Hervé Le Tellier, prix Goncourt avec L'Anomalie, a sorti en avril dernier son nouveau livre Le nom sur le mur. Un nom découvert gravé sur le mur de sa maison de Drôme provençale, qui l’a mené sur les traces d’un résistant.
Hervé Le Tellier cherchait une maison où s’inventer des racines. Il l’a trouvé à Montjoux dans la Drôme provençale en 2016, et découvre un nom sur le mur. "Au début, on s’est demandé qui cela pouvait bien être. Et ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai compris qui il était" raconte Hervé Le Tellier, devant la façade où l'on peut lire, gravé dans le crépi : André Chaix.
L’écrivain, prix Goncourt en 2020 avec L’Anomalie, vit dans cette maison près de Dieulefit, la moitié de l’année. Elle appartenait avant à une céramiste, qui a recouvert certains murs de ses œuvres. En enlevant l’une des plaques de céramique, le nom est apparu, intact. Hervé Le Tellier n’y prête pas attention avant de remarquer que ce nom est également gravé dans le marbre du monument aux morts du village. Commence alors une véritable quête pour l’écrivain pour remonter le fil de la vie d’André Chaix, maquisard au destin tragique.
"J'étais presque le dépositaire de sa vie"
Hervé Le Tellier lui offre une notoriété posthume avec cet ouvrage, publié par Gallimard. Au fil de ses recherches, il a pu glaner des objets et souvenirs du résistant. Une association d’anciens combattants de la résistance lui a remis une boîte, qui révèle un visage sur un nom. D’une petite boîte rouillée, il sort délicatement des petites photographies sérigraphiées. Des instants de la vie du jeune homme défilent sur la pellicule. André Chaix était blond aux yeux bleus, maquisard, apprenti céramiste, et amoureux de Simone. Il est mort à 20 ans le 23 août 1944, tué par les tirs d’une automitrailleuse allemande.
Se résigner ou résister, une histoire qui oblige l’écrivain tant elle résonne. "Lorsque j’ai reçu la boîte, c’est quelque chose qui disait la vie d’André Chaix, non seulement son existence, mais aussi sa vitalité, sa jeunesse, sa manière d’être dans le monde. Le voir avec sa fiancée, sur un mûrier, en train de prendre possession du monde m’a donné envie d’écrire. J'étais presque le dépositaire de sa vie avec ce trésor de documents" confie Hervé Le Tellier. Dans la boîte se trouve aussi, pêle-mêle, sa carte d’identité, des lettres à sa famille, ou encore un fume-cigarettes fabriqué à partir d’une douille.
Un héritage précieux. C’est la première fois que l’auteur s’essaie à la littérature du réel, sous forme d’enquête historique, car ce genre apparaissait comme une évidence. "Il n’y avait pas besoin d’aller imaginer quelque chose qui n’existait pas mais vraiment de raconter. Ça libère l’écriture car on doit être sincère et au plus près du monde qui nous est donné" explique l’écrivain. "Le livre s’est construit tout seul autour de ce désir de raconter ce jeune homme" ajoute-t-il.
"Quelle place on occupe dans l’histoire ?"
L’écriture d’Un nom sur le mur a été particulièrement prenante pour Hervé Le Tellier, faisant écho à sa lutte de jeunesse et à une période de l’histoire qui le fascine depuis l’enfance. Après avoir vu les indicibles images de camps de concentration nazis dans le film Nuit et brouillard, d’Alain Resnais, il cherche à tout savoir, tout comprendre de cette période noire de l’histoire. "Le combat contre le racisme, l’antisémitisme m’a vraiment animé, ma première jeunesse de 13 ans à 20 ans a été consacrée à lire, à mener ce combat" raconte-t-il.
"Quand on lit la vie d’un jeune homme qui meurt à 20 ans en 1944 on se pose deux questions. Qu’est-ce que je faisais quand j’avais 20 ans, quelle était ma vie. Et qu’est-ce que j’aurais fait, moi, si j’avais vécu à cette période. C’est vraiment deux questions que je me suis posées" glisse Hervé Le Tellier. Des questions qui semblent résonner d’autant plus actuellement, car comme le dit poétiquement l’homme de lettres : "ce sont des temps qui riment".
"Ce sont les mêmes problématiques qui se posent, à savoir quelle place on occupe dans l’histoire ? Est-ce qu’on en fait partie ou est ce qu’on la regarde se faire sans nous ?" questionne l’écrivain. 80 ans après sa mort, André Chaix n’est plus seulement le nom sur le mur, c’est un hommage à un combat.