En Haute-Savoie, le massif des Aravis fait figure d'exception. À la fois proche des grandes villes et ancré dans ses traditions, il a su sauvegarder son art de vivre malgré la forte pression touristique. Le Grand-Bornand est un village qui reste vivant, même en intersaison...
La pluie qui tombe sans discontinuer sur les Alpes depuis le début de ce printemps maussade fait quelques heureux... L'herbe, déjà bien verte, réjouit tous ceux qui pensent à leurs vaches. Il faut dire que la vallée du Grand-Bornand compte une quarantaine d'exploitations agricoles, ce qui change fondamentalement l'esprit de ce massif. Certes, les remontées mécaniques sont bien présentes sur les ubacs, et l'activité touristique, en sommeil en intersaison, reste bien le nerf de la guerre pour les habitants.
Mais en ce mardi pluvieux, le village n'est pas mort... Le marché est en place autour de l'église, et les gens viennent papoter sous la halle, à l'abri des caprices du ciel. Au loin, les clarines donnent aux paysages un relief particulier. Une montagne vivante et habitée, en grande partie grâce à l'agriculture qui maintient la vie après la saison d'hiver.
Certes, le village du Grand-Bornand n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de la ville d'Annecy et de toutes ses commodités. Cela facilite l'installation des familles qui trouvent ici un équilibre rare en montagne, entre un cadre de vie idéal et la proximité des centres urbains. En contrepartie, l'immobilier y est devenu très cher, pour les mêmes raisons... Il faut dire aussi que l'urbanisme de ces stations est un modèle du genre. Les nouvelles constructions répondent à un cahier des charges qui encourage à respecter les formes, les volumes et les matériaux des chalets traditionnels d'alpage. Aussi, bien que soumis à une très forte pression touristique et immobilière, les villages et hameaux offrent une harmonie architecturale réussie. Tout semble fait pour répondre à la carte postale idéale du pays de Heïdi, un petit air de Suisse, en quelque sorte.
▶️ REPLAY Chroniques d'en Haut : Aravis, la montagne vivante
Mais le supplément d'âme du Grand Bornand tient en grande partie à ses agriculteurs, présents toute l'année, et qui animent à la fois la vie du village et les alpages. Les vaches font partie d'un paysage qui semble dessiné pour elles, tant l'herbe est verte et dense, les pentes accueillantes, et les fermes disséminées un peu partout sur les adrets.
Philippe Missilier est le descendant d'une famille d'agriculteurs au Grand Bornand depuis des générations. En famille, ils fabriquent le fameux reblochon, le trésor des Aravis. Un des plus anciens fromages protégés par AOP, qui donne une forte personnalité à ce massif.
Depuis des générations, la montagne est entretenue par les agriculteurs, qui ont enlevé les cailloux des moindres pentes, qui ont fauché jusqu'aux plus hautes parcelles tant la richesse suprême, à l'époque, était l'alpage
Philippe Missilier
Philippe se tourne vers la montagne juste au-dessus de sa ferme. Il me montre la pente bien verte, et les pierriers au bas du pré. "Ces cailloux témoignent du travail de nombreuses générations avant nous. Inlassablement, jour après jour, les paysans enlevaient les pierres des champs et les entassaient au même endroit, pour faciliter le travail de fauche. Même la plus haute parcelle, qui semble inaccessible, était fauchée... La plus grande des richesses, autrefois, c'était la terre".
Ses vaches, il les connaît toutes par leur prénom, et les différencie d'un coup d'œil de celles de son voisin d'alpage. Mais l'une d'elles avait fait sa fierté, la fameuse Abondance nommée "Neige", qui avait été l'égérie de l'un des derniers salons de l'agriculture à Paris. La récompense suprême, pour ce fils et petit-fils d'agriculteur, spécialiste de la race Abondance, et qui connaît la valeur du travail bien fait. En discutant avec lui, on sent l'homme heureux et fier de ses vaches. Dans un massif où l'agriculture de montagne a su, non seulement cohabiter, mais aussi tirer le meilleur parti du tourisme : il n'est pas un cas isolé.
Le magnétisme des Aravis a su également convaincre son gendre Corentin. Ce trailer renommé a quitté sa Belgique natale (et surtout trop plate à son goût) pour les sommets acérés de Chamonix. Il a couru la vallée de long en large, de haut en bas, explorant cette troisième dimension que son pays ne lui offrait pas. Mais c'est avec une native du Grand Bornand qu'il a découvert la 4ᵉ dimension, celle qu'on ne voit qu'avec le cœur... Corentin est donc venu s'installer ici auprès de sa femme, et est devenu le gendre de Philippe.
Je ne me lasse jamais de courir dans ses paysages à la fois doux et impressionnants. La pluie, les nuages ne sont pas un souci, au contraire : cela rend chaque instant plus rare et modifie la perception qu'on a du paysage. Quand on aime la montagne, on l'aime en toute saison et par tous les temps
Corentin, trailer, et éducateur spécialisé
Parfois, Corentin aide la famille aux travaux des champs, pour lesquels il ne cache pas son admiration. Ces gestes ancestraux, ces paysages qu'on entretient depuis si longtemps, ça le touche beaucoup. Tout comme le savoir-faire des fromagers qui fabriquent le reblochon, ici, dans la ferme d'alpage de Philippe, à 1600 mètres d'altitude. Dès qu'il a une minute, il part en courant dans la montagne, s'entraîner pour le trail. Mais son métier, à lui, c'est éducateur spécialisé. Que ça soit des personnes en situation de handicap, ou en échec scolaire, voire en difficulté avec la société : la montagne, il l'assure, est la meilleure école qui soit. Elle personnalise l'effort et la résilience, et donne une récompense plus subtile et méritée que les addictions faciles du monde moderne. Même s'il continue à s'entraîner parfois sur les hauts sommets de Chamonix, c'est ici qu'il se sent bien, en famille, comme si ce Belge néorural avait toujours vécu là...
L'harmonie paisible et authentique que dégage cette vallée, soulignée par la beauté des chalets d'alpage, se ressent hors saison, lorsque les touristes sont partis. Ils ne s'absenteront pas bien longtemps d'ailleurs, car au Grand Bornand la saison estivale est aussi animée qu'en hiver. Mais le village, fort d'environ 2000 habitants, à une altitude modeste, mais accueillante de 950 mètres seulement, ne perd rien de son charme lorsque l'intersaison permet de retrouver ceux qui, toute l'année, en font l'âme bien vivante.
▶️ "Aravis, la montagne vivante" un magazine de 26 minutes présenté par Laurent Guillaume, réalisé par Marc De Langenhagen, diffusé le dimanche 23 juin à 12H50 dans "Chroniques d'en Haut" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes, à revoir en REPLAY sur france.tv