Qui est Emmanuel Faber, patron atypique évincé de la direction générale de Danone

On lui reprochait d'avoir les pleins pouvoir chez Danone. Le Grenoblois Emmanuel Faber a été évincé ce lundi 1er mars de la direction générale du groupe par le conseil d'administration. Portrait de ce patron atypique qui agace les milieux financiers. 

Le patron de Danone Emmanuel Faber, déstabilisé par une fronde d'actionnaires qui va l'obliger à céder la direction générale du groupe, s'était taillé une image atypique au sein du CAC 40, celle d'un patron exigeant tiraillé entre ses plaidoyers pour la justice sociale et les exigences des marchés financiers.

"Si vous croyez que c'est moi qui décide chez Danone, vous vous trompez", pouvait-on l'entendre dire ces dernières semaines en interview ou lors de la présentation du nouveau siège de Danone France, fin janvier. La boutade sonnait étrangement chez ce patron du CAC 40 qui se voyait reprocher d'avoir les pleins pouvoirs à la tête du fleuron français de l'agroalimentaire -il était PDG depuis fin 2017- sans parvenir à redresser les ventes et le cours de Bourse. Des pleins pouvoirs qu'il a, de facto, perdus lundi, après que le conseil d'administration a décidé de confier la direction générale à un autre, sans doute d'ici quelques mois, en lui laissant toutefois la présidence.

Il faisait l'objet d'une campagne hostile par des fonds d'investissement jugeant les performances du groupe insuffisantes. Une "manoeuvre opportuniste" de fonds en quête de plus-value répondant à la "règle du marché", analyse-t-on dans l'entourage du dirigeant âgé de 57 ans.

Ce dernier est précédé d'une image de moine-soldat du capitalisme responsable, brouillée toutefois par l'annonce en novembre d'une cure d'amaigrissement parmi les managers (jusqu'à 2.000 postes concernés dans le monde sur 100.000). Objectif: redresser la rentabilité malmenée par la pandémie de Covid-19. Comme un retour en force des impératifs du marché, quelques mois après une victoire symbolique. 

En juin, les actionnaires avaient plébiscité la transformation de Danone en "entreprise à mission", un statut qui l'enjoint à poursuivre des objectifs extra-financiers, notamment en matière de préservation de l'environnement.

"Vous venez de déboulonner une statue de Milton Friedman [économiste américain considéré comme un des pères du néolibéralisme, NDLR]. Cela peut en inquiéter certains, mais qu'ils se rassurent, il y en a encore beaucoup", avait lancé Emmanuel Faber, peu après avoir rappelé son désir de voir "une finance qui sert l'économie qui sert les Hommes".

"Steve Jobs de l'agroalimentaire" 

Un discours atypique pour le dirigeant d'une des plus grosses entreprises agroalimentaires au monde (23,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires l'an dernier), mais cohérent avec la foi catholique qui anime cet homme, marié et père de trois enfants.

En 2019, il avait renoncé à sa retraite chapeau et à son indemnité de non-concurrence en cas de départ de Danone.

Il avait aussi marqué les esprits en 2016 en affirmant, sans cravate, que "sans justice sociale, il n'y aurait plus d'économie" devant les diplômés de la prestigieuse école de commerce HEC, dont il est lui-même issu.

Il décrivait alors le destin de son frère schizophrène, aujourd'hui décédé: "A cause de lui, j'ai découvert l'amitié de SDF, de temps en temps je vais dormir avec eux. (...) Je suis allé séjourner dans des bidonvilles à Delhi, à Bombay, à Nairobi, à Jakarta. Je suis passé au bidonville d'Aubervilliers, vous savez c'est pas très loin de chez nous, à Paris (...). Je suis allé à la jungle de Calais."

Né en 1964 à Grenoble, l'homme à l'allure d'ascète, qui dit trouver son "équilibre de vie" dans la montagne et l'escalade, a commencé sa carrière comme banquier d'affaires.

Il entre en 1997 à Danone où il devient le lieutenant de Franck Riboud, fils du fondateur Antoine Riboud. Il est nommé directeur général en 2014.

Arrivé dans un climat morose, Emmanuel Faber orchestre le rachat du géant du bio WhiteWave (valorisé 12,5 milliards de dollars), la plus grosse acquisition du groupe en dix ans qui le fait entrer de plain-pied sur le marché américain. Puis prend la présidence de Danone fin 2017.

Un haut cadre du groupe le décrit comme "un Janus, un homme qui a deux visages". "Il peut être humaniste, inspirant et pénétré, dans ses discours sur la transformation du monde. C'est aussi un capitaine d'industrie, un financier, ancré dans une culture de banquier d'affaires. Dès qu'on parle de deal ou de pognon, il peut avoir un goût de sang dans la bouche. Il est capable d'être les deux, ça peut être déstabilisant. Mais il n'est pas hypocrite", affirme cette source.

Un syndicaliste loue lui un patron "très accessible auprès des partenaires sociaux", soucieux d'expliquer sa stratégie. Quand un autre tranche: "Quand il y a un choix à faire, c'est l'économie qui l'emporte sur le social." Trois des quatre organisations syndicales du groupe ont défendu sa gouvernance quand les fonds d'investissement ont demandé sa tête.

Quant aux milieux financiers, "il les agace certainement un peu", résume un analyste, pour qui il est perçu "comme étant un peu le Steve Jobs de l'agroalimentaire": il partage avec le cofondateur d'Apple le goût des cols roulés et l'évocation d'une vision "à très long terme".

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