Quelles seront les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité de nos montagnes ? C’est ce que tentent de prédire plusieurs chercheurs du laboratoire d’écologie alpine, entre les Hautes-Alpes et l’Isère, grâce à l’opération "alpages volants".
"C’est une opération coup de poing", selon Jérôme Poulenard. Membre du laboratoire EDYTEM et professeur à l’université Savoie Mont-Blanc, il participe à l’opération "alpages volants" avec une dizaine d’autres chercheurs. Leur objectif : simuler un réchauffement climatique d’environ deux degrés afin d’observer son impact sur la biodiversité.
Nous regardons comment les plantes, le sol, sont capables de s’acclimater.
"L’intérêt est de comprendre comment le milieu est capable, ou non, de réagir au changement climatique très brutal qui a lieu en ce moment", affirme Jean-Gabriel Valay, le directeur du Jardin du Lautaret.
Des tonnes de parcelles de prairie déplacées et réchauffées
Un hélicoptère récupère des parcelles de terre situées à 2 500 mètres d’altitude, au-dessus du col du Lautaret, point de passage entre l’Oisans en Isère et le Briançonnais, dans les Hautes-Alpes.
Puis, ces parcelles sont déposées et plantées 400 mètres plus bas, entre col du Galibier et Monêtier-les-Bains. C'est grâce à cette baisse d'altitude que la parcelle va se "réchauffer" et, de ce fait, simuler un changement climatique.
"On voit bien que la végétation d’ici est différente de celle située plus haut, en altitude", remarque Tamara Münkemüller, à la tête du projet de recherche "alpages volants" depuis cinq ans.
Affiner les premiers constats de ce réchauffement expérimental
Les recherches ont débuté en 2016. Douze tonnes de parcelles étaient alors déplacées de 2 500 à 1 900 mètres d’altitude.
Cette nouvelle opération est une "étape intermédiaire", selon Tamara Münkemüller, "qui vise à affiner les premiers constats". Parmi eux, la libération de carbone, maintenu initialement dans la matière organique. Les sols des prairies de haute montagne sont d’importants puits de carbone.
Comment expliquer cette libération de carbone ? Jérôme Poulenard, membre du laboratoire EDYTEM et professeur à l’université Savoie Mont-Blanc, a l'explication : "Cette matière organique est maintenue par le froid, en altitude. Quand on perd de l’altitude, une partie assez limitée mais non négligeable de cette matière organique est larguée vers l’atmosphère car elle est consommée par des bactéries et des champignons."
On met en évidence un changement d’activité lié au réchauffement climatique.
Selon les chercheurs, "il y a un risque que, sous l’effet du réchauffement climatique, le carbone stocké dans les sols de montagne soit libéré dans l’atmosphère sous forme de gaz à effet de serre, ce qui accélérerait encore plus le réchauffement climatique".
Certaines plantes s’adaptent, d’autres ne résistent pas
Dans un contexte de réchauffement climatique, les plantes "migrent en altitude", explique Wilfried Thuiller, directeur de recherches au CNRS. "Elles rencontrent alors de nouvelles communautés et de nouvelles plantes déjà installées en altitude et elles vont se confronter."
Certaines espèces n’arriveront pas à entrer dans ces nouvelles communautés végétales car elles ne sont pas adaptées à ces conditions. D’autres prendront le dessus.
Quand l’ADN parle…
Pour comprendre la réaction des sols et des espèces végétales face aux changements climatiques, des analyses ADN sont effectuées tous les ans. "Nous pouvons retrouver la trace de tous les animaux, micro-organismes, qui vivent dans ces sols", explique Tamara Münkemüller. Pour le laboratoire d'écologie alpine (qui regroupe le CNRS, l'université Grenoble-Alpes et l'université Savoie Mont-Blanc), l'opération va durer des années. "C’est une recherche éternelle", confie Jean-Gabriel Valay.