"Le Sommet des Dieux" : "La montagne est une recherche de l'absolu" pour le réalisateur du film Patrick Imbert

Le film d'animation "Le Sommet des Dieux", sorti le 22 septembre, a rencontré un important succès critique. Cette adaptation d'une œuvre japonaise évoque l'ascension du mont Everest, mais aussi, le rapport de l'homme avec la montagne et ses dangers. Entretien avec le réalisateur Patrick Imbert.

"Grimper. Grimper encore. Toujours plus haut. Et après ?", s'interroge le personnage central du film "Le Sommet des Dieux". Sort le 22 septembre dernier, cette adaptation animée du manga de Jirô Taniguchi (lui-même adapté du roman, non-traduit en français, de Baku Yumemakura) a séduit le public et les critiques.

L'intrigue d'un jeune journaliste à la recherche de l'appareil photo de George Mallory (un alpiniste aperçu pour la dernière fois sur la crête nord de l'Everest, en 1924), mais aussi le réalisme des images et la minutie avec laquelle est représentée la nature, ont participé à ce succès. Pour le réalisateur Patrick Imbert, l'œuvre permet également d'aborder le comportement de l'homme face à la montagne et ses dangers.

Vous avez travaillé jusque-là sur des films destinés à un plus jeune public (Ernest et Célestine, Le Grand Méchant Renard et autres contes...), comment en êtes-vous arrivé à un film pour adulte sur l'alpinisme ?

Par un jeu de circonstances. Avant ce film, je ne connaissais pas grand chose à l'alpinisme. C'est le producteur, Jean-Charles Ostorero, un passionné d'alpinisme et de l'œuvre de Jirô Taniguchi (l'auteur du manga "Le sommet des Dieux", lui même adapté du roman de Baku Yumemakura), qui m'a proposé de travailler dessus. À cette époque, j'étais juste designer, je dessinais des personnages. De fil en aiguille, la sauce a pris et il m'a proposé de réaliser cette adaptation.

Je ne connaissais rien à l'alpinisme et à son univers. Mais, le manga et cette fabuleuse histoire m'ont beaucoup aidé. J'avais aussi beaucoup envie de faire de l'animation tournée vers les adultes. Ça correspond davantage à ma sensibilité.

En toile de fond, il y a l'histoire vraie de George Mallaury, mais ce film traite surtout de la relation entre l'homme et la montagne. C'était quelque chose de voulu ?

Étant donné que je ne connaissais pas la montagne, l'aspect historique m'était assez étranger. Qui a grimpé quoi et à quel moment ? Qui a fait l'Everest en premier ? Qui l'a fait le plus vite ? Je ne dirais pas que je m'en fiche, mais ce n'est pas ce qui était intéressant pour moi.

Le rapport de l'homme avec la nature, pourquoi l'homme doit aller au bout de certaines choses... C'est ça qui m'a intéressé. La montagne est une recherche de l'absolu. C'était important de faire ressortir ça. Ça parle plus au grand public. Je voulais faire un film accessible à tous, pas quelque chose de trop pointu, uniquement destiné aux alpinistes.

Vous traitez la nature de manière très simple et très réaliste. Les paysages et les sons de la montagne sont ultra détaillés. Comment en êtes-vous arrivés à ce résultat ?

On travaille avec tout ce qu'on a sous la main. Au cinéma, on a de l'image, on a du son, de la musique. On s'est beaucoup documenté sur la montagne, pour ne pas faire n'importe quoi. D'autant plus qu'il s'agit de passages réels, bien précis, dans les montagnes, que ce soit sur l'Everest ou dans les Alpes.

Le bruitage, le sound design, le silence lorsque les personnages grimpent... Ce sont des moments où on fait parler les montagnes. On entend les craquements des glaciers, le vent, le bruit des avalanches et de la roche, les pas dans la neige. C'est aussi ce genre de choses qui donnent corps au milieu. On se sent immergé. La musique ne sert qu'à accompagner certains moments. Elle doit donner une gueule au récit : quand les personnages commencent leur expédition, on doit se retrouver dans un milieu lunaire, loin de tout.

Vous parlez des silences, il y a peu de dialogue dans les scènes d'ascension, c'était voulu ?

Le film aborde la combe ouest de l'Everest. C'est un goulot très large, presque abrité. Le calme s'y prête bien. Puis ça permet de jouer sur les contrastes. Au milieu de ce grand silence, les avalanches prennent une ampleur plus importante !

Vous n'êtes pas alpiniste, comment a donc fonctionné le travail de documentation ?

Ça commence de manière assez simple : Internet. La montagne est une passion qui est très partagée et très documentée. On trouve, sur le net, des milliers d'heures de films, pros ou amateurs, des documentaires, des images... On a tout ce qu'on veut ! On s'est beaucoup appuyé dessus.

Reste qu'après tout ce premier travail, on est un peu noyé sous cette documentation. On a donc fait appel à deux alpinistes, dont un qui a déjà gravi l'Everest. Il nous a fait part de son expérience, ce qui a permis de toucher du doigt ce qu'on ne voit pas forcément : les difficultés d'avancer, le moindre pas qui peut prendre des plombes, comment on peut mettre un quart d'heure pour faire ses lacets, le bruit du vent sur la toile de la tente qui empêche de dormir...

Un autre intervenant, membre du club alpin français, est également venu plusieurs fois au studio avec tout son matériel, ses cordes, ses mousquetons. Il nous a fait des démonstrations et on a pu filmer, en vrai, des scènes du film. On s'est rendu compte de toutes les contraintes de l'alpinisme. C'est assez compliqué. Je ne suis pas sûr que je referai un film sur la montagne.

Ça ne vous a pas donné envie de faire de l'alpinisme du coup ?

Je m'en tiendrai aux randonnées, aux balades. J'adore la montagne, mais plus l'été sur les sentiers (rires). Je ne ferai pas d'alpinisme tel qu'il est décrit dans le film.

Vous arrivez quand même à comprendre Habu Jôji, un des personnages du film, qui a une boulimie pour l'altitude et le danger ?

Ce qui m'a fasciné, c'est son rapport face au danger potentiel. L'alpinisme est un "sport" super risqué. Par exemple, quand j'ai vu ce qu'ont tenté Elisabeth Revol et son compagnon de cordée Tomek Mackiewicz sur le Nanga Parbat, je me suis dis que c'était ultra dangereux. Ils font quelque chose d'insensé, en sachant que Tomek avait plusieurs enfants. Je trouve ça fou. C'est assez loin de moi, tout ça.

 

Jean-Michel Asselin : "Un de mes collègues a pleuré à la fin du film"

L'alpiniste Jean-Michel Asselin a mené des expéditions dans l'Himalaya. Il s'est essayé à l'ascension de l'Everest à plusieurs reprises et par différentes voies, échouant par deux fois à quelques mètres du sommet. Il avoue avoir été séduit par le film d'animation :

"J'ai vu le film à deux reprises. J'ai trouvé ça génial, tout tient la route. La précision des décors, la minutie des gestes, les sons... C'est très réussi. Même le cadavre de George Mallory est représenté tel qu'il a été réellement trouvé en 1999.

Un de mes collègues m'a avoué qu'il avait pleuré à la fin du film. On retrouve des choses qu'on a vécues personnellement, comme les difficultés liées à certaines ascensions ou la mort en pleine montagne.

L'Everest est devenu une autoroute ces dernières années. Mais, le film prend le contre-pied de tout ça. Il véhicule des valeurs fortes : d'une certaine manière tout le monde s'en fiche que telle ou telle personne se retrouve à être la 9 370e personne à atteindre le sommet. L'alpinisme, c'est autre chose, c'est la force de la nature."

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