De nombreux touristes sont attendus dans les stations de ski des Alpes dès ce vendredi 17 décembre et le début des vacances de Noël. L'Alpe d'Huez, comme d'autres stations, va devoir faire face au manque de saisonniers et de touristes britanniques.
La neige toute fraîche luit gaiement au soleil, la clientèle est dûment vaccinée et impatiente de chausser : la grande machine du ski reprend enfin dans les stations françaises, à deux jours des vacances de Noël. Mais en coulisses, le grain de sable guette car la main d'œuvre manque cruellement.
Ils et elles sont femmes de chambre, serveurs, commis de magasins, pisteurs ou encore conducteurs d'engins de damage. Ce sont eux qui s'acquittent discrètement de la plus grande partie du travail généré par les vacanciers.
Ils étaient 58 000 en poste dans les stations de ski durant la saison d'hiver 2019-2020. Les effectifs ont baissé de 58 % entre décembre 2020 et mars 2021, selon le ministère du Travail.
Des manques partout
L'Alpe d'Huez, station prisée des Britanniques, emploie à elle seule de 3 000 à 4 000 saisonniers à son pic d'activité lorsque sa population enfle jusqu'à 26 000 personnes (contre 1 500 à l'année), selon François Badjily, directeur de l'Office du tourisme.
La saison 2019/2020 a été interrompue par le Covid-19. La suivante a été anéantie. Privés de travail pendant de longs mois, les saisonniers ont saisi l'occasion pour se reconvertir ou se sédentariser.
À quelques jours des vacances de Noël, les réservations s'annoncent bonnes pour l'hiver malgré la cinquième vague et la possible annonce de nouvelles mesures dans la foulée d'un conseil de défense sanitaire vendredi.
Mais plus de 2 000 postes de saisonniers restent à pourvoir en Savoie et Haute Savoie selon l'agence Pôle Emploi. À l'Alpe d'Huez, il y en a plus de 60. Comme à l'échelle nationale, l'hôtellerie et la restauration sont les plus touchées, confirme M. Badjily, avec entre 5 et 10 % d'effectifs manquants.
Les salaires augmentés à l'Alpe d'Huez
Certains employeurs ont vu s'évaporer les trois quarts de leurs effectifs et ont dû chercher - et former - de nouvelles têtes, parfois jusqu'en Pologne.
Les remontées mécaniques affichent en revanche presque complet selon Alain Mathieu, employé de l'opérateur SATA et délégué syndical Force Ouvrière. Selon lui, "d'autres stations sont beaucoup plus affectées" que l'Alpe d'Huez par la pénurie de main d'œuvre, au point de risquer l'arrêt de certains équipements.
Facteur non négligeable, les salaires viennent d'être augmentés de 3,2 % : "Cela faisait très longtemps qu'il n'y avait pas eu une telle revalorisation", se félicite-t-il.
"Heures de dingue"
Dans l'hôtel chic des Grandes Rousses, 15 personnes - soit 10 % de l'effectif - manquent et les entretiens d'embauche se poursuivent. L'un des deux restaurants est fermé faute de personnel et la réceptionniste Alia Nourine s'affaire, bien seule, à son poste.
"Je viens à peine de commencer la saison et je fais déjà des heures de dingue et c'est pareil pour tout le monde. Pour le confort des clients également, il faudrait qu'on soit un peu plus nombreux", confie la jeune femme. Heureusement, les touristes "sont compréhensifs, ils voient qu'on est là de 7 à 23 heures".
Je n'avais jamais perçu ça avant.
Patricia Grelot-Collomb, propriétaire de l'hôtel des Grandes Rousses.
La propriétaire de l'hôtel, Patricia Grelot-Collomb, admet que les dix prochains jours relèveront du "challenge". "Une ouverture de saison pour un hôtel est toujours comme une première de théâtre. C'est quand vous montez en puissance la semaine de l'ouverture que les dysfonctionnements apparaissent".
La pénurie de personnel attise une bataille entre stations "très compliquée à gérer", souligne-t-elle, disant s'être aperçue dès le mois d'août que des concurrents tentaient subrepticement de débaucher ses saisonniers d'hiver. "Je n'avais jamais perçu ça avant", dit-elle.
Pour fidéliser son personnel, l'hôtelière se dit particulièrement "vigilante sur la qualité du package" proposé, avec des logements de qualité et des menus élaborés par une diététicienne, du wifi, bref une véritable "qualité de vie en dehors du travail".
Une concurrence "un peu malsaine"
Selon Richard Canale Parola, propriétaire de plusieurs magasins de location de skis, la station souffre surtout d'un manque aigu de logements dédiés : "On n'est plus du tout en capacité de loger nos salariés ici, on en arrive même à une concurrence un peu malsaine entre nous, dans la station", souligne-t-il. D'autant que, selon lui, les saisonniers sont devenus "plus exigeants sur le fait d'avoir chacun leur chambre".
"On a la possibilité de choisir où nous souhaitons travailler cette fois-ci. La tendance s'est inversée, c'est au recruteur de se vendre", se réjouit Alia Nourine, qui dit recevoir sans arrêt de nouvelles propositions d'emploi, souvent à des lieues de ses attentes. "Nous sommes en position de force, nous, saisonniers".
Une saison sans accent britannique
Malgré le manque de saisonniers, la grande machine du ski reprend enfin dans les stations françaises. Mais, elle devra se passer d'une grande partie de sa clientèle britannique, bannie pour cause de flambée du variant Omicron. Le gouvernement français a annoncé, ce jeudi 16 décembre, rétablir, à compter de samedi, l'obligation de "motifs impérieux" pour les voyageurs en provenance et à destination du Royaume-Uni.
Ces motifs "ne permettront pas de se déplacer pour raisons touristiques ou professionnelles", a-t-il précisé. À l'Alpe d'Huez, comme dans d'autres stations alpines, les skieurs britanniques sont habituellement très nombreux.
"Ça nous prive d'un quart de notre clientèle sur une année normale", lâche François Badjily, directeur de l'Office du tourisme. "Nous faisons environ 1,3 million de nuitées dans un hiver, donc en gros c'est 300 000 nuitées qu'on va perdre".
"On ne s'y attendait pas", accorde le responsable. De son côté la Compagnie des Alpes, qui gère une dizaine de grands domaines (La Plagne, Les Arcs, Tignes, Val d'Isère, Méribel etc.), se veut pragmatique : "Nous allons nous adapter et proposer aux clientèles britanniques qui avaient d'ores et déjà réservé dans nos stations de reporter leur séjour plus tard dans la saison", a déclaré à l'AFP son directeur général, Dominique Thillaud.