Ces chaussures innovantes suscitent de nombreuses questions depuis leur arrivée sur les courses à pied depuis près de dix ans.
Faire une belle performance lors de Marseille-Cassis, c'est le pied. Mais pour y parvenir, certains coureurs estiment que cela passe aussi par les chaussures. Et dans leur viseur, les chaussures à lames en carbone qui équipent de plus en plus de participants chaque année.
Mais sont-elles aussi importantes que ça pour réaliser une performance ? Et si tel est le cas, peut-on les assimiler à un "dopage technologique", à l'image des combinaisons en polyuréthane en natation qui avaient fini par être interdites des bassins de compétition en 2010 ?
Une première apparition en 2016
En 2016, le podium des Jeux Olympiques de Rio est composé de trois athlètes chaussés d'un prototype inconnu en lames de carbone, conçu par une marque à virgule. Le Kenyan Eliud Kipchoge est médaillé d'or, trois ans avant d'être le premier à finir un marathon en moins de deux heures à l'aide un modèle plus perfectionné (non homologué).
Quelques années plus tard, toutes les marques ont leur propre modèle équipé du même matériau. Tous les athlètes adoptent cette technologie, convaincus de voir leurs performances s'améliorer. Mais "pour courir Marseille-Cassis en deux heures à 10 km/h, les lames en carbone n'ont pas un grand intérêt ", tempère le podologue du sport Frédéric Huet.
"Un effet de balançoire sur le sol"
Frédéric Huet a vu débarquer dans son cabinet marseillais de nombreux patients conquis par ces modèles révolutionnaires. Et pour cause : "La performance est liée aux plaques en carbone qui créent un effet de balançoire sur le sol, détaille-t-il. J'appelle ça des supershoes et les coureurs sont très intéressés : ils pensent qu'en les achetant, ils vont battre leurs records automatiquement." C'est indéniable : entre le premier et le 43e Marseille-Cassis, les chronomètres ont chuté. Les vainqueurs de la course arrivent en moyenne 15 minutes plus tôt chez les hommes, 25 chez les femmes.
Avant même l'arrivée des modèles en carbone, les fabricants n'ont cessé de repousser les limites de l'amorti et du retour d'énergie, maîtres mots de la performance en course à pied. Frédéric Huet analyse la posture statique et dynamique des athlètes dans son cabinet. Il est convaincu qu'il "n'existe pas une chaussure qui va à tout le monde. On s'aperçoit que les chaussures en carbone apportent de la performance surtout chez des coureurs rapides, à 15 voire 17 km/h de moyenne."
Une forme de "dopage technologique"
Tony Martins a atteint ces vitesses lorsqu'il a gagné Marseille-Cassis à trois reprises à la fin des années 1980. "Quand j'ai essayé les lames en carbone, elles m'ont propulsé en avant, s'exclame l'ancien champion. On sent tout de suite la différence, surtout pour un coureur aérien comme moi : j'étais à 57 mètres au-dessus du sol !"
Ce n'est pas tout : "On récupère aussi beaucoup mieux avec moins de douleurs aux mollets", ajoute-t-il. Tony Martins n'est pas un fervent défenseur de ces chaussures pour autant. "Les chronomètres ne veulent plus rien dire, n'importe qui peut battre des records, déplore-t-il. Sur Marseille-Cassis si on prend deux coureurs égaux en performance, celui qui a des chaussures en carbone peut compter une minute d'écart sur 10 kilomètres. C'est du dopage technologique ! "
Une chaussure à 300 euros en moyenne
Cependant, le gain de performance n'est pas automatique. Certaines conditions sont nécessaires pour utiliser au mieux ces chaussures miracles. "Elles ne sont pas toujours très stables, remarque le podologue Frédéric Huet. Le pied peut partir dans tous les sens et elles ne sont pas toujours bien acceptées. Il faut avoir un pied fort. Je ne recommande pas de passer d'une chaussure classique à une chaussure carbone du jour au lendemain."
"Gros comme des sabots" selon Tony Martins, ces modèles ont un prix tout aussi énorme. Il faut compter près de 300 euros pour les versions proposées au grand public. "Le jeu n'en vaut pas la chandelle", estime le docteur Huet, évoquant également un risque de blessure causé par la structure très proche du pied de ces chaussures. Des inflammations du tendon d'Achille, ou encore des tensions au niveau du mollet ont été répertoriées par le podologue marseillais.
Enfin, leur durabilité serait aussi limitée : pas plus d'un mois pour un coureur très régulier. Autrement dit, les chaussures à lames en carbone sont réservées à une élite et aident les meilleurs athlètes à tutoyer les sommets. Mais pour le coureur lambda : mieux vaut rester à côté de ces pompes.