Procès de Gabriel Fortin, "le tueur de DRH" : la personnalité de l'accusé se dessine peu à peu

Le procès du "tueur de DRH" se poursuit ce mercredi 14 juin devant les assises de la Drôme, à Valence. La veille, l'accusé a provoqué la surprise en s'exprimant pour la première fois. Une intervention inattendue et une personnalité qui commence à se révéler à travers les témoignages de ses proches.

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Une mère âgée qui s'effondre en larmes et qui exhorte son fils à parler. Un frère qui affiche froideur et distance. Un accusé qui prend la parole, déjouant ainsi les pronostics des avocats des parties civiles. C'est ce que l'on peut retenir de la première journée du procès de Gabriel Fortin, surnommé depuis janvier 2021 "le Tueur de DRH". Certains s'attendaient même à ce que l'accusé refuse d'assister à son procès. Là encore, l'ex-ingénieur a surpris tout le monde à son entrée dans le box des accusés. La journée a été forte en émotions pour les familles des victimes présumées de l'accusé, comme pour les proches de ce dernier.  

À la surprise générale, l'accusé s'est enfin exprimé

L'homme, âgé de 48 ans, comparaît depuis le 13 juin devant les assises de la Drôme pour trois assassinats et une tentative d'assassinat. Depuis son interpellation spectaculaire le 28 janvier 2021, Gabriel Fortin n'a pas desserré les dents. À l'isolement, dans la prison de Valence, il n'a reçu aucune visite, pas même celle de sa mère ou de son frère. Il a refusé de parler aux experts. Il n'a pas davantage daigné participer aux différentes reconstitutions, refusant même de sortir du fourgon de l'administration pénitentiaire. 

Après avoir suivi, avec attention, le tirage au sort des jurés, Gabriel Fortin a également entendu la lecture des 60 pages de l'acte d'accusation mardi matin. Après l'interruption de séance de la mi-journée, le président Yves de Franca s'est adressé à l'accusé. Lui demandant s'il voulait parler. Les parties civiles l'espéraient sans trop y croire. Mais à la surprise générale, peu après 14 heures, Gabriel Fortin est enfin sorti du silence. Une satisfaction de courte durée pour les parties civiles. Car l'ingénieur n'a rien révélé de ses motivations. Les parties civiles resteront sur leur faim. Pour l'instant. 

Sans aucune hésitation, Gabriel Fortin s'est levé, papier en main et a lu d'une voix distincte, ferme et déterminée une déclaration destinée à l'assistance et à la Cour. Avec des mots accusateurs et amers, il s'est clairement posé en victime. Gabriel Fortin s’en prend aux élus et magistrats, selon lui, "responsables" de sa "situation".

Une mère en larmes à la barre

Au premier jour du procès, les proches de l'accusé ont défilé à la barre pour évoquer sa personnalité. Le témoignage de Francine Fortin, 78 ans, a été l'un des moments clés de cette première journée d'audience. La mère de l'accusé a du mal à marcher, elle se déplace avec une béquille. Elle est autorisée à rester assise pour témoigner. Elle s'est avancée péniblement jusqu'à la barre. "Parlez-nous de votre fils", lui demande le président, Yves de Franca. Les minutes passent, la vieille dame répond docilement aux questions. Parfois avec des hésitations, de l'abattement dans la voix.  Les mots lui manquent souvent pour décrire son fils. La vieille dame qui semble un peu timide, peut-être impressionnée, ne laisse pas indifférent. La salle est pleine. 

Francine Fortin ne se souvient plus de la dernière fois qu'elle a vu son fils Gabriel . "Mais il est là ! Là, dans le box", s'exclame surpris le président en le désignant. "Où ?", demande la mère qui relève la tête. Elle se tourne vers la gauche, aperçoit Gabriel Fortin dans le box des accusés, assis derrière la vitre. La vieille dame éclate alors en sanglots et s'effondre à la barre. Des sanglots déchirants. La salle d'audience est muette, sidérée. L'assistance réalise alors que la septuagénaire n’avait pas compris que son fils se trouvait à quelques mètres d’elle seulement. En larmes, elle l'a supplié de s'expliquer : "Je t'en prie, réponds bien aux questions qu'on te pose, essaye de leur dire ce qui s'est passé. Ils ont besoin de faire leur deuil", a imploré la vieille dame. 

L'émotion de la vieille dame aux cheveux blancs n'est pas "feinte" comme le dira quelques minutes plus tard, Me Jakubowicz, l'avocat de Pôle emploi. Ce dernier va aussi la questionner, avec ménagement, presque compassion. L'avocat cherche clairement à en faire une alliée. Une alliée pour faire plier l'accusé et l'amener à s'expliquer. "Est-ce que vous pouvez nous aider à comprendre ? Est-ce que vous pouvez nous aider madame, lui dire qu'il est important qu'il parle ! (...) je suis persuadé que vous pouvez nous aider en lui disant : Parle !", a expliqué l'avocat à la mère en larmes. 

"C'est dur pour tout le monde," dira brièvement Francine Fortin à sa sortie de la salle d'audience. Gabriel Fortin est resté hermétique aux appels de sa mère.

"Je n'en veux pas à cette maman"

"Les familles des gens qui sont morts sont dans la douleur, notre famille est dans la douleur aussi. Je t'en prie, explique ce qui s'est passé". La tentative de Francine Fortin, quelques minutes plus tard, est restée vaine. Son fils est resté de marbre. Il s'est enfermé dans une posture de victime du système. Non sans colère, il lance d'ailleurs : "les parties civiles n'ont pas à donner des instructions aux témoins. L'affaire est finie !"

Les larmes de Francine Fortin n'ont pas laissé les parties civiles insensibles. Catherine, l'une des sœurs de Patricia Pasquion, tuée à l'agence Pôle emploi de Valence, a exprimé de la compassion pour la mère de l'accusé. "J'ai trouvé ça très bouleversant. Je suis émotive, ça monte vite aux larmes. C'était bouleversant, je me suis mise à la place de cette pauvre maman qui doit vivre ce que son fils lui fait vivre aujourd'hui. Je n'en veux pas à cette maman, je n'en veux pas à son frère. Ils ne sont pour rien dans ce drame, mais je me mets à leur place. Ça doit être dur de vivre cette situation pour eux."

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Réaction d'une sœur de Patricia Pasquion, partie civile, après le témoignage de Francine Fortin ©France Télévisions

Solitaire et isolé

Au premier jour du procès, les magistrats ont tenté de cerner la personnalité de l’accusé en plongeant dans son enfance et son adolescence, en interrogeant ceux qui "le connaissent le mieux". Gabriel Fortin est très vite apparu comme un homme isolé, qui avait très peu de rapports avec sa famille. Peu d'amis proches non plus. De vagues relations avec un ancien camarade d'école. Des relations amicales qui remontent à plusieurs années. 

Alors que Francine Fortin a évoqué un enfant gentil, un garçon discret, un fils travailleur et "serviable". Un enfant métis qui a eu des "problèmes de racisme". Son frère Olivier a, en revanche, dressé le portrait d’un "paranoïaque schizophrène" avec lequel il n’avait plus vraiment de contact. Une paranoïa héritée de leur mère Francine qui "n’a jamais voulu se soigner", selon Olivier Bengone.

Les deux frères étaient pourtant proches jusqu’à l’adolescence. Ils se sont progressivement éloignés l'un de l'autre. Les deux frères pouvaient rester plusieurs années sans se voir. Le frère ainé évoque aussi un homme qui vivait replié sur lui-même, solitaire, sans vie affective et sans travail, avec le "complotisme" en toile de fond. "Je savais qu’il y avait un problème, mais je ne pensais pas que c’était un psychopathe à ce point", lâche le frère de l'accusé tout en se défendant d'être un expert psychiatre. Le frère de l'accusé est sorti de la salle d'audience sans un mot et n'a pas souhaité s'exprimer. 

Mardi après-midi, l'une des sœurs de Francine Fortin, Magali Fortin, a été plus modérée. Les deux garçons ont reçu une éducation stricte, voire sévère, dans laquelle l'école et le sport avaient une part essentielle. Le travail était d'ailleurs une valeur familiale majeure. Leur mère, très présente, a élevé seule ses deux enfants après le retour de Jean-Marie Bengone dans son pays d'origine, le Gabon. L'enfant a donc grandi sans père, ne l'a pas même connu. Il ne porte d'ailleurs pas son nom, contrairement à son frère aîné. Francine Fortin entretenait-elle une relation "fusionnelle" avec son aîné, régulièrement malade dans son enfance ? A-t-elle surprotégé son fils ? À la barre, la vieille dame a culpabilisé, s'est demandée à plusieurs reprises "ce qu'elle a pu faire pour en arriver là". 

Maitre Dominique Arcadio, avocat de la famille Caclin, a un début de réponse concernant la personnalité de l'accusé. "C'est la personnalité d'un homme qui s'est construit dans la volonté de réussir, de travailler, avec une éducation très rigide, peut-être un peu toxique sur certains domaines. Mais il n'a pas su rebondir lorsqu'il a été confronté à des échecs et les accepter", a indiqué, en marge de l'audience, l'avocat

Rappels des faits

Estelle Luce est la première, dans l’ordre chronologique, des quatre victimes présumées de Gabriel Fortin. La DRH de 39 ans a été abattue dans sa voiture, sur le parking de l'entreprise Knauf. Les faits se sont déroulés à Wolfgantzen, dans le Haut-Rhin, le 26 janvier 2021. Dans la soirée, c'est sur la commune de Wattwiller, à quelques dizaines de kilomètres du lieu du premier assassinat, que s'est joué le deuxième acte de ce fait divers sanglant. Bertrand Meichel, aussi DRH, a échappé à la mort. Le tireur venu sonner à sa porte ce soir-là, une arme dissimulée sous un carton de pizza, manque sa cible. Le pistolet semi-automatique s'est enrayé. Le faux livreur parvient à s'enfuir. Deux jours plus tard, ce sont deux autres crimes retentissants qui font la une de la presse.

Le matin du 28 janvier, c'est une salariée de Pôle Emploi qui est assassinée sur son lieu de travail à Valence. Patricia Pasquion est abattue d'une balle dans le thorax. Elle ne survivra pas. Moins d'une demi-heure plus tard, le tireur s'en prend cette fois-ci à une autre DRH, sur le site de l'entreprise Faun Environnement, à Guilherand-Granges, en Ardèche. Géraldine Caclin est tuée sous les yeux de deux de ses collègues. Elle est atteinte par trois tirs, dont l'un au visage. Peu après, un homme est interpellé au volant de sa voiture, sur le pont Mistral, entre Ardèche et Drôme. Les deux femmes ne se connaissaient pas. Contrairement à Estelle Luce et Bertrand Meichel. Le dénominateur commun entre ces deux DRH : Gabriel Fortin, licencié en 2006 et dont ils ont conduit l'entretien. Les enquêteurs vont rapidement faire le lien entre les quatre affaires. 

Gabriel Fortin, incarcéré depuis son interpellation, est jugé jusqu'au 30 juin 2023 par les assises de la Drôme, à Valence. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité. 

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