Le procureur général près la cour d'appel de Grenoble Jacques Dallest veut inoculer la culture du "cold case" dans la justice française. Son rapport préconise 26 mesures concrètes, dont une meilleure information des familles de victimes sur l'avancée des enquêtes.
Il aime parler de la justice. La vulgariser. Et si possible, la faire évoluer. Jacques Dallest, procureur général près la cour d’appel de Grenoble, vient de diriger un groupe de travail, mis sur pied en juillet 2019, composé de quinze personnes, parmi lesquels des magistrats, un avocat ou encore des policiers et gendarmes et aboutissant à la rédaction d’un rapport destiné à la chancellerie.
Un rapport préconisant de se donner les moyens de revenir sur les « cold cases ». C’est ainsi que l’on nomme les crimes de sang non-élucidés. Il s’agit de meurtres, la plupart du temps, mais aussi de viols. Ces affaires sont archivées, et considérées comme terminées. On peut remonter très loin dans le temps, ce qui empêche de savoir précisément combien il en existe.
Jacques Dallest reconnaît volontiers que ces affaires correspondent à un échec : « Oui, c’est un échec policier ou judiciaire. Par définition, le criminel fait généralement en sorte de ne pas être pris. Et quelques-uns ont de la chance. D’autres ont pu organiser leur impunité. Ce qui explique que ces affaires ne puissent être élucidées » explique le magistrat qui a lui-même traité des cas de « crime parfait », pour lesquels il n’est pas parvenu à en confondre l’auteur.
Parmi les cold-cases les plus célèbres, on peut citer l’affaire Grégory, pour laquelle des personnes ont été mises en examen, mais qui n’a jamais été résolue. « Il y en a d’autres, comme le massacre de Chevaline, près d’Annecy, qui remonte à 2012. La disparition d’Estelle Mouzin en fait également partie. Ce sont des affaires qui peuvent toujours être élucidées un jour, mais sans garantie aujourd’hui. »
L’ADN, formidable outil de résolution des "dossiers classés"
Il faut savoir que chaque affaire est sujette à des règles de prescription. Vingt ans après qu’une affaire soit clôturée, on ne peut plus revenir en arrière. Cela constitue un obstacle juridique, qui empêche de retravailler un dossier. Heureusement, les évolutions techniques ont permis de faire de grands progrès dans la résolution des affaires, notamment grâce à l’ADN et les empreintes génétiques.
A condition d’avoir bien conservé les objets qui supportent ces traces. « C’est ainsi que nous avons récemment élucidé, à Grenoble, une affaire qui remontait à 1993. L’ADN n’a parlé que plus de 20 ans après. C’est un formidable outil, né dans les années 90 » raconte le magistrat.
Parmi les nouvelles pratiques, on a parfois recours aux ADN dits de "parentelle". « Au sein du fichier national des empreintes génétiques, sont en effet parfois conservés les ADN du père ou d’un frère de l’auteur. On regarde alors si l'ADN dont on dispose dans une affaire peut « matcher » avec ces traces de proches. Nous avons pu élucider des cas par ce biais, alors que l’auteur lui-même n’était pas fiché. » précise Jacques Dallest. Sans oublier le « portrait-robot génétique », qui permet, à partir d’un ADN, de déterminer une couleur de cheveux, ou des yeux, par exemple.
Malheureusement, ils arrivent que ces preuves scientifiques soient détruites au fil du temps. Le rapport rendu par le groupe de travail mené par Jacques Dallest préconise d’ailleurs de ne jamais détruire les scellés. Il arrive aussi que ces preuves soient tout simplement inexistantes « Il est parfaitement possible qu’aucun contact n’ait eu lieu entre l’agresseur et sa victime. Et donc nous n’avons aucun élément biologique permettant de remonter jusqu’à l’auteur des faits. »
Prendre le temps de « guérir les blessures »
En France, la culture du « cold case » n’est pas encore très développée. « Les magistrats sont souvent submergés par de nombreuses affaires judiciaires. Il est donc difficile, pour lui, de se plonger dans des affaires anciennes. Je fais toujours le parallèle avec un internet à l’hôpital, qui serait toujours pris par les urgences, et qui n’a pas le temps de se consacrer aux pathologies plus lourdes… »
C’est le Procureur de la République qui décide de rouvrir une affaire. Soit sur demande de l’avocat d’une victime, soit de lui-même. Il doit saisir un juge d’instruction pour retravailler sur une affaire.
26 propositions concrêtes
Rouvrir une enquête, c’est d’abord lui offrir un nouveau regard. « C’est tout l’intérêt. Cela permet d’avoir une nouvelle lecture, très précise, d’un dossier pour y trouver des choses qui n’ont peut-être pas été vues dans l’enquête initiale. C’est l’une des perspectives que nous appelons de nos vœux dans ce rapport, qui comprend 26 propositions. »
Parmi ces dernières, est envisagée la création de pôles nationaux et régionaux spécialisés dans les cold cases. « Le projet de loi va être discuté devant le Sénat à partir de septembre. J’espère que l’idée sera validée. Les pôles comprendront des juges et des personnes qui seront spécialisées dans ces affaires classées » se satisfait le magistrat.
L’information des familles est également un des piliers de ce rapport. « Je reconnais que moi-même, dans le passé, j’oubliais d’informer les familles quand un dossier n’avançait pas. Aujourd’hui, nous recommandons réellement que les juges et les procureurs soient au contact de proches pour les tenir au courant du développement d’un dossier. Ne serait-ce que pour les écouter. C’est très important », confirme Jacques Dallest.