En dopant la fabrication de globules rouges, la vie en altitude peut-elle avoir un effet similaire à l'EPO ? C'est la question à laquelle tente de répondre une expérience grandeur nature menée cet été sur le Mont-Blanc.
Pendant un mois jusqu'à la mi-août, onze skieurs nordiques norvégiens, âgés de 18 à 25 ans, passent l'essentiel de leur journée à 2.200 mètres d'altitude, dans le douillet refuge du Plan de l'Aiguille, à Chamonix.
La journée de ces athlètes de haut niveau est rythmée par les trajets en téléphérique. Le matin, ils descendent dans la vallée afin d'y poursuivre un entraînement intense alternant ski-roues, course à pied, musculation, un peu de VTT et de natation. En début d'après-midi, les jeunes sportifs remontent au refuge, où ils passent le reste de la journée et la nuit.
A cette altitude, la quantité d'oxygène est réduite de 20% environ par rapport au niveau de la mer. "Mon pouls est beaucoup plus élevé et je sens que j'ai le souffle court", confie Eirik Sømen, 18 ans, un des participants à l'étude.
Au terme de ce mois d'entraînement, Tonje, Eirik, Ola et leurs comparses retourneront à Lillehammer (Norvège), où ils subiront une batterie de tests pour mesurer leurs performances sportives, le volume de globules rouges dans leur sang, leur consommation maximale d'oxygène, etc.
Sujet très débattu
L'expérience vise à "vérifier que les performances en endurance sont augmentées" quand on vit en altitude et qu'on s'entraîne en plaine, explique Paul Robach, professeur et chercheur à l'école nationale de ski et d'alpinisme (ENSA) à Chamonix.
"Quand on va en altitude, il y a moins d'oxygène. Le corps répond en fabriquant davantage de globules rouges. Et en sport, plus on a de globules rouges, meilleur on est: plus vite on court un marathon, plus on est endurant."
L'intérêt des athlètes pour l'altitude est né lors des Jeux Olympiques de Mexico en 1968, à 2.250 mètres au-dessus du niveau de la mer, marqués par des contre-performances dans les épreuves d'endurance parallèlement à des records du monde sur le sprint et le saut en longueur. Depuis, l'influence de l'altitude sur les performances sportives "est un sujet très débattu. Il y a une littérature un petit peu confuse sur le sujet et des études pas toujours très bien contrôlées", relate M. Robach.
Une étude menée par le professeur Benjamin Levine en 1997 aux Etats-Unis avait montré une amélioration de la performance des sportifs vivant en altitude et s'entraînant près du niveau de la mer. "Mais les données ne sont pas aussi "propres" qu'on pourrait le souhaiter pour ce genre d'études, c'est pour cela que nous voulons la refaire", souligne Carsten Lundby, professeur à l'Université de Zurich, qui participe à l'expérience de Chamonix.
Chambres hypoxiques
Pour s'assurer de la validité scientifique des résultats, un "groupe contrôle" de neuf sportifs vivant dans la vallée est ainsi soumis au même entraînement et aux mêmes tests médicaux que les athlètes dormant au refuge.Reste à savoir si les performances des deux groupes se révèleront très différentes à l'issue de leur séjour. La question est primordiale car "l'entraînement en altitude est une alternative au dopage: cela intéresse donc beaucoup d'athlètes", souligne Paul Robach.
Une précédente étude menée avec des chambres hypoxiques (dont l'oxygène est raréfié), au Centre national de Ski nordique de Prémanon (Jura), n'avait pas montré d'effet notable sur les performances sportives des cyclistes.
Une des explications peut venir du fait que les athlètes de haut niveau "sont saturés en tout: ils s'entraînent tous les jours depuis de nombreuses années et ont déjà énormément de globules rouges", explique Paul Robach.
Mais avec les nouveaux instruments de mesure, "on peut maintenant détecter un changement de seulement 1% dans la quantité de globules rouges", souligne Carsten Lundby. "Je serais très surpris que nous trouvions une influence importante (de la vie en altitude) mais nous verrons bien."
L'équipe scientifique espère pouvoir présenter des résultats au premier semestre 2016.