Comment se reconstruire lorsque la mort et la désolation ? Au Teil, après le tremblement de terre du 11 novembre 2019, à Chamonix, sur le site de l’avalanche de Montroc et de l' incendie du tunnel du Mont-blanc en 1999, à Ambert, après la mort de 3 gendarmes abattus par un forcené surarmé.
Comment se relever après le traumatisme ? Comment se reconstruire lorsque la mort et la désolation se sont abattues sur vous ? Pour « Enquêtes de région », nos équipes sont allées poser la question aux victimes de grandes catastrophes qui ont frappé la région Auvergne-Rhône-Alpes ces dernières années.
Au Teil, en Ardèche, nous avons rencontré les victimes du tremblement de terre du 11 novembre 2019.
A Chamonix, en Haute-Savoie, nous sommes revenus sur le site de l’avalanche de Montroc (12 morts) et du terrible incendie du tunnel du Mont-blanc (39 morts) en 1999.
A Ambert, dans le Puy-de-Dôme, nous sommes allés voir comment la gendarmerie faisait le deuil de ses trois hommes tués en décembre dernier par un forcené surarmé.
Autant de situations très différentes, qui mettent en jeu de funestes coïncidences, la violence des hommes ou la puissance des éléments. Mais à chaque fois, les victimes expriment la même peur de la mort, la même souffrance… Et tirent des enseignements aux ressemblances troublantes.
On ne fait jamais son deuil
11h52, le 11 novembre 2019, la terre tremble au Teil, petite commune d’Ardèche, tout près de Montélimar. Un séisme d’une magnitude de 5,4 sur l’échelle de Richter : des pans de murs s’effondrent, deux églises sont partiellement détruites, près de 900 maisons deviennent inhabitables…
Quinze mois plus tard, la population est encore sous le choc. « Rien que d’en parler, j’ai encore la voix qui tremble », avoue Stéphane Lecaille, le président du Collectif des sinistrés du séisme. « Nous avons organisé des cellules d’aide psychologique pour permettre aux gens de parler. Mais, aujourd’hui encore, on échange davantage sur nos émotions que sur nos dossiers d’indemnisation ».
Il faut dire qu’il est difficile de tourner la page : le séisme est encore visible partout, des quartiers entiers ont été vidés de leurs occupants, sous le coup des arrêtés de péril, et 1 500 habitants (15% de la population) ont dû trouver refuge ailleurs. « Les compagnies d’assurance ne font rien non plus pour nous aider à oublier », accuse Stéphane Lecaille. « 20% des sinistrés n’ont toujours pas reçu la moindre proposition d’indemnisation et 30% sont toujours en discussion ».
Grande catastrophe = grande solidarité
« Faire son deuil ? C’est une expression que je déteste », assène Xavier Chantelot, ancien président de l’association des victimes du tunnel du Mont Blanc. Trois membres de sa familles sont morts dans la catastrophe du 24 mars 1999. « ça veut dire quoi, faire son deuil ? Plus le temps passe, plus on oublie, mais les membres de notre famille, ils ont disparu et on ne les oubliera jamais. On ne fait pas le deuil, c’est un apaisement, un calme qui revient lentement… ».
Dès le lendemain du séisme, les habitants du Teil et de ses environs se sont mobilisés : ils ont aidé au déblaiement, ils ont fait don de meubles et de matériel, ils ont hébergé des sinistrés et versé de l’argent sur des cagnottes en ligne. Une solidarité telle que les locaux du Secours populaire local n’étaient pas assez grands pour stocker tout ce qui arrivait.
A Ambert, dans le Puy-de-Dôme, la gendarmerie est au cœur d’un même élan de solidarité depuis le 23 décembre dernier et le meurtre de trois de ses hommes par un forcené retranché dans sa maison à Saint-Just.
La compagnie reçoit des centaines de témoignages de soutien. « Tous les jours, des gens viennent nous dire « merci ». C’est chaleureux et ça permet d’avancer », reconnaît le commandant Fabrice Touioui. « Et moi, je remercie ces personnes pour tout l’amour qu’elles nous donnent ». Dans la boîte aux lettres de la caserne, une dizaine de cartes de condoléances arrive chaque jour. Du Canada, de Belgique ou des Etats-Unis. « On répondra à tout le monde », promet la cheffe secrétaire Hélène Thiénot. « ça prendra le temps qu’il faudra, mais on le fera ».
Se reconstruire par le combat
Après la catastrophe, après les hommages et les commémorations, vient le temps du procès. Une étape difficile, qui vire souvent au combat pour la vérité et pour que les drames ne se reproduisent pas.
« Pour qu’ils ne soient pas morts pour rien », insiste souvent l’association des victimes du tunnel du Mont Blanc. C’est elle qui a mis en évidence la dangerosité des tunnels en Europe. Et qui a contraint les pouvoirs publics à revoir complètement la construction et la sécurité des ouvrages souterrains.
Autre combat exemplaire, celui de Jean-Claude Bourdais, qui a perdu son fils et sa belle-fille dans l’avalanche de Montroc, qui a emporté 12 vies et une vingtaine de chalets le 9 février 1999 à Chamonix.
Il a découvert que les permis de construire avaient été accordés alors même que le couloir d’avalanches était bien connu dans la vallée. Avec deux autres familles endeuillées, il crée l’AIRAP, l’association pour l’information sur les risques d’avalanches et leur prévention, et obtient, à force de batailles juridiques et administratives, deux grandes victoires : la mise en place d’un système d’alerte automatique des avalanches et la mise à jour de la cartographie des zones à risques. « C’est la raison d’être de nos actions que de faire en sorte qu’il n’y ait plus de drames » , se félicite Jean-Claude Bourdais.