A voir les files d'attente, à certaines heures devant Europrim, centre d'impression numérique de Grenoble, on s'imagine, bien loin de la réalité, que le grand rush est de retour. Le centre qui travaille avec tous les acteurs de la vie économique est, comme eux, "au point mort et dans l'incertitude"
A priori, vu de l'extérieur, si l'on fait exception des masques qui "mangent" un peu la plupart des visages, on se dit que tout est rentré à peu près dans l'ordre à Europrim, qui avec son autre site Cinra, est l'un des plus importants centres d'impression numérique de la région, pour les particuliers, les PME/PMI et les grandes entreprises.
Mesures sanitaires anti-Covid 19 obligent, rue Alsace Lorraine, à deux pas de la gare, il faut certes patiemment attendre son tour, respecter le sens de circulation, et le gel hydroalcoolique est immanquablement le passage obligé à l'entrée.
Mais à l'intérieur, ce 27 mai, les lieux sont d'un calme inhabituel, rien à voir avec l'effervescence qui règne d'ordinaire. En cette période, c'est habituellement une véritable fourmilière, clients affairés aux machines, ronronnements de reprographeurs, claquement de photocopieurs, et un ballet incessant de conseillers et de salariés.
C'était d'ailleurs dans cette atmosphère, toujours un peu empressée, que Fleur Henno, responsable et gérante du magasin a baissé le rideau, le samedi 14 mars, vers 17 heures, sans aucune idée encore de ce qui les attendait tous dans sa société, ce qui nous attendait tous : le confinement généralisé.
Elle se souvient très précisément de l'annonce faite quelques heures plus tard: "un choc, ce fut un choc, et c'était tellement étrange de voir les bars, ou les restaurants qui clôturaient ce soir-là leur journée de travail tout en sachant qu'ils allaient devoir boucler leurs portes, jusqu'à nouvel ordre".
Le lundi suivant, c'est toute seule dans le magasin, qu'elle est venue récupérer des documents, réfléchir aussi à la façon dont il fallait s'organiser : "nous sommes huit salariés ici habituellement. Ce n'est pas rien de mettre toute une équipe sur le banc de touche, aussi soudainement."
Les huit salariés sont donc restés confinés chez eux, comme tout le monde, pendant huit semaines : "on s'appelait, on prenait des nouvelles, on se donnait des nouvelles". Le télétravail ? "Impossible dans notre activité, comment voulez-vous emporter de telles machines à domicile !?"
Les huit salariés ont été mis au chômage partiel pris en charge" heureusement" à 100%. A l'heure de la reprise, encore aujourd'hui, trois d'entre eux sont toujours au chômage partiel -qui sera pris en charge en revanche à 85% de leur salaire à partir du 1er juin- "on a privilégié des situations particulières, une maman avec des enfants qui n'ont pû reprendre leur scolarité, un jeune qui avait la possibilté d'être hébergé chez ses parents." Et ils risquent de ne pas pouvoir réintégrer les troupes de sitôt, en tout cas pour l'instant.
Car l'activité est en chute libre. Au moins un quart du chiffre d'affaires sur la première semaine de déconfinement.
Une tentative de "drive" peu concluante
"Certains d'entre nous ont très bien supporté le confinement, mais pour moi, ça a été compliqué, désagréable, d'autant que je m'étais foulée la cheville, impossible d'aller courir, et puis passer de 60 heures de travail à rien... on faisait la journée continue. Et puis je me demandais vraiment ce que notre société allait devenir."
Alors Fleur passait, tous les jours ou presque, relever les mails, répondre à des clients : "beaucoup d'appels pour nous demander si on était ouverts, on tenait à conserver un lien avec nos clients", après la première phase de déconfinement, d'autant que certaines papeteries ou magasins de matériel de télétravail avaient eu des dérogations parce que considérés comme essentiels à la poursuite de la vie quotidienne.
C'est l'une des raisons pour lesquelles Fleur et une partie de son équipe ont tenté alors de mettre en place un drive "piéton", autorisé par le règlement sanitaire anti-Covid. Des horaires réduits, un comptoir unique et sécurisé sur le plan sanitaire, et des commandes passées par mail.
L'expérience s'est révélée peu concluante : beaucoup de temps passé, pour un maigre revenu. Les gens ne sortaient pas. Les rues étaient désertes. Et pourtant, "il y avait tout de même un vrai besoin" raconte Fleur : "en plein week-end de l'Ascension, le vendredi 22 mai, le magasin était fermé, mais j'étais là, et ils étaient plutôt nombreux à demander s'il était possible d'avoir une photocopie, une impression. Je l'ai fait, pour dépanner quelques-uns, et en fait je suis restée près de trois heures ", sourit Fleur Henno, en ajoutant "et quand j'ai dit que je devais arrêter là, les gens râlaient".
La remise en route, à l'heure du déconfinement a comme pour nombre de sociétés été compliquée. Il a fallu désinfecter les locaux, les claviers, les machines, jusqu'à la cave, une opération minutieuse et fastidieuse que devra répéter chaque semaine l'entreprise de nettoyage.
Il a fallu s'équiper de plexiglas, de gel, de visières, commandées dès avril mais livrées en retard. "C'était si compliqué qu'on s'est résolu à les acheter sur internet, bien au-dessus des prix du marché" précise Fleur.
Des visières, qu'il faudra troquer contre des masques, quand il faudra mettre la climatisation, lorsque les machines chauffent et rechauffent trop l'air ambiant. Un stock de masques, de type chirurgical, est prêt pour que chacun puisse en avoir deux par jour. "On a pu s'équiper grâce à un de nos clients qui nous a donné des contacts, parce qu'on était vraiment seuls. De toute cette période, on a pas eu un seul mail de la ville" .
Le coût du dispositif sanitaire pèse forcément sur les finances. Le propriétaire des locaux a repoussé, avec un accord négocié avec sa banque, l'échéance des loyers. Certes, le paiement des charges a été différé, mais "il nous a fallu contracter un prêt, plutôt conséquent", s'inquiète la responsable du magasin qui ne sait pas encore comment la situation va évoluer. La taille de l'entreprise ne la rendait pas éligible aux aides d'urgence débloquées par l'Etat.
"Tout est arrêté"
"Nous travaillons avec tous les secteurs de la vie économique, nous en sommes un peu le reflet, et je peux vous dire qu'en dehors de l'alimentaire, tout est arrêté. Plus de vie sociale, plus de vie culturelle, plus d'événements, plus de concerts, donc plus de billeteries, de flyers..."
Des commandes, passées avant la crise sanitaire n'ont pas pas été honorées, de la part d'associations par exemple : "elles n'ont pour la plupart pas de subventions, on n'allait pas leur mettre la tête sous l'eau et les forcer à s'en acquitter, pour des événements ou des fêtes annulées. Par ailleurs, les entreprises, bars, restaurants, sociétés du tertiaire ou de services ne recommencent pas à communiquer, elles ne savent d'ailleurs ni comment, ni quel message communiquer, c'est plus de 50% de notre clientèle en général."
Les formations, dans toutes les disciplines, aussi ont été suspendues : on ne fait plus de mise en page de supports papiers ou de mise en valeur graphique de compte-rendus ou de mémoires.
Les étudiants, les particuliers aussi, manquent à l'appel : certains, face à l'urgence auraient fait des commandes groupées pour s'équiper d'une imprimante, d'autant que la menace d'un re-confinement plane toujours, en cas de reprise sévère de la pandémie. Des clients s'en sont fait l'écho.
Résultat : un avenir totalement incertain et une fréquentation désastreuse pour cette période : à peine une centaine de personnes sur site par jour, contre 350 l'année précédente à la même période, et qui en outre ne dépensent pas le même budget. Aujourd'hui, la situation financière de l'entreprise, la reprise de sa production, sont incontestablement sur le fil du rasoir : "nous sommes un peu le reflet de la vie économique, et nous sommes... comme les autres, au point mort", conclut Fleur Henno.
Incertitude à tous les étages... à quelques exceptions
Client fidèle depuis plus de 15 ans, l'homme a fait près d'une heure de route pour des travaux urgents : "en fait je suis débordé. Je suis responsable d'une société de sécurité et les appels affluent. J'ai dû engager tout récemment une trentaine de personnes. Tous les établissements qui reçoivent du public nous sollicitent, des piscines, des bureaux de poste, des campings, et bien d'autres, qui ont besoin d'agents pour faire respecter les règles de distanciation préconisées par les autorités pour contrer la pandémie et figurez-vous que mes gars, de retour du terrain, me racontent que ce ne sont pas les plus jeunes qui leur posent soucis, mais plutôt les plus de 50 ans, c'est quand même incroyable non ? En tout cas, je n'avais plus de cartes et j'en ai sacrément besoin", nous confie-t-il.
Ce sera l'une des seules commandes un peu conséquentes de la journée, comme celle de... Marin, le jeune responsable des bénévoles du Street Art Festival qui se tiendra bien à Grenoble, entre le 1er juin et le mois de juillet. Ravi que l'événement soit maintenu, "parce que c'est plus facile sans aucun doute en plein air", mais il a fallu travailler à de nombreux aménagements liés au covid, et modifier la plaquette d'informations destinée à tous les bénévoles qui aident à l'encadrement et à la canalisation des spectateurs .
Au sommaire, pour l'essentiel, le rappel exhaustif des gestes barrières et de toutes les consignes sanitaires. pour se protéger les uns les autres du Covid-19.
Fleur Henno pour sa part espère et attend un frémissement de reprise, mais elle est dubitative : "j'ai bien peur que cette saison qui se prolonge pour nous jusqu'à la mi-août en général, soit définitivement sinistrée, et qu'il faudra désormais attendre la rentrée". Et elle confie : "pendant cette période d'inactivité forcée, j'ai confectionné des centaines et des centaines de petits carnets de papier, cousus à la main, ça m'apaisait. Ils seront prochainement en vente, dans la boutique, sous le nom de petits journaux de souvenirs de confinement".
A condition qu'il n'y ait pas de seconde vague... et de reconfinement .