VIDEO. "Qui peut supporter des hausses pareilles ?" : face à l'explosion des loyers, les commerçants historiques désertent le centre-ville de Turin

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La mutation de Turin en capitale touristique s'est accompagné d'un intérêt croissant des grandes enseignes mondiales pour certaines rues du centre historique...au point d'en chasser les commerçants turinois historiques. ©France 3 alpes

Dans le top 8 des villes les plus visitées en Italie, Turin attire toujours davantage les grandes enseignes internationales. Seules en mesure d'affronter l'inflation du prix des baux, elles remplacent petit à petit les commerçants traditionnels contraints de quitter les rues les plus prisées du centre-ville.

"On en a marre des reportages ! Tous les journaux en parlent... Maintenant, ça suffit !"

Joint par téléphone, ce commerçant de la galleria Subalpina située dans le centre historique de Turin, ne cache pas son énervement. Il n'en dira pas plus sur l'explosion des loyers dans les rues les plus prisées de la ville.

Le sujet est sensible. Un autre commerçant, qui nous avait donné rendez-vous, décline finalement l'invitation, ne souhaitant plus s'exprimer : "Je suis désolé, mais je préfère ne pas vous rencontrer aujourd'hui. J'ai eu l'un des avocats du fonds de pension propriétaire de la galerie. Il m'a dit qu'il serait préférable pour moi de ne pas faire trop de publicité autour de cette affaire, surtout dans la phase actuelle de renégociation du prix de mon loyer", nous explique-t-il finalement, visiblement gêné.

"Cette pression pour limiter les déclarations polémiques, je la vois comme la volonté des Américains de trouver un accord avec nos petits entrepreneurs. Du moins, je préfère la voir de cette façon", commente pour sa part la présidente de l'ASCOM Torino, l'association des commerçants de Turin.

Des loyers trois à cinq fois plus chers

Maria Luisa Coppa ne se fait pas vraiment d'illusions sur l'issue de la bataille qu'elle mène pour défendre ses "commerçants historiques" : une douzaine de restaurateurs, antiquaires, libraires ou tenanciers de café historique, tel le prestigieux "Baratti et Milano"...

Tous ont reçu, à la fin de l'année dernière, le montant des loyers fixés par le nouveau propriétaire de la splendide galerie de style "belle époque" qui abrite leurs commerces. Un fond de pension américain nommé Blackstone, a acquis la galleria Subalpina fin 2022 (on parlait alors d'une transaction autour d'un milliard d'euros) et il entend bien profiter de l'arrivée à échéance des baux de la grande majorité de ces commerçants turinois, pour revoir à la hausse leurs contributions. 

Et quelle hausse ! Des loyers multipliés par trois pour certains petits commerces, voire par cinq pour les plus importants. 

"Qui peut supporter des hausses pareilles ? Certainement pas les boutiques actuelles", commente pour sa part Barbara Manduco, agent immobilier. De là à soupçonner une volonté délibérée du fonds de pension américain de vouloir chasser la douzaine de commerçants installés là, depuis des décennies, afin de les remplacer par de grands groupes prêts à payer cher pour une vitrine de prestige, il n'y a qu'un pas. D'où la polémique qui enfle depuis plus d'un mois dans la ville, par articles de presse interposés. 

A une centaine de mètres de là, pourtant, la situation est bien différente. En effet, ici, dans la galleria Umberto I, la plus ancienne de la ville, pas de fonds américain. Uniquement des propriétaires locaux. Et les loyers y sont beaucoup plus abordables.

"Personne n'oublie que l'on est à peine sorti de la période du Covid", explique Davide Lantermino, un autre agent immobilier. Tous les commerçants dont le local appartenait à des propriétaires de bonne foi ont renégocié à la baisse leur bail. Il n'y a que ceux dont le magasin était détenu par des requins qui ont dû mettre la clef sous la porte."  

Via Roma, la vitrine des multinationales

Plus que choquant, le cas de la galleria Subalpina est peut-être davantage encore inquiétant pour les acteurs du commerce turinois. "Je n'ai rien contre les grandes firmes multinationales de la mode, du luxe ou les grandes chaînes mondiales," se justifie la représentante des commerçants turinois. "Comme beaucoup ici, je me suis réjouie de leur arrivée il y a une dizaine d'années. Mais quand on voit ce qu'elles ont fait de la Via Roma ou de deux ou trois autres endroits prisés du centre historique... Il n'y a plus un seul commerce turinois, piémontais ou italien, la plupart du temps. Il ne faut pas exagérer tout de même. Les commerces locaux qui représentent le cœur, l'âme de notre ville, il faut les défendre".

Le discours n'est pas très différent à la mairie où l'on constate, sans avoir les moyens réglementaires d'y remédier, la création d'un commerce de centre-ville à deux vitesses. "C'est l'une des forces de Turin de proposer désormais les mêmes grandes enseignes que l'on trouvait auparavant seulement à Milan ou Rome," explique Paolo Chiavarino, l'adjoint au commerce du maire de Turin. "Mais on a désormais trois zones du centre-ville où elles se sont concentrées. Il est clair que c'est le marché qui décide, mais cela fait réfléchir quand même."

Trois chasses gardées d'opérateurs du commerce mondial qui seront certainement bientôt au nombre de quatre dans le centre-ville de Turin. Si aucun accord n'est trouvé entre la douzaine de "David" de la galleria Subalpina et le "Goliath" américain des fonds de pension, on pourrait bientôt voir les élégantes vitrines boisées à la parisienne, flanquées des clinquants logos des plus grandes enseignes mondiales. 

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