L'association des "Aînées pour le climat", constituée exclusivement de retraitées suisses, a fait condamner l'Etat suisse, ce mardi 9 avril, pour son inaction face au changement climatique. Rencontre avec sa co-présidente, Anne Mahrer, 75 ans.
"Cette journée a été exceptionnelle. Je ne suis pas encore vraiment remise", avoue Anne Mahrer à la sortie de son train. Cette Genevoise de 75 ans, bibliothécaire de métier, a remporté une grande victoire : ce mardi 9 avril, avec l'association des "Aînées pour le climat" qu'elle co-préside, elle a fait condamner pour la première fois un Etat, la Suisse, pour son inaction face au changement climatique.
La décision a été rendue, mardi à Strasbourg, par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) : "C'est une victoire incroyable. La cour a rendu un arrêt de 300 pages où elle décrit concrètement les manquements de la Suisse. Un pays comme la Suisse, qui n'a pas de budget carbone et qui n'a pas d'objectif clair pour arriver à zéro émission nette en 2050, c'est inouï", a-t-elle réagi après la décision.
"La Suisse est un Etat plutôt riche avec des ressources naturelles, un savoir-faire, des hautes écoles, une économie florissante... Alors si la Suisse n'arrive pas à réduire ses émissions de gaz à effet de serre, qui le pourra ? Le fait que la Suisse soit condamnée, je vois ça comme un très beau symbole. Les Etats qui ont les moyens de faire cette transition doivent le faire", a ajouté Me Raphaël Mahaim, avocat de l'association "Les Aînées pour le climat".
Un combat depuis 2016
Pour Anne Mahrer, il s'agit d'une victoire après une longue bataille juridique. L'association, qui compte désormais près de 2 500 membres, exclusivement des retraitées suisses de plus de 64 ans, se bat depuis 2016 pour le droit à la vie. "Pendant toutes les canicules, il y a eu énormément de décès. Tous les rapports depuis 2003 ont été étudiés. On voit bien que dans les statistiques, les personnes âgées ont été touchées, mais les femmes en particulier. C'est ce qui a motivé ce groupe de femmes âgées à créer cette association pour rentrer dans l'action judiciaire. Mais, bien entendu, si nous gagnons, tout le monde gagne", a-t-elle raconté pour expliquer l'origine des "Aînées pour le climat".
Leur requête a été rejetée par toutes les instances en Suisse, y compris le tribunal fédéral. Mais les "Aînées pour le climat" ont persévéré et ont présenté un recours à la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) à Strasbourg en novembre 2020.
La Cour a accepté leur requête et l'a portée devant la Grande Chambre, composée de 17 juges, qui a rendu son verdict mardi : "Nous avons rencontré des juges courageux, qui ont même voté à l'unanimité un des articles que nous dénoncions. C'est très fort", sourit Anne Mahrer.
Veiller au respect des obligations
Au moment de la décision, Anne Mahrer et ses partenaires ont eu du mal à réaliser cet "événement exceptionnel" : "On s'en rendait compte au fur et à mesure de ce qu'annonçait la présidente de la cour. Ça allait crescendo dans le bon sens. On pouvait se réjouir. Puis, nous nous sommes retrouvés tranquillement dans une salle, avant de faire face à un mur de journalistes. C'était très impressionnant, il y avait la presse du monde entier. On montrait l'exemple. C'est très réjouissant d'avoir un arrêt aussi fort."
La suite pour ces "aînées" ? Poursuivre le combat et veiller au respect des obligations de la Suisse : "Les arrêts de la cour sont contraignants. La Suisse doit donc se conformer à l'arrêt. Un comité des ministres, rattaché au Conseil de l'Europe, doit contrôler que les arrêts de la cour soient respectés. Mais nous allons aussi surveiller de très près que les arrêts soient mis en œuvre."
Cette décision de la CEDH pourrait faire jurisprudence alors que les Etats s'étaient engagés, dans le cadre de l'Accord de Paris, à limiter le réchauffement de la planète "bien en deçà" de 2 degrés depuis l'époque préindustrielle (1850-1900), et de 1,5 degré si possible.
Or, avec un nouveau record de températures en mars, les 12 derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés dans le monde, a annoncé mardi l'observatoire européen Copernicus.