la totalité des débats de ce procès en appel.
Face à ce silence et à cette absence, même incompréhension pour Sophie Pujol-Bainier, avocate des parties civiles. "La colère, c'est aussi une souffrance (...) On se demande : à quoi on sert ? Pourquoi sommes-nous là ? Tout ce temps perdu pour tout le monde et toute cette souffrance réitérée pour quelqu'un qui n'en a strictement rien à faire".
De la colère et de l'incompréhension face à cet accusé insaisissable, mutique et absent. Son avocat, Me André Buffard explique : "il se sent victime d'une injustice et c'est ainsi qu'il le vit. La meilleure preuve, c'est qu'il ne vient pas à son procès. On va le juger, c'est de son sort dont on va parler, mais il ne se sent pas concerné".
Appréhensions
Si Jean-Luc Pasquion "n'attend rien" de l'accusé, il espère en revanche que la décision de justice qui sera prononcée "soit la même que l'an dernier". "J'attends la confirmation", explique l'époux endeuillé. Mais comme d'autres parties civiles présentes à Grenoble, il redoute un allègement de la peine prononcée contre Gabriel Fortin.
Mathieu Caclin, époux de Géraldine Caclin, est inquiet lui aussi. Sa crainte : que la défense joue la carte de l'irresponsabilité. "Ce n'est pas acceptable. Comme font les enfants pour se construire avec une autre décision que celle qui a été donnée (au procès de première instance)", s'interroge ce dernier. Les parties civiles gardent espoir : "Ce qui peut nous sauver, c'est la dangerosité de l'accusé, le fait qu'il ne s'inscrive dans aucun protocole médical pour se soigner, psychothérapie ou autre chose. J'espère que ça pèsera fort, mais il va falloir le répéter aux jurés", ajoute Mathieu Caclin.
Pour Bertrand Meichel, le DRH alsacien qui a échappé à la mort en 2021, la dangerosité de Gabriel Fortin ne fait aucun doute et il ne cache pas sa peur. "Si un jour il sort, j'ai la certitude qu'il viendra me voir. J'ai la certitude que je ne serai pas le seul. Les autres personnes de la liste qu'il n'a pas réussi à assassiner, je suis convaincu qu'il ira les voir également. Je suis aussi convaincu que sa liste s'est allongée depuis juin dernier", a déclaré ce dernier lundi au premier jour du procès.
L'ancien ingénieur, aujourd'hui âgé de 49 ans, a été condamné en juin 2023 par les assises de la Drôme à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté maximum de 22 ans. Gabriel Fortin a été reconnu coupables de trois assassinats, commis en janvier 2021 entre Alsace, Drôme et Ardèche : celui de Patricia Pasquion, mais aussi celui de deux responsables des ressources humaines, Estelle Luce et Géraldine Caclin. Ces deux dernières avaient participé à ses licenciements plus d'une décennie auparavant. Gabriel Fortin avait immédiatement fait appel de cette condamnation. Le verdict de ce nouveau procès est attendu le 29 mai.