La Ville de Grenoble et La Métro veulent fusionner les bailleurs sociaux Actis et Grenoble Habitat début 2020. Pour en faire une Société d'Economie Mixte. D'anciens responsables de ces organismes, les représentants des locataires, de nombreux élus dénoncent une opération précipitée et injustifiée.
La Ville de Grenoble et la Métro veulent fusionner les bailleurs sociaux Actis et Grenoble Habitat début 2020 en une SEM, ou Société d'Economie Mixte, avec capitaux publics et privés.
A cause des mesures gouvernementales (baisse des APL, augmentation de la TVA, blocage des loyers), l'équilibre financier d'Actis, environ 12 000 logements sociaux HLM, serait menacé à plus ou moins long terme.
En fusionnant Actis et Grenoble Habitat (environ 4 000 logements publics et privés), Grenoble et La Métro veulent créer un "outil puissant et complet", selon Christine Garnier, élue de la majorité grenobloise et vice-présidente de Grenoble-Alpes-Métropole chargée du logement.
Elle explique : "si on laisse un office public en difficulté financière, soit il arrête d'investir et de construire, donc il meurt, soit il est vendu à un gros bailleur national 100% privé". L'objectif serait donc de garder la gouvernance locale et publique sur le logement social.
Mais ce projet est loin de faire l'unanimité. D'anciens responsables de ces organismes, les représentants des locataires, de nombreux élus dénoncent une opération précipitée et injustifiée. Nous les avons rencontrés.
Pas d'accord sur l'urgence
Les représentants des locataires au sein d'Actis et Grenoble Habitat (associations CLCV et CSF), mais aussi les syndicats CFDT et CGT, les associations Droit au Logement et Relais Ozanam, au total pas moins de 8 organisations, estiment que l'ensemble des acteurs concernés n'a pas été consulté.
Dans un communiqué, ces organisations expliquent : "Les échanges ayant eu lieu au sein de diverses instances (...) ne permettent pas aux participants d'apporter un avis construit et travaillé car aucun document n'a été communiqué en amont, malgré nos demandes répétées." "Les éléments communiqués (...) apparaissent contradictoires." "Le choix du futur outil de développement du logement social de notre territoire est stratégique et engage sur l'avenir : il est nécessaire de ne pas aller trop vite et d'étudier tous les paramètres."
D'autant plus que le seuil légal (loi ELAN) obligeant à un regroupement de petits offices publics HLM est récemment descendu de 15 000 à 12 000 logements. Actis échapperait donc désormais à cette obligation.
Mais, pour Christine Garnier, vice-présidente de la Métro, "l'objectif c'est de lancer les choses avant les élections municipales pour ne pas perdre un an de prise en main des dossiers par les élus. Et ne pas laisser les salariés dans l'expectative."
La fusion interviendrait donc dès le 1er janvier 2020.
Pas d'accord sur les chiffres
Pour Christine Garnier, du fait des mesures gouvernementales (baisse APL, augmentation TVA, blocage des loyers) Actis aurait perdu environ 5 millions d'euros, soit près de 10% de ses revenus annuels. Pour cette raison, l'office public HLM aurait décidé de vendre 500 logements autour de Saint-Marcellin.
Mais le groupe Ensemble à gauche (deux élus municipaux grenoblois passés de la majorité à l'opposition) contestent ce diagnostic. Citant le rapport du commissaire aux comptes, il rétorque qu'Actis affiche un résultat excédentaire de plus de 6 millions d'euros pour 2018, et de plus de 4 millions d'euros pour 2017.
Christine Garnier confirme ces chiffres, mais s'inquiète de la baisse des capacités d'autofinancement d'Actis. "Sur les 3 derniers exercices, le ratio d'autofinancement est en moyenne de 0,44%, soit au-dessous du seuil de fragilité de 3%" explique-t-elle.
Elle ajoute : "Un organisme HLM qui n'a plus d'autofinancement ne peut plus construire ni réhabiliter, il meurt."
Pas d'accord sur le futur statut
Interpellé lors du conseil municipal ce 13 mai 2019, le maire de Grenoble Eric Piolle a confirmé le projet de fusion entre l'Office public HLM Actis (100% public) et la SEM Grenoble Habitat (Ville de Grenoble actionnaire à 51%).
Sur les 3 modèles étudiés (SEM, Société Coopérative ou Société de Coordination), c'est celui de la Société d'Economie Mixte qui a été retenu par la Ville de Grenoble et La Métro. Une SEM, donc avec des capitaux publics et privés, comme Grenoble Habitat actuellement.
Eric Piolle explique : "c'est une structure où la décision appartient aux élus locaux, avec un conseil d'administration présidé par des collectivités locales où celles-ci sont largement majoritaires, et ne peuvent par principe pas devenir minoritaires."
Le statut envisagé, celui d'une SEM "EPL", pour "Entreprise Publique Locale", stipule que les collectivités détiendront entre 51 et 85% du capital.
Le maire de Grenoble ajoute : "laisser mourir nos bailleurs à petit feu entraînerait un affaiblissement considérable et irrémédiable de nos structures publiques et les exposeraient de plus en plus à une absorption par des structures privées bien éloignées du territoire, qui ont pour priorité le profit et la gestion financière de leur patrimoine."
"Cette EPL sera à même de réinjecter la marge générée par la construction de logements privés dans la construction et l'entretien de logements publics. On considère que pour 2 logements privés construits, c'est la construction d'un logement public qui pourra être financé sur fonds propres. "
Mais une douzaine d'élus chargés du logement, d'anciens administrateurs ou responsables d'Actis et Grenoble Habitat ne sont pas d'accord. Jean-Charles Amirante, José Arias, Françoise Charavin, Gérard Darcueil-Dreyfus, Annie Deschamps, Florence Haff, Bernard Hoffman, Jean-François Lapière, Pierre Mignotte, Jean-Louis Millet, Elizabeth Pepelnjak, Carole Simard et Monique Vuaillat ont adressé une lettre ouverte au maire de Grenoble et au président de la Métropole.
Pour eux, la disparition d'Actis (100 ans d'existence) serait "un choix sans retour en arrière possible". "On ne recréera pas un Office Public à partir de rien. Ce choix aura des conséquences importantes et irrémédiables : la place des locataires serait marginalisée, le statut des salariés et le maintien de l'emploi fragilisés, les intérêts privés seront nécessairement pris en compte dans les décisions à venir".
"Il s'agit d'engager la privatisation du seul organisme de logement locatif social public qui existe au sein de la Métropole." "Penser que l'on pourrait garantir l'avenir du logement social en assurant son financement sur les profits réalisés par les opérations de promotions privées de Grenoble Habitat est irréaliste." "La solution n'est pas à l'échelle du problème".