La préfecture de l'Isère conteste la légalité de la délibération du conseil municipal de Grenoble portant sur la vente du bailleur social Grenoble Habitat. Dans un courrier que France 3 Alpes s'est procuré, le préfet estime que la Ville doit vendre l'ensemble de ses parts, et donc renoncer à son dernier siège au conseil d'administration. [Maj du 16/05/2023] Ces conclusions du contrôle de légalité sont contestées par la Ville de Grenoble, ce mardi 16 mai.
Nouveau revers dans le dossier brûlant qu'est la vente de Grenoble Habitat. Votée par le conseil municipal, attaquée en justice par les oppositions, elle est dorénavant remise en question par la préfecture de l'Isère.
Le service de contrôle de légalité écrit, dans une lettre d'observation que France 3 Alpes a pu consulter, que la délibération ne lui apparaît "pas conforme" au code général des collectivités territoriales. Et de demander à la municipalité d'engager des démarches afin de corriger cette "irrégularité qui pourrait compromettre le projet".
Un camouflet pour la Ville de Grenoble, actionnaire majoritaire du bailleur social, qui compte vendre ses parts pour 37 millions d'euros à une filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ce qui représente une grande partie de son budget d'investissement. Sauf que cette transaction implique un changement de statut juridique de l'entreprise.
Actuellement, Grenoble Habitat est une société d'économie mixte. Ce régime impose que les collectivités territoriales détiennent plus de la moitié du capital, ce qui est le cas avec la participation de la municipalité grenobloise (50,86 %), celle de La Tronche (0,46 %) et de la Métropole (0,38 %).
Mais la vente des parts détenues par la Ville de Grenoble à un actionnaire privé implique que Grenoble Habitat devienne une société anonyme (SA HLM), et c'est là que cette décision pose problème. Car ce nouveau régime juridique ne permet pas aux communes de faire partie du capital de la société.
"Cette transformation ne pourra ainsi être engagée que si votre commune ainsi que celle de La Tronche cède la totalité des parts détenues dans l'actionnariat de cette société", peut-on lire dans cette lettre de la préfecture adressée au maire écologiste de Grenoble, Eric Piolle.
Or, la Ville de Grenoble prévoyait de conserver un siège au conseil d'administration. Et celle de La Tronche ne souhaite pas se séparer du sien. "On a l'impression qu'avec cette décision (du conseil municipal de Grenoble), la question des finances est passée avant celle du logement social et de la gouvernance locale", regrette le maire de La Tronche, Bertrand Spindler (divers gauche).
Rififi chez les élus locaux
La Métropole serait alors la seule collectivité locale à siéger au conseil d'administration de Grenoble Habitat. Une situation que regrettent les élus du territoire, alors que la majorité grenobloise avait assuré que les municipalités resteraient associées au projet. Promesse plus que jamais remise en question.
D'autant que le président de Grenoble Alpes Métropole, Christophe Ferrari (divers gauche), émet des doutes sur ce projet de cession qui "semble ne pas être conforme" au droit, tout en regrettant de "ne pas (avoir) été associé au processus". Lui avait proposé deux options, dont la recapitalisation.
En clair, la Métropole aurait investi au capital de l'entreprise jusqu'à en devenir actionnaire majoritaire. La Ville de Grenoble aurait alors pu vendre ses parts, mais à moindre coût. Solution écartée par la municipalité verte qui s'est tournée vers des partenaires privés.
Il n'y a pas de majorité politique à la métropole pour le voter.
Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes Métropoleà France 3 Alpes
L'offre de la CDC a par la suite été retenue, sous réserve de conditions suspensives. Des clauses secrètes qui ont toutefois fuité. L'acquéreur demande notamment le "soutien public" de la Métro et de la Ville de La Tronche, a-t-on appris de source proche du dossier. Condition qui semble compromise.
"Il n'y a pas de majorité politique à la métropole pour le voter", tranche Christophe Ferrari. Sans compter qu'une autre clause porte sur le délai dans lequel la vente doit être actée. Un délai jugé très court par les oppositions au moment du vote en conseil municipal, et qui risque d'être encore allongé par cet avertissement de la préfecture.
"S'il n'a plus de vente, il n'y a plus de budget"
Si la délibération est jugée caduque, cela implique un nouveau vote des élus de la Ville. Avec possiblement une pierre d'achoppement : la perte du dernier siège dont souhaitait disposer la Ville au conseil d'administration de Grenoble Habitat. Et donc la cession totale du bailleur social à un actionnaire privé. Un positionnement difficile à tenir d'un point de vue politique.
"S'il n'y a plus de vente, il n'y a plus de budget", glisse une opposante au maire de Grenoble. Quelle que soit la solution choisie par la majorité d'Eric Piolle, de vives tensions risquent de ressurgir autour du dossier.
La Ville conteste les conclusions du préfet [Maj du 16/05/2023]
Contactée par France 3 Alpes le jeudi 11 mai, la Ville de Grenoble a réagi par voie de communiqué ce mardi 16 mai.
Elle "conteste les conclusions de la note d’observations du contrôle de légalité", expliquant que "l'interprétation (du contrôle de légalité, ndlr) est en contradiction avec le Code de la construction et de l'habitat qui stipule expréssément l'inverse dans son article L.431-4 : 'Les régions, les départements, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale peuvent (...) souscrire ou acquérire des actions des sociétés d'habitations'."
La municipalité affirme en outre qu'il existe "au moins un exemple d'une opération similaire de cession (...) dans laquelle la commune conservait des actions et qui a été agréée par arrêté ministériel" et que "de nombreux exemples existent en France de communes présentes au capital et au conseil d'administration d'ESH (Entreprises sociales pour l'habitat, ndlr)."
La Ville estime par conséquent qu'"il est difficile de comprendre pour quelles raisons ces dispositions ne s'appliqueraient pas pour Grenoble Habitat."
Décision attendue de la justice
Un débat juridique qui pourrait être tranché ce mercredi 17 mai lors de l'audience qui se tiendra devant le tribunal administratif de Grenoble à la suite du référé suspension déposé par les élus du groupe municipal Nouvel Air, Socialistes et Apparentés (Nasa).
Ces derniers ayant joint la lettre d'observation de la préfecture au dossier après la première audience, la décision a été reportée par les juges administratifs.