Justice : qui croire ? Au procès en appel de l'ex-directeur d'école de Cornier, la pédopsychologie au coeur des débats

Qu'ont dit les enfants en 2016 ? Que disent leurs parcours de vie aujourd'hui ? Y a-t-il eu traumatisme ? Les experts se sont affrontés lors du procès en appel de l'ex-directeur de l'école de Cornier en Haute-Savoie, accusé d'agressions sexuelles sur mineurs. Deux ans de prison ont été requis.  

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Cette affaire, ce sont deux vérités qui s'opposent. 

Celle d'un homme d'une cinquantaine d'années, ancien enseignant et directeur d'école maternelle à Cornier, en Haute-Savoie, accusé de pédophilie, et qui nie toute "agression sexuelle" ou "exhibition sexuelle" sur mineurs. Jugé en première instance par le tribunal correctionnel de Bonneville, il avait été relaxé en septembre 2019, "en l'absence de preuves matérielles".

Celle, de l'autre, d'une vingtaine d'enfants âgés aujourd'hui de 7 à 9 ans. Ils avaient entre 2 et 4 ans à l'époque des faits, entre 2015 et 2016.

Et c'est par la voix de l'une d'entre eux, une petite fille, qui rapportait à ses parents que "maître Bruno" faisait "des massages sur les fesses en montrant son sexe" que l'affaire a débuté en novembre 2016.

Ses parents l'ont crue, puisqu'ils sont allés porter plainte. Des dizaines d'élèves de l'école maternelle furent ensuite entendus. Dix-neuf ont été reconnus victimes lors de l'instruction. 
 

Deux ans de prison ferme requis

Ce jeudi soir, l'avocat général a requis une peine de cinq ans de prison dont deux ans fermes avec obligation de soins, que le prévenu soit fiché S comme prédateur sexuel et une interdiction d'exercer dans l'enseignement et avec des enfants.
 

Auditions biaisées ?

Pendant deux jour, la défense, experts à l'appui, a essayé de démontrer le peu de fiabilité des auditions des enfants.

Nicolas Rochat, docteur en psychologie et Samuel Demarchi, maître de conférences à l'université Paris VIII, ont remis en cause tour à tour la méthodologie et le professionnalisme des experts psychiatres et psychologues nommés par la justice, et des enquêteurs ayant recueilli les témoignages des enfants.

Quel crédit apporter à leur parole ? Ont-ils vraiment rapporté ces faits ou sont-ce leurs parents qui ont interprété leurs mots ou posé des questions orientées ? L'ont-ils vraiment dit ou est-ce la manière "biaisée" des enquêteurs de mener les interrogatoires sur des enfants aussi jeunes qui a "pollué" leur mémoire et "induit" des faits qui ne se sont pas produits ? L'ont-ils vraiment dit ou l'ont-ils entendu dire par leurs camarades de classe ?

Deux interventions, de plus d'une heure chacune, très détaillées, qui ont plongé l'auditoire dans un état proche de la neurasthénie, au point de voir la moitié des familles aller prendre l'air, le président demander à plusieurs reprises aux deux experts "de conclure et de résumer" et l'avocat général intervenir : "un témoignage ne peut pas être une conférence, M. Rochat".

"Pour les parents, c'est très difficile à entendre. Pendant des années, l'instruction leur a laissé penser que mon client était coupable donc la vérité, qu'il ne s'est rien passé, c'est presque inaudible aujourd'hui", estime Me Sylvain Cormier, l'avocat du prévenu.
 

"Le mythe de l'enfant menteur"

"C'est un dossier sur lequel plane le mythe de l'enfant menteur, de l'enfant pollué et qui n'est pas regardé, ni écouté par la justice", commente de son côté Me Marie Grimaud, avocate de 23 des 32 parents qui se sont portés partie civile :

"J'attends de la cour qu'elle ne s'emballe pas sur des théories assez grossières autour de la parole de l'enfant. Ces enfants ils ont été violentés dans le cadre de leur école, ils ont été aussi violentés à mon sens dans le cadre de leurs auditions mais ils n'ont pas été sans exprimer des mots, mais aussi des douleurs, des souffrances, des traumatismes. Aujourd'hui la cour, pour pouvoir juger, elle va devoir tout prendre. Elle va devoir prendre ce qu'elle a mais également ce que peuvent dire un pédopsychiatre et d'autres témoins autour de la parole et des tableaux cliniques de leurs symptômes".

Car aujourd'hui, les enfants ont grandi mais certains vivent avec des "symptômes de stress post-traumatiques" d'après le Dr Luis Alvarez, un pédopsychiatre qui a pu s'entretenir avec quatre d'entre eux.
 

Les révélations choquantes du pédopsychiatre

Par visioconférence, le médecin a expliqué que ces enfants lui avaient rapporté que le "maître" les faisait se déshabiller, et "introduire des jouets dans leur anus". Plusieurs d'entre eux souffrent d'encoprésie (problèmes pour déféquer), ayant besoin de vérifier que rien ne se trouve dans leur anus avant d'aller à la selle. D'autres présentent des symptômes d'énurésie (perte du contrôle des urines), ou encore des attitudes sexualisées "qui laissent penser qu'ils ont été en contact avec une sexualité adulte".

Pour les parties civiles et pour le pédopsychiatre, "ce tableau clinique ne peut pas avoir été créé par une mémoire induite". Le médecin a d'ailleurs effectué plusieurs signalements pour viols auprès du procureur de la République de Bonneville suite à ces entrevues.  

Me Sylvain Cormier s'insurge lui contre ces nouveaux signalements, qui sont d'après lui "un subterfuge pour essayer de faire pression pour obtenir une condamnation, une condamnation injuste".

La décision a été mise en délibéré, l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry sera rendu le 27 mai.

 

 

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