ENTRETIEN. Coronavirus : pour l'écrivain Jean-Marie Gourio, "c'est la mort du comptoir"

Le tome 4 des "Brèves de comptoir" devait sortir le 18 mars. Mais ce livre est resté chez l'imprimeur, victime du Covid-19. Jean-Marie Gourio, l’écrivain des bistrots, a vécu le confinement là où il s’est installé il y a bien des années déjà, à Talloires, non loin du lac d’Annecy.

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Comment Jean-Marie Gourio, a-t-il vécu cette période de confinement ? Quel regard porte-t-il sur ses congénères pris dans la tourmente du coronavirus ? L'écrivain, auteur des célèbres "Brèves de comptoir" vit tout près du lac d'Annecy. L’enfermement ne lui a pas trop pesé, en revanche, il est pessimiste pour la France de l’après-crise sanitaire. D’ailleurs pour lui, la distanciation sociale était déjà en marche depuis quelque temps déjà.
 



Alors, Jean-Marie, comment ça va en ce lendemain de déconfinement ?

Ca va, mais c’est une situation extravagante, même si moi j’ai l’habitude d’être enfermé. Soit j’ai des réunions, soit je suis chez moi et j’écris des bouquins. Mais je me suis rendu compte que c’est pas si facile que ça d’écrire des bouquins quand tous les autres sont enfermés chez eux. En fait je travaille mieux quand les autres sont en train de se promener. Là, je pense que je vais pouvoir me remettre au boulot parce que je vois des gens dans la rue.
 

La lecture était au centre des préoccupations pendant cette crise ?

Les librairies étaient fermées, c’était la panique. Comme si les gens n’avaient pas de livre chez eux. Mais moi, les librairies elles peuvent rester fermées 20 ans, je peux lire. J’ai des centaines de livres : j’ai relu Pinocchio, j’ai relu des livres pour gamin, ça m’a fait du bien, Pinocchio c’est magnifique, Alice au pays des merveilles, tout ça c’est des livres que j’avais. J'ai aussi tous les Zola, les Balzac, les Duras... Je les ai, donc je n’ai pas besoin d’aller à la librairie si je suis confiné. Le grand plaisir de la lecture c’est de relire des vieux bouquins qu’on a aimé.
 


Le pays semblait solidaire pendant cette période ?

Dans les moments dramatiques, on voit comme c’est joli d’être ensemble. L’affection entre nous est un vecteur de révolution.

Ce qu’il se passe dans les cas comme ça, avec ces énormes cataclysmes qui nous arrivent, c’est l’affection qui s’empare de nous, et qui nous serre le coeur. On a envie d’aimer tout le monde, on a une chaleur formidable en nous. Le problème, c’est qu’on ne garde pas la chaleur. Si on gardait la chaleur, la révolution serait faite, c’est fait, c’est réglé ! Mais on revient tout froid comme avant.

L’affection, c’est une petite chose et une chose immense. A partir du moment où tu aimes bien les gens, tu n’a pas envie qu’ils soient malheureux. Si Macron, sincèrement, aime bien les gens, il fera des trucs, si il s’en fout, il ne fera rien.


Et ce fameux monde d’après, va-t-il exister ?

On nous le fait à chaque fois le coup du monde d’après. On nous l’a fait après les twin towers, et quel a été le monde après les twin towers ?

On nous l’a fait après Charlie Hebdo, les gens criaient "Vive la police", ils embrassaient les flics dans la rue. Même Renaud a fait une chanson : "J’ai embrassé un flic". Et bien il y a quelques mois, ils étaient dans les rues en train d’insulter la police en criant "suicidez-vous", "suicidez-vous" !

Le monde meilleur, le monde d’après, c’est quasiment le monde d’avant qu’on aurait amélioré. Pas la peine d’avoir un monde d’après, celui d’avant il est tout à fait améliorable. Je vois tout à fait ce qu’il fallait faire dans le monde d’avant pour que ça devienne un après magnifique. C’est facile, tu te lèves dans le métro pour laisser la place à une petite vieille, tu peux aussi être poli avec les éboueurs, réclamer qu’ils soient mieux payés, parce que d’habitude on n’en a rien à foutre. C’est tout le temps les petites choses qui comptent.


Alors les bistrots, ils sont encore tous fermés ?

Les bistrots sont fermés, il y a en plein qui ne vont pas rouvrir, et qui ne rouvriront pas dans les conditions habituelles. Je pense que c’est la mort du comptoir.


Carrément la mort ?

A Paris déjà, les comptoirs ça sert de desserte, ils veulent que les gens soient assis parce que c’est deux fois plus cher, et quatre fois plus cher en terrasse, et le comptoir disparaît.

Cette distanciation dont on parle, c’est exactement le contraire du comptoir, parce que le comptoir c’est le rapprochement social, c’est les uns contre les autres, c’est épaule contre épaule, et dès fois je me gourre, je suis saoûl, je bois dans ton verre... c’est le plaisir du café, on est les uns sur les autres, on se touche, on se bouscule et là, on nous dit d’être à un mètre les uns des autres.

Mais j’ai vu que cette distanciation sociale existait déjà avant grâce au portable. J’allais boire des coups dans les bistrots et je voyais que chacun était avec son petit portable le matin, plutôt que lire le journal, donc la distanciation qui était entre les gens avec leurs portables était presque une distanciation covid, le portable était déjà un virus ! Comme si il y avait un avant-covid, c’est fou !


Que penser de tous ces changements que l’on a vu en deux mois seulement, notamment pour le domaine de l’édition ?

Le covid va accélérer tous les défauts qui étaient en place, et accélérer tous les outils modernes qui se mettaient en place comme la tablette pour la lecture. C’est l’avènement d’un énorme capitalisme numérique.

Le papier peut disparaître comme le disque vinyl a disparu. Le papier peut disparaître à cause du covid parce que finalement les livres, les textes, on les aura sur la tablette, dématérialisés. Ca veut dire qu’on n’aura plus les imprimeurs, qui d’ailleurs ont fermé aussi à cause du covid, parce qu’ils ne pouvaient pas travailler, c’était trop dangereux. Les routiers qui transportent les livres, et bien ils disparaissent, parce qu’on n’a pas besoin de transporter les livres. On fait disparaître tout ce travail humain avec de la chair et de la sueur des ouvriers.

Tout ce qui est culturel est dématérialisé avec le covid. Tout d’un coup, un virus accélère la marche technique de l’humanité, plutôt dans un mauvais sens.

 

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