"2,5 grammes d’alcool, 18 pintes de bière" : un gendarme ivre provoque un accident mortel, deux de ses collègues jugés quatre ans après

Deux gendarmes étaient jugés mardi devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour "non empêchement de délit" et "homicides involontaires". Ils comparaissaient pour avoir laissé un collègue ivre prendre la route, lequel a provoqué un accident causant la mort d'un couple de retraités en février 2019.

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"2,54 grammes d’alcool, 18 pintes de bière, cinq camarades, un après-midi". 

Quatre chiffres énoncés par l'avocat des parties civiles pour synthétiser l’affaire étudiée par tribunal correctionnel de Grenoble, mardi 17 octobre. Une sinistre arithmétique qui vient résumer les circonstances de l’accident qui a causé la mort de Geneviève et Florencio Duron, 69 et 71 ans, au soir du 26 février 2019.

Le véhicule du couple était à l’arrêt dans un embouteillage quand il a été embouti par une voiture arrivant à vive allure derrière eux. "La voiture de mes parents a été littéralement broyée", raconte leur fils, Olivier Duron. Les retraités sont morts sur le coup.

Au volant de la puissante Hyundai en cause dans l’accident, Loïc D., gendarme hors service, qui avait pris la route après avoir passé l’après-midi au bar. Son taux d'alcoolémie est alors de 2,54 grammes d'alcool par litre de sang.

Le militaire de 35 ans a été condamné pour "homicides involontaires avec circonstances aggravantes", deux jours après les faits, à trois ans d'emprisonnement dont 18 mois ferme par le tribunal correctionnel de Bourgoin-Jallieu.

Mais les enfants du couple Duron sont allés chercher des responsabilités ailleurs. Qu’en est-il des quatre autres gendarmes avec lesquels Loïc D. a partagé cet après-midi au bar ? Une plainte avec constitution de partie civile a été déposée le 15 avril 2019 pour déterminer leur implication.

Deux gendarmes ont ainsi été appelés à comparaître mardi : Willy S. pour "abstention volontaire d’empêcher un délit", et Johan L. pour "homicides involontaires" - les autres ayant été mis hors de cause au cours de l’instruction.

"Je n'ai pas vu"

Quand Willy S. rejoint deux collègues au Village des marques de Villefontaine (Isère) aux alentours de 16 heures, les convives ont déjà absorbé 2 litres de bières chacun. "Ils me semblent normaux… Mais je n’étais pas là pour les espionner. Il n’y avait rien de flagrant dans leurs propos, leur façon de marcher", soutient l'ancien militaire de 45 ans à la barre du tribunal correctionnel.

Les cinq convives enchaînent les consommations : 18 pintes de bière, un cocktail, un verre de vin et un autre de spiritueux. Puis se séparent peu avant 19 heures. Johan L. prend place, côté passager, dans la voiture de Loïc D. quelques minutes avant l'accident. Willy S. repart seul après avoir bu "deux pintes" pour prendre son astreinte.

"Au moment où vous quittez ce bistrot, vous êtes déjà un gendarme. Vous allez prendre vos fonctions dans les minutes qui suivent, l'interpelle l'avocat de la famille Duron, Me Hervé Gerbi. Si vous n’avez pas le courage de lui [Loïc D., NDLR] prendre les clés, d’avoir autorité sur lui, quel citoyen peut le faire ?"

Mis en cause pour avoir laissé le chauffard prendre le volant en état d'ébriété, Willy S. conteste. "J’aurais dû faire en sorte de prévenir mais le problème, c’est que je n’ai pas vu. (…) C’est une faute. Je m’en sens responsable moralement mais ce n’est pas volontaire. Je ne l’ai pas vu alcoolisé et je ne l’ai pas vu aller à la voiture", reconnaît le quadragénaire à la stature imposante, les yeux rougis.

Un dossier "difficile et complexe"

Johan L., qui réside en Guadeloupe, n'est pas présent à l'audience car il n'avait "pas les moyens financiers" de s'y rendre, fait savoir son avocate. Lui a reconnu, au cours de l'instruction, s'être rendu compte que le chauffard "n’était pas en état de conduire", lui a reproché sa "conduite agressive". Mais n'a pu qu'assister au drame qui a suivi.

"Il aurait dû faire quoi ? Se jeter sur le volant ?", questionne son conseil, Me Amélie Larquier, qui demande au tribunal de "ne pas chercher une responsabilité pénale à tout prix". Une question "particulièrement difficile et complexe, d’abord humainement (…) mais aussi en droit", pose le procureur Eric Vaillant.

"Sommes-nous en présence d’un homicide involontaire ou d’un non empêchement de commettre un délit ? Vous avez 50 avis différents de grands spécialistes du droit. Il n’y en a pas un qui ait plus raison que les autres", estime le magistrat qui requiert, pour Johan L., une requalification des faits.

Une condamnation et une relaxe requises

"Je vous demande de le déclarer coupable parce que lui a passé tout l’après-midi avec Loïc D. Il est même monté dans la voiture avec lui, son enfant et un deuxième enfant. C'est un acte totalement irresponsable qui, juridiquement, justifie une reconnaissance de responsabilité", résume-t-il, requérant à son encontre 18 mois de sursis simple pour "non empêchement de délit" - et non "homicides involontaires".

Et de demander la relaxe pour Willy S. "Car pour empêcher le délit, il fallait qu’il sache qu'il allait avoir lieu. Pour savoir qu’il allait y avoir un délit routier, il devait avoir la certitude que Loïc D. rentre dans sa voiture. Il n’y en a pas trace dans le dossier, il ne le voit pas", affirme Eric Vaillant.

Un argumentaire soutenu par l'avocat du prévenu, Me Ronald Gallo, qui défend "un gendarme de conviction", "un gendarme passionné", un homme "brisé dans sa profession". Willy S. a quitté la gendarmerie en début d'année. "Je n’en pouvais plus de la sensation d’avoir commis une faute. Une faute sur laquelle je n’ai rien pu faire", explique-t-il, "désolé d’avoir failli ce jour-là". Le tribunal rendra sa décision le 14 novembre.

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