"Je n'ai fait que de la prison toute ma vie" : au procès du trafic de drogue de l'Alma, des prévenus au lourd passé judiciaire

Le procès des trafiquants présumés du quartier de l'Alma, à Grenoble, s'est ouvert ce lundi 9 octobre devant le tribunal correctionnel. Un réseau tentaculaire auquel sont soupçonnés d'avoir appartenu douze prévenus, des chefs aux petites mains.

Alignés face à la présidente, les douze prévenus prennent place tour à tour sur des chaises disposées au premier rang du tribunal correctionnel. L'audience se déroule exceptionnellement dans la salle habituellement réservée à la cour d'assises, la seule permettant d'accueillir le nombre conséquent de personnes jugées dans ce dossier. Une chaise restera vide, l'un des prévenus étant en cavale. L'intérieur d'une salle d'audience est familier pour beaucoup des protagonistes.

"Vous êtes un des recordmen dans ce dossier", lance la présidente à Richard M., listant ses 19 condamnations pour vol aggravé, violences avec arme ou encore extorsion. "Ce sont des mauvais choix. J’étais jeune et il y a eu un effet boule de neige", concède l'homme de 43 ans, mis en cause pour son rôle d'associé présumé des quatre trafiquants aux manettes du lucratif point de deal de l'Alma, à Grenoble.

Il était en cavale depuis son évasion de la maison d'arrêt d'Aiton (Savoie), en 2019, lorsque les policiers l'ont arrêté dans cette affaire de trafic de stupéfiants. Après avoir nié les faits, il en reconnaît désormais une partie. "Pour moi, là, c’est fini. Je n’ai plus les mêmes perspectives d’avenir, assure le quadragénaire ce lundi 9 octobre en retraçant son parcours de vie. Je ne vois plus du tout les choses de la même façon."

"Dès que vous avez le bout du nez dehors, vous commettez un nouveau délit", lui oppose la présidente, Catherine Lanza-Perret, peu convaincue par un prévenu qui enjoint aux juges de lui accorder leur confiance. "La confiance, ça se gagne, répond la magistrate. Pour l’instant, vous ne m’amenez rien qui permette de la gagner."

De lourds passés judiciaires

Des vendeurs ou guetteurs, aux têtes de réseau présumées, de nombreux prévenus se présentent avec un casier judiciaire chargé. "La plupart des noms qui figurent dans ce dossier, le tribunal les connaît", pose Mme Lanza-Perret à l'ouverture des débats. Tous comparaissent libres à l'exception d'Abdelhamid L., placé en détention provisoire pour une affaire de tentative de meurtre sur un policier l'été dernier, à Grenoble.

Il avait tenté de prendre la fuite en Espagne où il a été arrêté puis extradé vers la France. "J’ai voulu changer de vie et m’installer là-bas", balbutie le jeune homme de 23 ans, père de deux enfants en bas âge, assurant qu'il n'était "pas au courant" qu'il était recherché. Abdelhamid L. était alors mis en examen pour son implication dans le trafic de l'Alma au sein duquel il se serait chargé du ravitaillement en stupéfiants, participant à des go fast à l'étranger.

Renfrogné dans son box, il répond laconiquement aux questions de la présidente, nie les faits, mais peine à convaincre. "Est-ce que vous êtes tétanisé par l’audience, la présence de plein de monde ? En fait, vous vous en foutez. Vous ne travaillez pas, vous ne respectez rien, vous comptez sur votre mère (pour vous envoyer de l'argent) quand vous êtes en cavale", lui lance la juge.

"C'est la seule solution que j'ai trouvée"

Les petites mains du réseau reconnaissent plus facilement leur implication. "Je ne faisais rien de ma vie, je restais sur le point de vente et voilà", déclare Wissem K., déjà condamné à plusieurs reprises dans des affaires de stupéfiants. Le jeune homme raconte une enfance passée de foyer en foyer après le décès de sa mère, survenu lorsqu'il avait 4 ans. Puis son premier séjour en prison, et la récidive.

"Je n'ai jamais travaillé de ma vie. Chez moi, personne ne travaille. On n’avait pas d’argent, rien, et c’est la seule solution que j’ai trouvée", répond-il à la barre, les bras croisés. "Pour l’avenir, poursuit-il, j’aimerais bien travailler, arrêter d’aller en prison. Ça serait bien. J’ai 22 ans et je n'ai fait que de la prison toute ma vie."

Fadi A., qui reconnaît avoir été dealer à l'Alma, n'a jamais travaillé lui non plus. "J’essaye de m’en sortir, j’ai déposé des CV. Ça fait 20 jours que je suis sorti de détention et j’essaye de construire ma vie dans une autre ville, loin de Grenoble", assure le garçon de 20 ans, mineur au moment d'une partie des faits. "J’ai quitté l’école (en 3e), j’étais attiré par l’argent et j’ai fait une erreur", assume-t-il.

Dénégations constantes

La plupart des protagonistes du dossier nient tout en bloc. Quatre des prévenus, issus de deux fratries cousines, auraient pourtant été à la tête d'un trafic générant 20 000 euros de chiffre d'affaires par jour en moyenne, soit plus de 7 millions d'euros par an. Les trafiquants opéraient chaque jour, de 10 heures à minuit, entre la place Edmond-Arnaud et la rue Très-Cloîtres.

"Je n'ai rien à faire ici", répète Sassi A. qui était le gestionnaire présumé du point de deal. Lui faisant remarquer son attitude désinvolte, la présidente donne lecture d'un rapport d'expertise psychiatrique qui le décrit comme étant "insoumis à la loi, à l’autorité et à la justice", en "opposition aux normes sociales" et présentant un "état dangereux au sens psychiatrique et criminologique". L'homme se serait par ailleurs vanté auprès du psychiatre d'être "le chef" de l'organisation auquel les autres devaient "loyauté, soumission et gratitude".

Sassi A. s'oppose à ces conclusions mais la magistrate enchaîne : "On dit que vous êtes bête, pas intelligent. Vous êtes un suiveur. On dit que vous ne réfléchissez pas bien. Je voudrais savoir ce que vous en pensez." "S'ils le disent", désespère-t-il. "On en revient à ce que je pensais, conclut fermement Catherine Lanza-Perret, vous n’êtes pas le plus futé de la bande."

Seul un prévenu sort du lot. À 30 ans, Nessim H. affiche une posture rigide à la barre, les mains jointes et le dos légèrement voûté. "J’ai toujours été un travailleur. Je travaille depuis que j’ai 19 ans", déclare l'homme au casier judiciaire beaucoup moins chargé que ses co-prévenus. S'il reconnaît s'être trouvé "dans une très mauvaise période" au moment des faits, Nessim H. soutient n'avoir "jamais touché" aux stupéfiants.

"Il y a beaucoup d'assimilations, peut-être parce qu'il y a des liens familiaux [son frère est le chef de réseau présumé, NDLR] mais c'est insuffisant pour faire tenir une culpabilité", fait valoir son avocat, Me Florent Girault qui pointe les "spéculations" et "amalgames" du dossier. Le tribunal examinera les faits à partir de mardi dans un contexte de "représailles" évoqué en filigrane au cours de la première journée de débats.

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