Dans le massif du Mont-Blanc, près de 70 éboulements ont été recensés sur l'année 2019. Un chiffre inédit en ce début de mois d'août. Résultat : des pans de montagne sont en train de s'effondrer sous l'effet des très fortes températures enregistrées pendant l'été.
Au Mont Maudit, sous l'Aiguille des Deux Aigles, à la Tour Ronde... les éboulements s'enchaînent à un rythme effréné dans le massif du Mont-Blanc. Des événements devenus presque habituels pour les amoureux des sommets qui ne peuvent qu'observer, impuissants, la montagne s'effriter sous leurs yeux.
"Dire que je n'ai toujours pas grimpé cette belle Aiguille et qu'elle va peut être s'effondrer ou devenir impraticable", regrette le guide de haute montagne Manuel Roberty, postant la vidéo d'un impressionnant éboulement survenu mardi 30 juillet sous l'aiguille des Deux Aigles. Un spectacle tristement banal cette année à cause, notamment, des deux épisodes caniculaires qui se sont enchaînés depuis la fin du mois de juin. Bilan : près de 70 éboulements ont été recensés depuis le début de l'année, du jamais vu à cette période.
"Les fortes chaleurs sont arrivées très tôt dans l'année et c'est particulièrement inquiétant, analyse le géomorphologue Ludovic Ravanel, qui scrute chaque mouvement d'altitude dans le berceau historique de l'alpinisme. La chaleur a pu pénétrer la roche en profondeur, ce qui pourrait causer des dommages durables sur le permafrost qui est le ciment des montagnes." Les éboulements à répétition entretiennent un cercle vicieux, néfaste à l'environnement de haute montagne.
Le permafrost, terme désignant des sols gelés à longueur d'années qui assurent la stabilité des massifs, se dégrade de plus en plus rapidement sous l'effet des hautes températures, libérant notamment du méthane qui y était piégé depuis des milliers d'années. "Plus ça se réchauffe plus le permafrost se dégrade donc plus il libère du méthane, ce qui contribue au réchauffement climatique", résume Ludovic Ravanel dans une vidéo. Et la machine est déjà en route : fin juin, 6,9°C ont été relevés 50 mètres en-dessous du sommet du mont Blanc, un record absolu.
"Des chutes de plusieurs centaines de mètres cubes"
Habituellement, le mois d'août est la période où les éboulements sont les plus fréquents au Mont-Blanc en raison de la chaleur qui s'installe. Des événements nombreux, mais entraînant des masses rocheuses moins importantes que ce qui est prévu pour les saisons à venir : "On s'attend à des chutes de plusieurs centaines ou milliers de mètres cubes en automne et en hiver à cause des conditions climatiques actuelles", poursuit Ludovic Ravanel.
Même si les éboulements sont moins violents à cette période de l'année, ils ont déjà causé la mort de deux alpinistes suisses, lundi 22 juillet. "Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment", a déclaré le guide de haute montagne Adam George au journal Le Temps après avoir assisté à l'accident. Un guide et son client ont été emportés par un éboulement à 4.300 mètres d'altitude au Cervin, l'un des sommets les plus courus de Suisse, mais surtout le plus meurtrier.
Des récits qui hantent beaucoup d'amoureux des sommets, racontant leurs expériences : "J'étais dans le secteur du Cirque Maudit la semaine dernière lorsqu'une chute de pierres spontanée s'est déclenchée depuis la célèbre arête de Kuffner, s'inquiète pour sa part le guide allemand Ralf Dujmovits. Sous notre tente située sous le Grand Capucin, nous avons écouté d'énormes éboulements sur la face Nord de la Tour Ronde et sur de nombreux couloirs du Mont-Blanc du Tacul, de jour comme de nuit."
Les éboulements s'étaient déjà enchaînés lors de la canicule de 2003, mais "rien de comparable à cette année", selon le géomorphologue haut-savoyard. "Cette année-là, tout ce qui devait tomber est tombé parce-que c'était la première grosse canicule", explique-t-il, relatant avoir répertorié 182 traces d'écroulement sur l'ensemble de l'année. Un record encore inégalé, mais qui pourrait être battu cette année. "Nous avons connu quatre épisodes de canicule en cinq ans, ajoute le scientifique. L'intérieur des montagnes se réchauffe et ces mesures risquent de devenir la norme."
La température des glaces augmente de 0,1°C par an dans le massif du Mont-Blanc, soit plus rapidement que la température de l'air. "Les montagnes vont dégeler progressivement dans les Alpes", alerte Ludovic Ravanel. Les premiers concernés, les guides de haute montagne, voient déjà les changements qui s'opèrent d'année en année. "La montagne est en train de tomber", regrette François Hiver, partageant une énième vidéo d'éboulement à la Tour Ronde.
La pratique du métier doit donc changer pour s'adapter aux mutations de la montagne. "On est confrontés au manque de neige, c'est des champs de cailloux et y'a des chutes de pierres et on est attentifs à ce que disent les géomorphologues", note Olivier Béguin, président de la Compagnie des guides de Saint-Gervais - Les Contamines. Des "cent plus belles courses" recensées dans les années 1970 par Gaston Rébuffat dans le massif du Mont-Blanc, la plupart n'ont plus leur visage d'antan : "93 sont affectés par les effets du changement climatique, dont 26 très affectés, et trois d'entre eux n'existent plus", résume une étude publiée en juin par Jacques Mourey, géographe doctorant au laboratoire EDYTEM.
"La montagne se pratiquera différemment demain de ce qu'on connaît aujourd'hui", pronostique le maire de Chamonix Eric Fournier. Équilibre touristique, dérèglement climatique, modification des paysages... c'est bien la relation de l'homme à la montagne qui se voit bouleversée.