Ce vendredi, le Vénéon a submergé le hameau de la Bérarde, dans le massif de l'Oisans, en Isère. Ainsi que Venosc, plus bas dans la vallée. Le cours d'eau s'est transformé en un gigantesque torrent, emportant tout sur son passage. Des experts se sont rendus sur place pour tenter d'expliquer ce phénomène exceptionnel.
"Il n’y a pas eu de telle crue à la Bérarde depuis 10 000 ans." C'est ainsi, sans employer de superlatif, que Vincent Koulinski, un des grands experts français en hydraulique torrentielle à Eaux torrents et rivières de montagne (ETRM), décrit l'ampleur du phénomène.
"Cette crue n'est certainement pas la plus forte qu'ait connue le torrent des Etançons depuis les dernières glaciations. Par contre, elle est différente, avec un comportement radicalement nouveau et donc très dangereux", précise l'expert.
Ce vendredi 21 juin, une crue torrentielle a déferlé le massif de l'Oisans. Le torrent du Vénéon est sorti de son lit et a submergé le hameau de la Bérarde, appartenant à la commune de Saint-Christophe-en-Oisans, en Isère.
La veille, les équipes du Syndicat mixte des bassins hydrauliques de l'Isère (Symbhi) rapportent avoir suivi l’évolution de l’état de certains torrents de l’Oisans, des digues et d’autres ouvrages hydrauliques, face à la dégradation de la situation météorologique.
Un phénomène "exceptionnel" issu d'une "conjonction de phénomènes"
Dans son communiqué, le Symbhi indique qu’une crue du Vénéon s’était déjà produite en octobre 2023. Son débit maximal correspondait "à une crue décennale". Dans son rapport, le syndicat liste plusieurs lieux qui ont subi une submersion, comme à Bourg d'Arud ou au Plan du Lac.
En ce qui concerne le secteur de la Bérarde, le syndicat décrit le "caractère exceptionnel" de la dernière crue torrentielle. Le Symbhi informe que "des analyses sont en cours sur les causes qui paraissent liées à la conjonction de précipitations intenses, fonte d’un manteau neigeux important et vidange rapide de lacs glaciaires."
Présent ce mardi 25 juin dans le hameau dévasté, Vincent Koulinski, qui étudie ce secteur depuis 2006, confirme cette "conjonction de phénomènes", faisant suite à une "longue période humide qui a provoqué de la neige abondante en altitude et des pluies incessantes. Le réchauffement (climatique) explique que la limite pluie/neige soit beaucoup plus haute."
Il explique aussi les profondes modifications du secteur glaciaire et des apports de matériaux extraordinaires. Pour documenter ces changements progressifs, l'expert s'appuie sur des photos prises au fil des années. La première, ci-dessous, a été prise en 2022. La seconde date du 21 juin, après la crue torrentielle.
Un apport de matériaux "très excédentaires"
Mais alors, qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pour apporter un début d'explication, l'expert en hydraulique torrentielle rappelle qu'une "crue torrentielle est la combinaison d'un apport d'eau et d'un apport de matériaux solides". Des crues, "il y en a eu beaucoup". D'autant que le village de Bérarde se trouve dans une zone naturellement inondable sur le cône de déjection. C'est "l'endroit où le torrent s'étale à droite, à gauche", où se déposent des sédiments.
La spécificité de cette dernière crue torrentielle est "un apport de matériaux très excédentaires, deux ou trois fois que la normale. On a un dépôt d’une quinzaine de mètres d'épaisseur au sommet du cône de déjection."
Cette quantité anormale de matériaux a provoqué un écoulement en dehors de ce cône, dans des zones qui "n'ont jamais été inondées depuis les dernières glaciations il y a plus de 10 000 ans", affirme l'expert. Le cœur du village, épargné depuis 1785, a aussi été submergé. C'est après une première phase de dépôt que celle du "creusement" s'est enclenchée, entraînant une déstabilisation des bâtiments.
Il y a un changement de comportement des cours d’eau.
Vincent KoulinskiExpert d'ETRM en hydraulique torrentielle
Ces phénomènes nouveaux, Vincent Koulinski les observe depuis quelques années. A cause du climat, "il y a un changement de comportement des cours d’eau".
Une évolution qui rend les crues plus difficiles à prévoir. "Quand on étudie les risques naturels, la clé de voûte, c’est de savoir ce qu’il s’est passé avant." Or, désormais, "des secteurs sont totalement submergés, qui n’étaient pas considérés comme zones inondables dans l’ancien climat".
Face à ces nouveaux phénomènes, l'expert se dit "perdu". "Aujourd’hui, on ne sait pas comment les aborder". Il prend pour exemple la crue de la Vésubie, en 2020. Pour lui, les aménagements qui avaient jusqu'alors permis de protéger les habitations ne sont plus valables. "Le seul outil durablement efficace que l'on ait, c’est de limiter le changement climatique", conclut-il.