Des insultes à l'avalanche de coups : cinq jeunes femmes ont raconté, ce mardi 19 mai devant le tribunal de Thonon-les-Bains en Haute-Savoie, leur agression par cinq hommes au sortir d'une discothèque de Genève en 2018, quand la fin de soirée a viré à la "scène de guerre" selon des témoins.
"On n'insulte pas les gens de +gros+. On appelle ça de la grossophobie." La première à avoir reçu coups de poings et coups de pied, dans le ventre et la tête, n'a pas voulu se taire ce soir-là. Au "grosse" qu'on lui lance comme une insulte, elle répond par d'autres avant de finir au sol, baignant dans son sang. "Pour moi, elle était morte. La scène était vraiment irréelle." Dans la nuit genevoise, vers cinq heures du matin, quatre jeunes femmes ont vu cette première scène de violences. L'une décide d'intervenir, les autres suivent. Et toutes sont frappées. Jetée au sol et rouée de coups à son tour, une devra subir, entre la vie et la mort, une opération du cerveau en urgence.À l'audience, les victimes arrivent masquées, comme chacun dans la salle, crise sanitaire oblige. Certaines dissimulent aussi leurs visages par une cagoule de protection jetable, parfois des lunettes de soleil. Par "peur des représailles" cette fois, selon l'une d'elles. "Je veux bien l'égalité des sexes, dit une autre, je veux bien tout ce que vous voulez. Mais on va faire quoi face à eux (les prévenus, ndlr), sérieux ? Je ne comprends pas leur intérêt de se battre contre des personnes plus faibles, face à qui l'on sait qu'on va gagner. Pourquoi ? C'est ce que je voudrais savoir." À la première femme attaquée, le procureur Étienne Moreau demande: "Vous donneriez quoi comme conseil à votre fille si elle se faisait insulter dans la rue ? De répondre ou de se laisser faire ?" La victime hésite, puis répond : "Il ne faut pas se laisser faire".
"Bâillonner"
Sur le banc des parties civiles, les questions et les attentes sont nombreuses, la souffrance réelle. Et l'impossibilité d'entendre la contradiction souvent criante. Un à un, lors d'une audience tendue, des avocats de la défense le font remarquer
en rappelant "le principe du contradictoire", comme Me Laurent Bizien dans ses nombreux éclats face à la présidente Annabelle Le Texier. "Le principe même d'un procès en France est de pouvoir interroger les victimes, soulève Me Fadila Tabani-Surmont face à l'opposition d'une des femmes. On relève simplement des contradictions" entre les témoignages. "On est déjà masqué, Madame la présidente. Si en plus on se fait bâillonner...", abonde, agacé, Me Laurent Pascal.
Une certitude, prévenus et victimes étaient tous alcoolisés cette nuit-là. Le reste est plus flou: parmi les agresseurs, l'un portait un "tee-shirt jaune", un autre avait "la peau noire" et "un tee-shirt noir"; on parle d'une béquille, d'un homme avec un bras en écharpe. Il y a aussi des traces ADN des victimes retrouvées sur deux des mis en cause, et les images nocturnes de vidéo-surveillance. Les prévenus contestent, à des degrés divers, leur participation aux faits et toute la difficulté pour le tribunal est de déterminer l'auteur de chacun des faits, alors que la scène était "dynamique", souligne Me Julien Charle en défense. Dans ces conditions, "difficile de dire qu'on a tout vu", considère l'avocat.
Poursuivis pour des violences volontaires aggravées ayant parfois entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, les cinq prévenus originaires de Haute-Savoie, âgés de 22 à 25 ans, pour certains en état de récidive légale, encourent des peines de sept à vingt ans de prison. Le procès se poursuit mercredi.