Le coût réel du nucléaire a été sous-évalué, les énergies renouvelables seraient plus compétitives.
La filière nucléaire fait la une de l'actualité avec un rapport de la Cour des comptes sur le sujet. Il s'agissait d'étudier le coût réel de l'énergie nucléaire en France : de la construction des réacteurs à la gestion des déchets radioactifs.
La Cour des comptes a publié ce mardi un rapport sans précédent sur l'ensemble des
coûts liés à la production d'électricité nucléaire en France.
Elle pointe des incertitudes sur les charges futures mais l'addition est appelée de toute façon à grimper.
D'après ce rapport de près de 400 pages, qui avait été commandé l'an dernier par le gouvernement après la catastrophe de Fukushima, les investissements publics et privés réalisés depuis le début dans la filière française d'électricité nucléaire, d'un montant colossal, sont néanmoins bien "identifiés", avec une addition "toutes dépenses confondues" évaluée à 228 milliards.
Le montant total de la construction des installations nécessaires à la production d'électricité nucléaire est chiffré à 121 milliards d'euros (hors coût de Superphénix), et le parc actuel, composé de 58 réacteurs, dont les plus anciens (Fessenheim 1 et 2) sont entrés en service en 1978, a coûté à lui seul 96 milliards.
Les dépenses de recherche publiques et privées depuis les années 1950 sont de leur côté évaluées à 55 milliards, soit environ un milliard par an.
Par ailleurs, l'institution de la Rue Cambon a prévenu que les charges futures assumées par les opérateurs sont très incertaines "par nature", du fait de multiples inconnues liées au démantèlement des installations nucléaires et à la gestion à long terme des déchets radioactifs, par manque d'expérience et parce que certains choix ne sont pas encore arrêtés. D'où des risques d'augmentation "probables".
De plus, la Cour a calculé que les dépenses de maintenance des installations nucléaires allaient plus que doubler sur la période 2011-2025, à 3,7 milliards par an en moyenne, contre 1,7 milliard en 2010.
Un "document vérité"
Cette opération vérité a été réalisée à la demande du gouvernement face aux polémiques récurrentes sur le coût réel du nucléaire.
S'exprimant avant la publication de ce rapport, la ministre de l'Ecologie Nathalie
Kosciusko-Morizet avait affirmé que malgré les incertitudes relevées par la Cour, le nucléaire restait une énergie "peu chère".
A l'inverse, la candidate écologiste à la présidentielle Eva Joly a jugé que ce "document vérité" allait "bouleverser l'idée que l'énergie nucléaire est une énergie pas chère".
Encore plus critique, l'Observatoire du nucléaire a jugé que ce rapport marque "la fin de 50 ans de mensonges de la part des promoteurs de l'atome, qui n'ont cessé de prétendre que l'électricité d'origine nucléaire était de loin la moins chère".
Le président Nicolas Sarkozy avait accepté au printemps dernier le principe de cet audit, qui avait été réclamé par des ONG après la catastrophe nucléaire de Fukushima.
Une expertise aussi détaillée et systématique n'a jamais été effectuée en France, championne de l'atome, alors que le coût réel du nucléaire oppose régulièrement ses défenseurs et ses adversaires, ces derniers soupçonnant les premiers de chercher à le minimiser.
Ce rapport est par ailleurs présenté en plein débat sur la part du nucléaire dans la production française d'électricité, actuellement autour de 75%.
Le Commissariat à l'énergie atomique a publié ce mardi une étude qui montre qu'une sortie complète du nucléaire coûterait entre 530 et 772 milliards d'euros, soit environ le triple d'un maintien du nucléaire à son niveau actuel.
L'heure des choix est venue
La Cour des comptes a prévenu que la France devait faire des choix dès maintenant sur sa politique énergétique et l'avenir de son parc nucléaire, soulignant que dans tous les cas, il faudrait réaliser de lourds investissements pour maintenir la production d'électricité.
"D'ici la fin de l'année 2022, 22 réacteurs sur 58 atteindront leur 40e année de fonctionnement", et s'ils n'étaient pas prolongés, "il faudrait un effort très considérable d'investissement permettant de construire 11 EPR d'ici 2022", a déclaré Didier Migaud, premier président de la Cour des Comptes. Selon lui, un tel effort "parait très peu probable, voire impossible, notamment pour des considérations industrielles", et faute d'avoir pris des décisions "explicites" en ce sens, la France sera contrainte de faire durer les centrales existantes au-delà de 40 ans, à moins d'investir massivement dans les énergies renouvelables, ou de réduire la consommation d'électricité.
"Ne pas décider revient à prendre une décision qui engage l'avenir, et il est souhaitable qu'une décision explicite soit prise", a plaidé M. Migaud.
Le Premier ministre François Fillon a réagi à cet avertissement en indiquant que le gouvernement préciserait ses choix "sur la durée de fonctionnement des centrales nucléaires ou la construction de nouveaux réacteurs", mais dans le cadre d'un programme
d'investissements qui sera élaboré "à partir de l'été 2012", c'est-à-dire après les échéances électorales du printemps.