Procès Gabriel Fortin, dit le "tueur de DRH" : deux licenciements "traumatisants" et un sentiment d'injustice

Dans le procès de Gabriel Fortin, il est aussi question des deux licenciements de l'accusé, vécus comme des "injustices". La cour d'assises de la Drôme s'est notamment intéressée ce mercredi 21 et ce jeudi 22 juin au renvoi de l'ingénieur en décembre 2009 de la société Faun Environnement, basée en Ardèche.

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"C'est l'évidence : il y a eu un vrai traumatisme suite à ces deux licenciements extrêmement brutaux", expliquait ce jeudi matin, 22 juin, Me Romaric Chateau, l'un des deux avocats de Gabriel Fortin. L'accusé a été licencié de l'entreprise Faun Environnement en décembre 2019. Après ce deuxième licenciement, Gabriel Fortin n'a jamais retrouvé d'emploi.

Licenciements traumatisants

En août 2006, moins d'un an après son embauche chez Francel, l'ingénieur-mécanicien est remercié. On lui reproche son manque de précision dans le travail, mais aussi un comportement inapproprié envers sa hiérarchie. Son licenciement est géré par Bertrand Meichel et Estelle Luce. Il ne restera pas beaucoup plus longtemps chez Faun Environnement.

Gabriel Fortin avait été engagé définitivement le 1ᵉʳ avril 2009 dans l'entreprise de Guilherand-Granges, en qualité d'ingénieur. Une embauche après une période d'essai concluante. Mais, son licenciement est intervenu moins d'un an plus tard. Son entretien préalable au licenciement a eu lieu le 15 décembre 2009, en présence de Géraldine Caclin, la DRH, et de son supérieur hiérarchique de l'époque, Philippe Coulmont. Des erreurs et des manquements étaient reprochés à l'ingénieur. À l'issue de l'entretien, Gabriel Fortin a été invité à quitter l'entreprise. Dispensé de sa période de préavis. 

"On n'a jamais dit que Gabriel Fortin était un salarié exemplaire, mais chacun a pu apprécier les conditions dans lesquelles il a été licencié. Ce sont des conditions extrêmement difficiles : on vous demande du jour au lendemain, avec un sac plastique que l'on vous tend, de quitter l'entreprise, sans plus de procès. Ça a été vécu par lui comme un traumatisme extrêmement lourd", a indiqué l'avocat au lendemain de l'audition d'anciens salariés de Faun Environnement. Ce dernier souligne d'ailleurs que ces propos n'engagent que l'ancien salarié.

Partie civile dans ce procès, Philippe Coulmont s'est exprimé mercredi 21 juin à la barre, au sujet du licenciement de Gabriel Fortin. "L'entretien a duré une demi-heure, dans une ambiance froide, il a écouté les reproches qu'on lui a faits. Il a repris quelques points de reproches et voilà. Il n'a été virulent, ni avec moi, ni avec Madame Caclin", a raconté Philippe Coulmont, ancien ingénieur chez Faun Environnement. Ce dernier a vécu "une situation conflictuelle" au sein de cette entreprise et n'en fait d'ailleurs plus partie depuis plusieurs années, a souligné Me D'Ooghe. 

"On croit comprendre que vous n'étiez pas favorable au licenciement de Monsieur Fortin, elle vous a été imposée par votre direction", a relevé le président Yves de Franca. Philippe Coulmont confirme.

J'ai estimé que je n'avais pas assez d'éléments factuels pour licencier un ingénieur (..) J'ai toujours dit qu'il faisait l'affaire.

Philippe Coulmont

ancien supérieur de Gabriel Fortin chez Faun Environnement

Philippe Coulmont a décrit l'accusé au moment où il était salarié de l'entreprise de Guilherand-Granges : c'était un homme "introverti comme beaucoup de techniciens”. Un homme avec lequel il n'a jamais eu de relation en dehors du travail, "un homme que tout le monde a rapidement oublié chez Faun Environnement" après son départ de l'entreprise. Pour l'ancien supérieur de Gabriel Fortin, ses compétences n'étaient pas en cause. Il va jusqu'à évoquer un "dossier à charge" monté contre lui et le sentiment d'une direction qui voulait se débarrasser du salarié : "il ne voulait pas d'une personne qui avait été au conseil de prud'hommes". Gabriel Fortin avait été précédemment licencié de l'entreprise Francel.

Quelques jours après cet entretien avec Géraldine Caclin, hasard malheureux du calendrier, le 24 décembre, Gabriel Fortin reçoit le courrier signé par la DRH lui signifiant son renvoi. Dans les notes de l'accusé, il a écrit : "volonté de mettre à genoux + volonté d'humilier. Faun : la lettre envoyée le 24 déc !!!". Concernant son licenciement de l'entreprise Francel, c'est à son retour de congés que Gabriel Fortin avait appris son renvoi.

Incompétences ou erreurs ?

Que reprochait-on à Gabriel Fortin chez son dernier employeur ? "Son licenciement a été réglé par Monsieur Coulmont, son supérieur hiérarchique et Madame Caclin, la DRH. Mais, je pense que je suis le premier responsable du licenciement de Monsieur Fortin", a expliqué à la barre Thierry Gricourt, un ancien cadre de Faun Environnement interrogé mercredi après-midi. Ce dernier relate les manquements de l'ingénieur. "Vu les déboires qu'on avait avec son travail, ce n'était pas un cadeau (...) J'ai dit au directeur que j'aurais préféré qu'on le paye à rester chez lui !". Et, il poursuit, acerbe : "nous devions récupérer son travail pour la mise en production, son travail était illisible. On récupérait son travail sans pouvoir rien en faire", avant d'ajouter, pour enfoncer le clou : "il était dans un autre monde, certains l'avaient surnommé Spoutnik !"

C'est moi qui ait dénoncé le travail en disant cette personne n'est pas capable d'assumer son poste.

Thierry Gricourt

ancien cadre Faun Environnement

Philippe Courmont est largement plus nuancé aujourd'hui devant la cour. Les erreurs reprochées à Gabriel Fortin étaient "de petites erreurs".  Au matin du 28 janvier 2021, lorsqu'il pénètre chez Faun Environnement, Gabriel Fortin a demandé si Philippe Coulmont était présent. Ce dernier en est persuadé, il doit la vie à son changement d’adresse professionnelle. Un changement qu'il n'avait pas signalé sur les réseaux sociaux. “Si Monsieur Fortin m’avait trouvé dans mon bureau ou s'il avait trouvé l’adresse de mon nouveau bureau, je ne serais plus de ce monde”, a-t-il confié en préambule.

"Tout est dans la lettre !"

"Quelque chose d'injuste". L'accusé s'est un peu exprimé sur son dernier licenciement, Gabriel Fortin ne se le rappelle pas vraiment, selon ses mots.  Questionné par la cour, ce mercredi, il ne souhaite pas parler de son travail ou de ses licenciements chez Francel et Faun Environnement. C'est à peine s'il lâche quelques phrases. "Mes avocats ont bien résumé la situation", "la plainte est écrite", "j'ai écrit au procureur de la République".

"Vous vous souvenez de ce que vous avez écrit au procureur ?", demande l'avocat général à l'accusé. "Je ne l'ai pas en tête. C'était dans le courrier, il faut ressortir les courriers", répond Fortin. C'est tout ce que l'avocat général parvient à tirer de Gabriel Fortin. "Je ne m'exprimerai pas plus !", l'accusé se rassoit. Il semble déterminé à ne plus rien lâcher.

Et, pourtant, son avocat revient à la charge et parvient à lui tirer d'autres informations sur ses déboires. "On a examiné vos expériences professionnelles et vos deux licenciements. Ils ont été vécus de manière difficile ?", demande Me Chateau à son client. "C'est un licenciement brutal puisque je suis allé aux prud'hommes", rétorque l'accusé au sujet de son premier renvoi. Gabriel Fortin avait effectivement entamé une procédure aux prud'hommes pour contester son licenciement de chez Francel. Et, il poursuit, évoquant deux avocats sollicités pour l'assister dans cette démarche. "Gros problèmes" résume Fortin au sujet de ces deux conseils. La procédure avait finalement été radiée faute de suivi du plaignant. Une situation que Gabriel Fortin attribue à ces deux avocats. Il précise d'une voix neutre : "j'envoie des plaintes aux tribunaux pour signaler leur comportement, leur déloyauté". Les plaintes sont restées lettres mortes.  

"Pourquoi vous ne communiquez pas avec la justice ?", demande Me Chateau à son client. "Ça ne sert à rien ! Tout est dans la lettre", répète invariablement Gabriel Fortin.

"Il a écrit une fois, deux fois, trois fois, cent fois ... à des parquets, à des élus, à des responsables politiques, Garde des Sceaux, ministres, premier ministre, président de la république, et il n'a jamais eu aucune réponse", a énuméré Me Romaric Chateau, en marge des audiences ce jeudi matin. "Dix plaintes ont été enregistrées par le parquet de Valence, Chartres, Nancy et Paris. Mais, il n'y a jamais eu de réponses à ces plaintes," indiquait encore ce matin l'avocat de la défense en marge des audiences. 

Malgré ce dernier licenciement, vécu comme "quelque chose d'injuste", Gabriel Fortin ne l'a pas contesté devant les prud'hommes, a souligné l'avocat de l'entreprise ardéchoise.

Demande d'expertise des écrits

Resté mutique pendant plus de deux ans, l'accusé ne donne toujours aucune explication depuis le début du procès. Gabriel Fortin a cependant produit de nombreuses notes, retrouvées à son domicile ou saisies en prison. Les avocats de la défense ont demandé ce mercredi l'examen des écrits de l'accusé à la "personnalité hors norme". Une demande complémentaire en vue de se "rapprocher de la compréhension de l'accusé".

Les experts n'ont pas eu accès à l'intégralité du dossier, selon Me Chateau. "Le but de l'expertise que l'on sollicite, c'est justement de mieux comprendre Monsieur Fortin. C'est un des enjeux de ce procès : mieux comprendre sa personnalité. On voit qu'elle est complexe".

Il faut que les parties civiles comprennent le psychisme de Monsieur Fortin. Et, pour l'instant, personne ne le comprend. Il continue d'écrire. Ce n'est pas un homme d'oral. Il a besoin d'écrire. C'est pourquoi il est indispensable que ses écrits soient analysés.

Me Romaric Chateau

Avocat de Gabriel Fortin

À propos de cette demande de la défense, Me Dreyfus, l'avocat de la famille Pasquion, s'est fait le porte-parole de ses confrères représentant les parties civiles. "Sept jours se sont déroulés depuis l'ouverture des débats, les parties civiles ne considèrent pas que cette demande d'expertise soit nécessaire à la manifestation de la vérité", explique l'avocat, évoquant "l'oralité des débats". Il a demandé de rejeter cette demande de la défense. 

L'avocat général Laurent de Caigny ne s'est pas montré favorable à la demande des avocats de la défense. "On a une expertise unique !", s'emporte Me Romaric Chateau "On a des éléments qui n'ont jamais été expertisés. Est-ce que ça nuit à la manifestation de la vérité de demander une expertise ?"

Au sein de l'entreprise Faun Environnement, Gabriel Fortin est accusé d'avoir abattu Géraldine Caclin, le 28 janvier 2021. Il doit également répondre de la mort de Patricia Pasquion, cadre chez Pôle emploi, de la mort d'Estelle Luce, DRH en Alsace et d'une tentative d'assassinat sur Bertrant Meichel, à Wattwiller. Le verdict est attendu vendredi 30 juin. Gabriel Fortin encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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