Grenoble : le témoignage de l'association SOS Attitude à Lesbos, "la vraie question, c'est... que va faire l'Europe?"

Basée à Grenoble, SOS Attitude est engagée depuis 7 jours sur l'île de Lesbos, en état d'urgence après l'incendie qui a ravagé le plus grand camp de migrants de Grèce. Elle a ciblé son action sur l'accueil médicalisé et l'hébergement anti-covid dans le nouveau camp qui s'installe dans la crispation.

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A peine rentré de Beyrouth -où la mission de SOS Attitude se poursuit-, John Diksa et son association grenobloise ont pris la décision de repartir... sur l'île de Lesbos.

Avec son binome Michel Coatriné, ils sont arrivés parmi les premiers le 10 septembre, dès le lendemain des incendies qui ont ravagé le camp de Moria, le plus grand camp de migrants de Grèce dont il ne reste désormais... que des cendres.

Toiles de tentes, préfabriqués, cabanes de bric et de broc, tout a brûlé dans la nuit du 8 au 9 septembre, dans plusieurs incendies dont l'origine reste inconnue, mais de source "probablement criminelle". Dans ce lieu à l’origine prévu pour accueillir 2 000 personnes, 12 000 migrants, hommes, femmes, enfants ont fui les flammes dans la panique et dû laisser leurs rares affaires partir en fumée. L'incendie qui a fait deux morts, des dizaines de blessés, a laissé tous les occupants du camp sans abri, abandonnés sur le bas-côté des routes, sans savoir où aller. 
 

C'est dans une île placée en état d'urgence, décrété par le gouvernement, que SOS Attitude, spécialisée dans l'abri d'urgence est arrivée, avec un premier stock d'équipements. Cette île, John Diksa la connaît bien  pour y avoir déjà effectué des missions en novembre 2015, quand le flux de migrants par bateaux depuis la Turquie voisine était alors incessant : "Nous avons vu arriver une quarantaine de migrants amassés dans un zodiac de 5 mètres, certains jours, ils sont mille à débarquer, même de nuit. C’est dur, très dur de voir tout ça. Nous sommes devant la détresse humaine à une grande échelle", témoignait déjà le fondateur de l'association.

"En 5 ans, la situation n'a fait qu'empirer" nous explique John Diksa que avons pu joindre au téléphone sur place à Lesbos ce mardi 15 septembre. "Le camp de Moira à l'origine ne devait accueillir que 2000 personnes, mais il s'est étendu, il a poussé un peu comme un village médiéval, grignotant les collines ou l'oliveraie, de façon totalement anarchique, dans des conditions totalement insalubres, dangereuses et indignes".

Aujourd'hui, les photos et les vidéos qu'il a prises du Camp de Moira en disent long sur la violence des incendies. Des baraquements et des abris de fortune, il ne reste rien. Un spectacle de désolation, et plus aucune présence humaine à part celle de policiers qui patrouillent ou de quelques demandeurs d'asile venus glaner dans les cendres un maigre objet à retrouver.

Quand les incendies se sont déclarés au petit matin, ils étaient plus de 12 000, et ont tout abandonné, enfin... le peu qu'ils avaient. "Ils se retrouvent pour la plupart à errer, sans nourriture et sans eau. Ils se sont éparpillés dans les collines, dans les champs, sur les routes, et ils ont peur,  forcément", nous raconte John. "D'abordnous n'avons vu personne les deux premiers jours, il a fallu aller à leur rencontre, il y avait par exemple une femme brûlée à la jambe, avec son nouveau-né, qui s'était réfugiée non loin de là, où elle pouvait, mais qui ne pouvait tout simplement plus marcher pour aller chercher de l'aide". 

Pas question de remettre en état l'ancien campement. "Moira, heureusement, c'est fini, c'est important de le leur dire parce que bon nombre d'entre eux ont peur de devoir revenir dans un tel endroit, qui était totalement insalubre et inhabitable", avant même qu'il ne brûle, comme en témoignent ces images tournées par John Diksa, à l'intérieur de quelques dortoirs encore debout.


"Une catastrophe humanitaire doublée d'une crise sanitaire"


En collaboration avec l' IOM, l'Organisation Internationale pour les Migrations et le NPHO (National Public Health Organisation) du ministère de la santé grec, SOS Attitude, référente dans le monde humanitaire, a fait le choix, après évaluation, d'installer ses tentes dans le nouveau camp, avec un objectif : aider à mieux lutter contre le COVID-19.

"Elles permettent au personnel médical d'effectuer les tests PCR dans un espace isolé, propre, discret et à l'abri au lieu de les faire à l'extérieur sous le soleil, dans le vent et devant tout le monde. La conception et la fabrication de nos tentes rendent la désinfection aisée et ultra rapide", détaille John sur la page Facebook de l'association.
 


"Nous avons mis en place une sorte de chaîne d'accueil, dans les conditions les plus dignes possibles"


"A SOS Attitude, nous avons surtout l'occasion d'intervenir dans des conditions de catastrophe naturelle, de déployer nos tentes pour mettre à l'abri des familles, dans les zones les plus reculées, à côté de leur lieu de vie détruit, qu'elles puissent le reconstruire. Ici, c'est une immense catastrophe humaine, ces gens n'ont plus rien. Traumatisées par l'exil, choquées par l'incendie, il y a beaucoup de familles, des Syriens, des Afghans, mais aussi des personnes de  l'Afrique de l'Ouest, qui hésitent pourtant à passer le grillage de ce nouveau campement, on peut le comprendre, il va falloir un peu de temps", estime John Diksa.
 



"Il faut pouvoir gérer le Covid-19 de façon humaine et efficace"


Les tentes de SOS Attitude ont donc été réparties à des points stratégiques, à l'entrée d'abord, pour ne pas attendre en plein soleil : "il fait très chaud ici, même au bord de la mer, ils sont épuisés, n'ont rien mangé souvent depuis des jours, même si j'ai vu des associations locales distribuer quelques vivres le long des routesils ont des maladies chroniques et sont très faibles, il y a aussi de nombreux enfants en bas âge".

Avant l'incendie du camp de Moria, 35 migrants, dont on ne sait pas aujourd'hui où ils sont passés, avaient été dépistés positifs au coronavirus. Selon les prévisions, ils pourraient être 200 à avoir contracté le Covid-19. 

Alors à l'intérieur du nouveau campement, qui n'a pas encore de nom, SOS Attitude a dédié une partie de son équipement au personnel médical, pour qu'il puisse effectuer les tests de dépistage. 
Autre poste stratégique, des tentes consacrées à l'isolement des personnes testées positives. "Les familles touchées peuvent ne pas être séparées et être confinées ensemble sous nos tentes, et un isolement en individuel est tout à fait possible", indique John. "Nous avons également consacré notre équipement pour établir un premier point de ravitaillement, des fruits, des yaourts, de l'eau".

Selon les derniers chiffres du ministère grec, près de 1000 migrants se sont d'ores et déjà installés dans ce campement provisoire, totalement fermé à la presse. D'autres ont manifesté devant les grilles, pour dire leur colère, et crier "qu'ils ne voulaient pas d'un deuxième Moira".

"Ils étaient peu nombreux au tout début c'est vrai" nous confirme l'humanitaire grenoblois "mais on voit au fil des jours la file d'attente s'allonger. Il y a aussi le bouche-à-oreille qui commence à fonctionner. Nous, on a accéléré la cadence, le montage des tentes, surtout en bord de mer, où le vent chaud souffle fort en permanence, et où le terrain n'est pas simple, est plus long. On met une heure et demi pour monter une tente, alors qu'il nous faut vingt minutes d'ordinaire, il faut les lester ou percer du ciment pour les assurer avec les piquets.".
 

Autre passage obligatoire, la fouille, afin de vérifier qu'aucune lame ou arme quelconque ne soit introduite à l'intérieur. Dans le camp de Moira, les conflits, les bagarres armées, étaient devenues monnaie courante.
 
 

         

"En 5 ans, la situation entre habitants et migrants s'est terriblement crispée, forcément..."


Depuis le début de l'installation de ce nouveau camp, les sentiments se sont exacerbés et les rapports entre insulaires et demandeurs d'asile sont devenus parfois explosifs. Des manifestations ont eu lieu ces derniers jours, dispersées à coups de gaz lacrymogène par la police anti-émeutes. Mais voilà plus d'un an que les incidents entre demandeurs d'asile et habitants, dont des sympathisants d'extrême droite, se muliplient. .

"C'est vrai qu'il y a cinq ans, les habitants de l'île étaient plus bienveillants, plus disposés à aider. A présent, ils en ont assez, on le ressent (....) Nous sommes par exemple aller chercher des vivres, du lait pour bébé, des couches, des choses essentielles, dans un supermarché de Mytilène, et il y avait une longue file de migrants, venus acheter une bricole pour se nourrir, et les habitantes de l'île manifestement étaient excédées de devoir attendre si longtemps leur tour, il y a forcément des crispations".

Et les ONG ? Certaines ont récemment dit craindre pour leur sécurité : "les ONG en ce moment ne sont pas forcément bien vues des habitants, parce qu'elles contribuent d'une certaine façon, selon eux, à pérenniser une situation dont les insulaires ne veulent plus. Nous, nous sommes autonomes, on se fond dans le "paysage", on agit vite, on est là pour l'urgence, en collaboration avec des partenaires locaux, et c'est ce qui fait notre force, on ne se sent pas en danger, même si nous restons, comme toujours, vigilants" répond-il.

 

"La vraie question c'est que va faire l'Europe? Elle est ici face...à son destin"


L'île de Lesbos paie le prix de l'indifférence et de l'abandon. "Les exilés ont peur de rentrer dans ce nouveau camp, comme s'ils entraient en prison, peur de ne plus pouvoir en sortir, peur que cela devienne un deuxième Moira, ce n'est pas la question, certains ont passé des mois, voire des années à Moira, alors qu'ils veulent partir. A SOS Attitude, on ne se soucie pas de politique ou de géopolitique, on tente de contourner les obstacles s'ils se présentent.
"Ici pour l'instant, ce que je peux dire, c'est qu'il y a de l'eau, de l'électricité, des toilettes, des abris propres pour se protéger, au moins le temps de souffler, car ils sont à bout de forces. Je vous assure que pour moi, ce drame renvoie à l'Essentiel, et remet les pendules à l'heure".

 

Et John Diksa interpelle avec une colère sourde dans la voix, comme il le fait rarement : "La vraie question, c'est que va faire l'Europe? Humainement, elle est ici... face à son destin".


En Europe, seuls dix pays font des propositions du "bout des lèvres"


L'ONU a exhorté ce mercredi 16 septembre la Grèce à "accélérer" les procédures de demande d'asile à Lesbos pour que des milliers de migrants, en errance depuis l'incendie "apparemment criminel" de Moria, puissent quitter l'île. "L'idée n'est pas que ces personnes restent pour toujours sur l'île de Lesbos", a déclaré dans la soirée le responsable en Grèce du Haut commissariat de l'ONU aux Réfugiés (HCR).

Le ministre grec de la Protection civile Michalis Chrysochoidis a répondu que "la moitié" des exilés pourrait quitter Lesbos "d'ici Noël" et "les autres d'ici Pâques", à condition qu'ils acceptent de s'installer sur le nouveau site : "L'entrée des demandeurs d'asile dans le nouveau camp n'est pas négociable, (...) C'est à l'intérieur que se feront les démarches légales pour pouvoir quitter Lesbos le plus rapidement possible, et attendre en toute sécurité", a-t-il rajouté.

Sur place, le responsable du HCR, Mr Leclerc, a martelé : "C'est une solution d'urgence et cela doit rester une solution d'urgence aujourd'hui". Il a appelé à réguler la population du camp pour ne pas retomber "dans une situation comme à Samos ou à Moria". L'objectif est que les réfugiés "puissent graduellement, et dans le calme, quitter l'île pour Athènes" ou "être réinstallés ailleurs".

Quant à l'Europe, en dehors de l'Allemagne qui a promis d'accueillir plus de 400 familles, les autres Etats membres viennent de faire des propositions... du bout des lèvres. 

Seuls dix pays (ainsi que la Suisse et la Norvège) sont prêts à recevoir des migrants du camp de Moria. La France, pour sa part, a déclaré vouloir recevoir une centaine de mineurs non accompagnés.

Enfin, la présidente de la commision européenne, Ursula von der Leyen a promis de "mettre en place un nouveau système européen de gouvernance de la migration, et "d'abolir le règlement de "Dublin" qui "confie la responsabilité du traitement des demandes d'asile au pays de première entrée des migrants dans l'UE".

La Commission de l'union doit présenter le 23 septembre cette proposition de réforme de sa politique migratoire, plusieurs fois attendue et... plusieurs fois repoussée.

 

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