La relaxe de l'ex-enseignant, aujourd'hui âgé de 53 ans, a été confirmée en appel ce jeudi 27 mai pour agressions et exhibitions sexuelles sur 19 élèves de petite section de maternelle en 2015 et 2016, par la cour d'appel de Chambéry. Il avait été relaxé en première instance.
Quel poids apporter à la parole d'enfants de moins de 4 ans ? C'est à cette question que la justice devait répondre ce jeudi.
"S'il est à nouveau relaxé, ce qui m'inquiète, c'est que cela risque de faire jurisprudence. Cela voudra dire qu'on peut faire ce que l'on veut à des enfants de 2 ou 3 ans, puisque leur parole n'est pas prise en compte", nous confiait une maman juste avant l'énoncé du délibéré de la cour d'appel de Chambéry.
Le délibéré est tombé vers 14 heures. La relaxe a été confirmée. L'énoncé n'a duré que deux minutes.
Fou de rage, un père est sorti en claquant la porte métallique de l'entrée.. Quant aux mamans, en pleurs dans le hall du palais, "elles ne comprennent pas". La seule avocate présente, Christelle Abad, qui représente une seule famille a tenté de les réconforter .
"C'est la vérité judiciaire, ce n'est pas la vérité de ce que vivent chaque jour ces enfants et leurs parents"
"C'est la vérité judiciaire, ce n'est pas la vérité de ce que vivent chaque jour ces enfants et leurs parents", estime Maître Christelle Abad, avocate d'une des familles et qui n'est pas "tout a fait surprise par l'arrêt rendu".
"Les familles sont sous le choc, le problème qui se pose dans ce dossier, c'est le recueil de la parole de très jeunes enfants ! Comment fait-on pour demander à un enfant de 3 ou 4 ans qui vous dit qu'il a subi des actes innommables de la part d'un adulte ?"
Une maman est en larmes : "lui s'en sort, mais nos bébés, c'est pour la vie, mon fils a huit ans, il souffre tous les jours, il doit être suivi par un psychologue, on a confié nos enfants à un monstre. On va devoir les soigner de toutes leurs souffrances".
Une autre mère s'indigne : "Que vont devenir les petites victimes de 3 ou 4 ans ? Il va falloir attendre qu'elles puissent parler comme un adulte pour les entendre ? Puisque la justice ne les protège pas, que faire, sinon de la prévention ?"
"Une parole incertaine et confuse des enfants", c'est en effet ce qu'a surtout retenu la cour dans ses motivations dont voici un extrait :
"En premier lieu la parole des enfants a été largement parasitée avant même leurs auditions par les questionnements ou informations apportés ou induits par les membres de leur entourage familial et scolaire, en second lieu, la plupart des enfants entendus ont d'abord clairement mis hors de cause Bruno H. ou se sont rétractés ensuite de leurs accusations, les accusations obtenues lorsqu'elles l'ont été sont le fruit de techniques d'audition inappropriées de nature à avoir influencé, voire forcé leurs réponses et enfin parce que lesdites accusations sont soit contradictoires, soit floues et imprécises, soit tissées d'invraisemblances".
De nombreuses familles étaient présentes. Maître Marie Grimaud, l'avocate de la majorité des parties civiles, mais aussi de l'association Innocence en danger, n'avait pas pu se déplacer. Jointe au téléphone elle évoque "un déni de justice".
" Que va-t-on dire à nos enfants?"
"Que va-t-on dire à nos enfants ce soir ? Qu'ils ont parlé mais que leur parole ne compte pas ? Qu'on peut faire ce qu'on veut à des enfants de moins de 4 ans", réagissent avec désespoir les mères de famille.
Toutes les parties civiles disent aussi combien elles ont été choquées de la manière dont l'arrêt a été délivré: "Le président n'a pas levé la tête, il n'y a pas les motivations". Elles ont même manifestement eu du mal à comprendre et à réaliser que le jugement de première instance était confirmé et qu'elles étaient déboutées.
Et elles répètent avec angoisse : "Nos enfants vont vivre avec leurs traumatismes toute leur vie ".
Une petite fille qui a témoigné dit à sa mère : "lui il est libre et moi ma vie elle est foutue". Elle a 7 ans.
Je retiens qu'il ne s'agit pas d'une relaxe au bénéfice du doute, mais d'une relaxe absolue et certaine"
L'ancien directeur d'école n'est pas venu ce jeudi au Tribunal, sur les conseils de son avocat, qui n'était pas encore arrivé au moment du délibéré. Au nom de son client, il exprime "le soulagement, la fin d'un longue lutte heureuse et salutaire".
"Il n'a rien fait, tous les parents peuvent être rassurés, il n'est rien arrivé à leurs enfants, mon client l'a toujours dit, il ne s'agit pas d'une relaxe au bénéfice du doute, mais d'une relaxe absolue et certaine", commente Maître Sylvain Cormier.
Alors comment expliquer l'état de détresse psychologique de ces enfants décrit par les experts et leurs parents ? "Le drame, c'est que ces enfants ont toujours dit que leur maître n'avait rien fait, qu'il ne s'était rien passé de mal, et qu'aucun adulte n'a voulu les entendre, je comprends que ce délibéré puisse choquer ces familles, c'est humain, le problème, c'est que les parents se sont eux-mêmes à force convaincus que des choses terribles avaient eu lieu", rétorque-t-il.
Et il enfance le clou : "le problème majeur, ce sont les conditions déplorables dans lesquelles les enquêteurs, bien intentionnés certes, mais mal formés, ont mené les auditions(...) à partir d'une suspicion initiale, devenue rumeur, ils ont fini par arracher des bribes d'informations contradictoires à ces enfants, une petite était sortie de l'interrogatoire en disant "j'ai dit des bêtises", s'ils vont mal aujourd'hui, c'est qu'on a dévoyé leur parole, il faudra que ça serve de leçon, qu'on en tire des enseignements".
Et il conclut : "Cette affaire a massacré la vie de mon client, il s'est à un moment clochardisé, il vivait dans sa voiture, il avait des idées suicidaires, il lui faudra du temps pour digérer."
D'ores et déjà, certaines familles concernées disent leur détermination farouche, et leur intention "de se battre encore devant la justice". Elles ont cinq jours pour se pourvoir en cassation.
Surnommé "Maître Bruno" par ses élèves, cet homme d'une cinquantaine d'années, ancien enseignant et directeur d'école maternelle à Cornier, en Haute-Savoie, était soupçonné de pédophilie.
Lors de son procès en appel à la fin mars, il avait à nouveau nié toute "agression sexuelle" ou "exhibition sexuelle" sur mineurs. "Je suis complètement innocent, ce n'est plus de la pollution, c'est de l'intoxication", avait-il déclaré à la barre avant d'ajouter : "c'est très très dur d'être accusé à tort, surtout pour pédophilie".
Rappel des faits
L'affaire avait débuté en 2016, lorsqu'une petite fille avait demandé à sa mère de lui faire des massages sur les fesses comme "maître Bruno". Les parents de l'enfant avaient porté plainte. Des dizaines d'élèves de l'école maternelle furent ensuite entendus. Dix-neuf ont été reconnus victimes lors de l'instruction.
Reste que leurs interrogatoires ont posé problème. La défense n'avait pas manqué de souligner les "questions orientées" et "fermées" de l'une des enquêtrices, pouvant avoir influencé le récit des élèves.
Relaxé en 2019
En première instance, le tribunal correctionnel de Bonneville avait relaxé l'enseignant faute "d'éléments permettant d'emporter la conviction du tribunal", qui avait relevé des "dysfonctionnements dans les interrogatoires" des enfants entendus en 2016.
En appel, les parties civiles ont fait valoir la pérennité des traumatismes subis par les enfants, âgés de 2 à 4 ans à l'époque des faits, entre 2015 et 2016, et qui ont aujourd'hui entre 7 et 9 ans.
Parole contre parole
Lors de l'audience devant la cour d'appel de Chambéry, l'intervention du Dr Luis Alvarez avait particulèrement marqué l'auditoire.
Le pédopsychiatre, qui a pu s'entretenir avec trois des enfants concernés longtemps après les faits, a relevé des "symptômes de stress post-traumatiques".
Plusieurs d'entre eux souffrent d'encoprésie (problèmes pour déféquer), ayant besoin de vérifier que rien ne se trouve dans leur anus avant d'aller à la selle. D'autres présentent des symptômes d'énurésie (perte du contrôle des urines), ou encore des attitudes sexualisées "qui laissent penser qu'ils ont été en contact avec une sexualité adulte", avait rapporté le spécialiste.
Des troubles de stress post-traumatiques
Pour les parties civiles et pour le pédopsychiatre, "ce tableau clinique ne [pouvait] pas avoir été créé par une mémoire induite", autrement dit par les questions orientées de leurs parents ou des enquêteurs.
L'avocat général avait requis une peine de cinq ans de prison dont deux ans fermes avec obligation de soins, que le prévenu soit fiché S comme prédateur sexuel et une interdiction d'exercer dans l'enseignement et avec des enfants.
L'enseignant de 53 ans avait été suspendu par l'Education nationale depuis sa mise en cause dans cette affaire, en novembre 2016.