Le Haut-Savoyard a terminé la course à la voile en 26ème position. De retour près de Chamonix, l'ancien skieur freeride devenu skipper, partage sa déception de n'avoir pas pu jouer la gagne. Une avarie et la météo ont contrarié ses plans de victoire.
C'est le cœur lourd et le regard triste qu'Aurélien Ducroz est rentré, chez lui, dans la vallée de Chamonix, en Haute-Savoie. Un retour sur ses terres de montagne après vingt jours passés en mer à poursuivre son rêve de victoire sur la Transat Jacques Vabre entre Le Havre et Fort-de-France.
Pour sa cinquième participation, il visait la gagne, lui qui s'était déjà classé troisième et cinquième de la course.
Mais le film de sa transat a été écrit par un scénariste avide de rebondissements, et pas vraiment amateur de happy end. Son bateau, Crosscall, a franchi la ligne en 26e position sur un total de 37 bateaux arrivés à bon port en Martinique.
Un départ du Havre époustouflant
"Sportivement, ce n'est pas ce que l'on attendait. Après, une transat, ce n'est pas qu'une transat, c'est aussi une aventure. On a vécu une aventure qui n'était pas celle que l'on voulait", analyse le skipper.
Lors du départ au Havre, le 29 octobre, dès les premiers bords, Aurélien Ducroz et Vincent Riou, son coéquipier, étaient prêts à mener leur Class40, un voilier monocoque de 40 pieds, à toute allure.
"Lancer 45 bateaux à 40 nœuds, de front, ça ne s'était jamais vu. Ils ont osé le faire. C'était hyper impressionnant et assez magique. Ce départ a donné un rythme assez hallucinant à la course, d'entrée, avec trois à quatre mètres de houle", raconte le skipper de Crosscall.
Les équipages étaient prévenus : en raison de la tempête Ciaran, la course à la voile se déroulerait en deux étapes. Le premier tronçon s'est avéré "costaud" et s'est vite transformé en sprint vers Lorient avec quarante nœuds de moyenne pendant vingt-quatre heures.
Une avarie mécanique quelques heures après Lorient
Les concurrents ont ensuite patienté pour reprendre la mer. Le deuxième départ a été donné le 6 novembre. C'est à partir de ce moment-là que les ennuis ont commencé pour l'équipage.
"On repart de Lorient et six heures après le départ, on a le point d'accroche de drisse (la corde permettant de hisser la voile, NDLR), de la grand voile, qui s'est brisé. C’est un axe en métal qui était neuf, le mât est neuf, donc on ne sait pas trop ce qu'il s'est passé", explique-t-il.
L'avarie est loin d'être majeure. Elle est même facilement réparable, encore faut-il que la mer soit calme.
"On sortait de la tempête Domingo, on avait un état de mer énorme, il y avait cinq mètres de creux et donc, dans ces conditions, il était impossible de monter au sommet du mât".
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Revenir dans le match
Les deux hommes n'ont d'autre choix que de faire demi-tour et rallier Lorient pour disposer de conditions plus clémentes. Après six heures de navigation, ils parviennent à réparer ce petit axe de quelques centimètres. L'opération n'aura pris qu'une vingtaine de minutes, mais elle coûte cher. Crosscall enregistre désormais près de dix heures de retard sur la tête de la course.
Mais les deux skippers réussissent à raccrocher les wagons et à revenir sur l'arrière de la flotte. Ils reprennent espoir avant de déchanter à nouveau.
"T'es revenu dans le match, tu recommences à redoubler des bateaux. On arrive au Portugal, on a 120 miles de retard sur la tête de la course. Et là, en fait, il y a une dorsale. C'est une extension d'un anticyclone, donc c'est comme une zone sans vent qui s'étend. Et cette dorsale a barré la route entre nous et tout le groupe des bateaux à l'avant. On y a passé 48 heures", se désole le Haut-Savoyard.
Les dieux de la météo ne sont pas avec eux
Pétole, plus de vent, les écarts se creusent, le bateau compte désormais 400 miles de retard, soit à peu près 800 km.
Compétiteurs, les deux marins ne lâchent rien, tant que les côtes de la Martinique ne sont pas en vue.
"On a toujours espéré, travaillé sur le bateau, on s'est battus en espérant qu'il y ait un coup de frein devant mais c'est une énorme déception", admet Aurélien Ducroz.
Les deux hommes franchiront finalement la ligne d'arrivée après 20 jours, 17 heures, 33 minutes et 42 secondes en mer.
Sur les réseaux sociaux, le skipper a tenu un carnet de bord numérique, alimenté par ses réflexions. Il y raconte sa "mise à l’épreuve hors norme".
"J’aurais tellement aimé jouer la bagarre avec les copains, avoir l’adrénaline des longs bords à essayer de gagner le moindre mètre sur son voisin, se raconter quelques conneries à la VHF à des heures pas possibles. Mais cette année, c’est isolé que nous avons vécu cette Transat, sans portée VHF, isolé de compétition, isolé d’adrénaline, isolé de concurrence et d’espoir. C’est pour moi une grande leçon, une grande leçon d’humilité face à l’élément et à l’adversité", écrit-il.
S'évader en montagne avant de reprendre la mer
Pour Aurélien Ducroz, "c’est un vrai échec" qui fait mal parce qu'il ne l'avait pas envisagé, pas après son démâtage sur la Route du Rhum.
"C'est dur parce que ce sont des gros projets qui sont lourds à porter sportivement, qui sont complexes, qui sont onéreux et quand, au bout de quatre jours, tu t'aperçois que l'histoire va être écrite et que ça va être compliqué de revenir, c'est hyper dur moralement".
"Au final, c'est un axe en métal de trois centimètres qui nous a fait perdre", continue-t-il.
Le moral est en berne, il faut encaisser l'échec, se vider la tête dans le blanc immaculé d'autres étendues sauvages. "Il va falloir analyser tout ça, reconstruire le moral en faisant autre chose, j'ai l'avantage de pouvoir m'évader en montagne", indique l'ancien double champion du monde de ski freeride.
Après cette période nécessaire de repos, Aurélien Ducroz entend bien reprendre la mer, dès le mois d'avril. Il s'élancera en solitaire sur The Transat, entre Lorient et New York, pour tenter, une nouvelle fois, d'être le plus rapide à traverser l'Atlantique à la voile.