INFO FRANCE 3. Une pygargue à queue blanche, espèce strictement protégée faisant l'objet d'un programme de réintroduction, a été tuée par des braconniers le 24 février en Isère. Deux chasseurs ont reconnu avoir tiré sur l'aigle. Ils ont été placés sous contrôle judiciare et seront jugés le 13 mai prochain.
Morzine, jeune pygargue à queue blanche née en captivité, a été abattue illégalement fin février dans un vallon reculé de l'Oisans, en Isère, quelques mois seulement après sa réintroduction dans la nature. Deux chasseurs âgés de 30 et 35 ans, membres d'une même famille, ont été placés en garde à vue mercredi 13 mars et ont reconnu les faits, a appris France 3 Alpes auprès du parquet de Grenoble.
L'enquête a débuté après la découverte, le 24 février, de la dépouille de l'aigle touché par balle vers le sanctuaire de Notre-Dame de La Salette. Les enquêteurs de l'Office français de la biodiversité (OFB), cosaisis des investigations avec la brigade de gendarmerie de Monestier-de-Clermont, ont rapidement pu identifier deux suspects.
Ces derniers auraient tué irrégulièrement deux chevreuils. L'un d'eux aurait ensuite abattu le rapace de plus de deux mètres d'envergure, laissant son cadavre sur les lieux avant de poursuivre la partie de chasse. Des plumes, prélevées sur l'animal, ont été découvertes à leurs domiciles lors des perquisitions menées ce mercredi matin.
En garde à vue, les chasseurs ont reconnu les faits, le tir de l'animal pour l'un et la complicité pour l'autre. Ils ont été placés sous contrôle judiciaire ce jeudi et seront jugés le 13 mai prochain pour deux motifs concernant le pygargue : "destruction" et "détention illicite d'espèce non-domestique protégée". Pour chacun de ces faits, les trentenaires s'exposent à une peine pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
Le pygargue à queue blanche, classé "en danger critique" d'extinction, bénéficie d'un statut de protection totale interdisant de tuer ou même de perturber ces oiseaux, dont le dernier couple en liberté a été abattu il y a 130 ans dans le bassin lémanique. L'espèce fait l'objet d'un programme de réintroduction lancé par le parc Les Aigles du Léman, basé en Haute-Savoie. La femelle de un an est le deuxième rapace à être abattu depuis le début du programme à l'été 2022.
Un "acte gratuit insupportable"
Morzine avait été relâchée dans la nature le 4 septembre dernier avec neuf de ses congénères. En parfaite santé, elle s'était établie près de la rivière le Drac, non loin de Grenoble, et profitait de la fonte des neiges pour se nourrir de carcasses en montagne. "Jusqu'à ce qu'elle rencontre deux idiots qui ont décidé que son parcours allait s'arrêter là", dénonce Jacques-Olivier Travers, fondateur des Aigles du Léman, à l'origine du programme de réintroduction.
"C'est rageant parce qu'on sait à quel point il est difficile pour ces oiseaux, quand ils sont nés en captivité, de retrouver une place dans la nature. Quand ils y arrivent, la moindre des choses serait de leur laisser une chance", plaide-t-il, espérant une condamnation exemplaire des braconniers.
Quand vous tuez un pygargue, vous ne tuez pas qu'un animal, vous tuez tout l'espoir des gens qui ont participé à sa réintroduction.
Jacques-Olivier Travers, fondateur des Aigles du Léman
Jacques-Olivier Travers a déposé plainte contre X, tout comme deux autres associations de protection de l'environnement. La Fédération de chasse de l'Isère va se porter partie civile. "Un chasseur doit identifier l'animal et on a des consignes draconiennes avant de tirer. Je ne comprends pas comment on peut commettre une faute aussi grave", s'interroge Danièle Chenavier, présidente de la Fédération iséroise, "outrée" par ce tir "inacceptable".
"Quand on est chasseur, on doit savoir ce qu'est une espèce protégée, on doit savoir faire la différence entre un aigle et un canard. Et quand on est à 1 700 mètres d'altitude et qu'on voit passer un aigle, on ne doit pas lui tirer dessus. Il faut arrêter ce massacre", s'indigne Jacques-Olivier Travers, désabusé par cet "acte gratuit insupportable".
La dépouille d'un aigle, mutilé pour en "faire un trophée", avait déjà été découverte en Allemagne en avril dernier. Ce deuxième abattage fait donc grandir la colère chez ceux qui œuvrent à sa réintroduction. "Quand vous tuez un pygargue, vous ne tuez pas qu'un animal, vous tuez tout l'espoir des gens qui ont participé à sa réintroduction. Si on laisse faire, ça ne sert à rien de se battre", insiste le fauconnier.
Il n'existe que cinq couples de pygargues en liberté en France. Quatorze jeunes ont été réintroduits dans la nature par le parc des Aigles du Léman depuis juin 2022. À terme, le programme doit permettre de relâcher 70 autres juvéniles d’ici 2030 pour pérenniser la réintroduction du plus grand aigle d'Europe.