"L'opéra est en danger en France" : à Grenoble la Fabrique Opéra réunit amateurs et professionnels pour démocratiser l'art lyrique

Comment éviter que l'opéra, au public ultra-minoritaire et âgé, ne décline en France ? En Isère, l'association Fabrique Opéra s'est donné pour mission de lui donner un coup de jeune en allant chercher des centaines de jeunes de lycées professionnels pour créer ses spectacles.

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Née à Grenoble en 2007 sur l'impulsion du chef d'orchestre Patrick Souillot, la Fabrique Opéra a déjà essaimé dans plusieurs autres villes de France et inaugure vendredi une série de trois dates pour son spectacle "Roméo et Juliette" du compositeur Charles Gounod dans la salle grenobloise du Summum (2.500 places).

Sur scène et dans la fosse, un savant mélange de professionnels (solistes, mise en scène et organisation) et d'amateurs (l'orchestre universitaire de  Grenoble et un choeur non permanent). En coulisses s'activent aussi des étudiants de lycées professionnels: ce sont eux qui ont conçu et fabriqué les décors, costumes, coiffures et maquillage.

En cette soirée de répétition générale, l'ambiance est un peu fébrile dans les loges et sur la scène encore plongée dans le noir où un gracieux couple de danseurs s'échauffe. Dans une autre salle à l'écart du public, quelques jeunes penchés sur des machines à coudre font d'ultimes retouches sur des costumes. La plupart viennent de la section mode-matériaux du lycée grenoblois Argouges, partenaire historique de la Fabrique Opéra. Parmi eux, Justine, 22 ans, a réalisé le costume de Tybalt, composé d'un polo, une veste et un pantalon. Même si elle n'entend pas vivre de la couture, elle se dit heureuse de voir le résultat de son travail porté par le chanteur qui joue le rôle du bouillant cousin de Juliette. Eloïse Fleurynck, 20 ans, participe elle aussi "avec fierté" aux préparatifs : "On est inclus de la conception jusqu'aux dernières retouches", se réjouit-elle. "On a l'impression d'être professionnels. On n'est pas juste les assistants de nos professeurs".
Ceux qui se jettent à l'eau se retrouvent de fait dans "un contexte réel avec un cahier des charges, des délais, des contraintes par rapport aux solistes et au choeur. Ils chantent, ils dansent, ce n'est pas du prêt-à-porter statique", abonde l'une de leurs enseignantes, Chantal Boy. "Ils ont des étoiles dans les yeux quand ils sont en coulisses, avec tout ce bouillonnement. C'est vraiment fou !", se réjouit la metteuse en scène, Gersende Michel. "Certains me disent : +Je pensais que c'était chiant, l'opéra+. Quand on a ça, on a tout gagné", sourit-elle.

"Lieux populaires" 

L'objectif déclaré de la Fabrique Opéra, qui affiche dix saisons au compteur, est de "démocratiser l'art lyrique". Chaque spectacle implique de 400 à 500 étudiants ou apprentis. Au total, quelque 4.500 d'entre eux ont déjà participé à l'un de
ces projets. Le concept a déjà été reproduit notamment à Orléans, Strasbourg ou Périgueux, où chaque structure mène ses projets de manière indépendante. D'autres devraient également ouvrir l'année prochaine à Dijon et en Occitanie.
Covid oblige, Roméo et Juliette, initialement prévu en mars 2020, a dû être reprogrammé plusieurs fois, ce qui a sensiblement perturbé une organisation déjà complexe. Mais l'objectif reste le même: attirer un public le plus large possible. Pour
cela, Fabrique Opéra, qui se finance aux deux tiers sur ses recettes propres, met un point d'honneur à proposer des tarifs "raisonnables" (37 euros en moyenne le billet), à se produire dans des "lieux populaires" et à introduire une narration
en français. "A chaque fois, on essaie de trouver des partenaires pour les impliquer parce qu'un gamin qui bosse sur ce projet, c'est un gamin qui va voir un opéra: il a le droit de ne pas aimer, mais au moins il a un avis éclairé", dit le chef d'orchestre Patrick Souillot. Seuls 4% des Français déclarent aller une fois par an à l'opéra et "la moyenne d'âge prend six mois tous les ans, donc on fait quoi dans vingt ans ?", relève-t-il. Si on ajoute à cela un système de subventions "injuste" et une baisse "inévitable" à terme, "le système est à bout": l'opéra "est vraiment en danger en France", estime-t-il. A terme, M. Souillot se voit bien investir aussi les stations de ski : "Elles ont un potentiel incroyable. Il y a là plein de gens qui ne vont pas à l'opéra, ils m'intéressent aussi, ceux-là !", lance-t-il.

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