"Je viendrai t'aider seulement si je vois le sang couler sous la porte" : les internes du CHU de Grenoble tirent la sonnette d'alarme

Manque de personnel, difficulté de recrutements, surcharge de travail et problèmes de prise en charge des patients : l'hôpital public est sous tension. Exemple au CHU de Grenoble. France 3 Alpes donne la parole aux professionnels de santé, aux patients et aux législateurs pour débattre des solutions à apporter de toute urgence.

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Urgences débordées, infirmières en burn-out, manque de bras, les hôpitaux sont sous tension et font face à un manque de moyens humains chronique. C'est le cas en particulier au Centre Hospitalier Universitaire Grenoble Alpes (CHUGA).

"Il y a une pénurie telle que c'est à vous de tout faire", témoigne Thibault Steinmetz, porte-parole de l'association des internes en médecine de Grenoble, sur le plateau de Dimanche en Politique, une émission diffusée ce 14 mai et à voir en replay sur France 3 Alpes.

"Il y a des internes qui font des semaines de 90 à 110 heures par semaine à Grenoble et ce sont des internes qui doivent pousser les patients sur les brancards parce qu'il n'y a pas assez de brancardiers disponibles", indique-t-il.

Des internes seuls pour réaliser des opérations pour la première fois

"Normalement, les internes sont censés être à 80% de leur temps à l'hôpital, et 20% de leur temps c'est de la formation. Elle est inexistante, il n'y a que 6% des internes au CHUGA qui ont accès à leurs 20% de temps de formation", poursuit Thibault Steinmetz. De quoi mener à des situations ahurissantes.

"Cela va se traduire très concrètement par un interne en chirurgie qui va faire pour la première fois une procédure opératoire sur un patient sans l'avoir jamais fait auparavant, sans avoir un senior à côté de lui et parfois avec des phrases de type 'je viendrai t'aider, seulement si je vois le sang couler sous la porte de mon bureau'", déplore le porte-parole de l'association des internes en médecine de Grenoble.

Doubler le nombre de médecins en supprimant le numerus apertus

Interrogée il y a peu par France 3 Alpes, la direction du CHU reconnaissait ces difficultés, notamment aux urgences. "Nous avons un taux de postes vacants non pourvus de 50 %. Cela veut dire qu’on tourne avec seulement la moitié des effectifs. Ce n’est pas un problème de moyens financiers puisque nous avons les postes mais nous ne trouvons pas suffisamment d’urgentistes", expliquait Monique Sorrentino, la directrice générale du CHU Grenoble-Alpes.

Que faire, alors, pour pallier ce manque de personnel et améliorer la qualité de prise en charge des patients ? Depuis plusieurs semaines, le CHU a lancé une vaste campagne de communication et même un job-dating, ce jeudi, pour recruter 400 personnes, dont 230 postes d'infirmiers et infirmières.

Pour Yannick Neuder, député Les Républicains de l'Isère et cardiologue au CHUGA, "il faut former davantage de personnels de santé. On a un processus de sélection qui n'est plus du tout au goût du jour puisqu'on a un vieillissement de la population", argumente-t-il.

"On est passé d'un numérus clausus à un numérus apertus mais on est complètement fous, particulièrement en France. Les professions de santé, du médical et du paramédical, ce sont les choix les plus demandés dans Parcoursup. Mais on est suffisamment fous dans le pays pour globalement décourager et dégoûter 90% de notre jeunesse qui décide de s'engager dans les métiers de la santé par des concours complètement stupides, des numerus, des choses comme cela, alors qu'il suffirait de mettre en place des examens pour valider si vous avez le niveau ou pas", estime le parlementaire.

Déléguer des tâches à d'autres professionnels de santé

François Blanchardon est membre du comité régional de France Assos Santé, une organisation de référence dans la défense des patients et des usagers de la santé. Pour lui, l'urgence, c'est d'abord d'organiser une "délégation des tâches". 

"Il faut réunir médecins et patients et se demander quelles solutions on peut apporter maintenant, peut-être que certaines ne seront pas pérennes. Mais il faudrait libérer les médecins de certaines tâches : faire les suivis, refaire des ordonnances", avance François Blanchardon.

Un projet de loi, actuellement à l'étude au parlement, va dans ce sens. Le texte prévoit de simplifier l'accès des patients aux kinésithérapeuthes, aux infirmiers en pratique avancée et aux orthophonistes pour décharger les médecins généralistes. 

La loi Rist a, elle, plafonné les salaires des médecins intérimaires appelés pour des remplacements, notamment aux urgences. 

"Si on veut des médecins, il faut les payer"

Pour Thibault Steinmetz, la solution passe avant tout par la rémunération, pour fidéliser et reconnaître le travail des professionnels de santé à l'hôpital. 

"Je parlais encore avec un interne aujourd'hui : ils finissent tous les soirs à 22h dans son service et ça ne pose de problèmes à personne que les internes étant moins nombreux finissent à 22h, les heures supplémentaires ne sont pas comptées, elles ne sont pas payées de toute manière, la réglementation ne le prévoit pas", regrette le porte-parole de l'association des internes en médecine de Grenoble.

"Je pense qu'il est urgent d'arrêter d'accepter que le système de soins français et notamment le système hospitalier fonctionne sur cette base de bénévolat complètement ahurissante", ajoute-t-il. 

Car ramené au nombre d'heures de travail, les 30 000 internes de France gagnent, en réalité, moins de 6 euros de l'heure en moyenne.

Si je fais une garde aux urgences, je suis moins payé que quelqu'un au Smic

Thibault Steinmetz

porte-parole de l'association des internes en médecine de Grenoble

"Moi, en tant qu'interne, si je fais des gardes aux urgences, je perds de l'argent par rapport à n'importe quel travail payé au Smic. Et pourtant c'est du travail de nuit, c'est du travail d'une densité inouïe. On peut ne pas avoir le temps de boire un verre d'eau et d'aller aux toilettes de la nuit. On concentre tout ce que la société peut contenir de misère humaine, de détresse, de solitude, de douleur, de gravité, on est confronté à la mort, etc", explique Thibault Steinmetz.

"Si on veut des médecins, il faut les payer. Les rémunérations de médecins peuvent paraître importantes mais il faut les ramener au taux horaire. Une garde de 24 heures, c'est deux tiers de la semaine de travail d'un Français", insiste-t-il. 

Pour retrouver l'intégralité des échanges, regardez le replay de l'émission Dimanche en Politique présentée par Jordan Guéant diffusée ce dimanche 14 mai sur France 3 Alpes.

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