Auteure, musicienne, peintre, Sarah Anton travaille depuis quelques années sur des tableaux à partir de son histoire personnelle, dans son atelier à Grenoble. Elle a été victime de violences conjugales et veut l'exprimer par la peinture.
A l'entrée du 10 rue Marx Dormoy, Witson veille. L'imposant ours en peluche trône au niveau de la porte d'entrée de l'atelier grenoblois de Sarah Anton. Impossible de passer à côté : si vous vous voulez rentrer à son atelier, "Acoeur", la bête devra être mise de côté, le temps de quelques secondes.
"Elle me protège, elle permet aux gens de voir qu'ils peuvent regarder mais qu'ils n'entrent pas. Je laisse les gens entrer si je vois qu'il y a un intérêt, explique l'artiste de 38 ans. Elle fait flipper la plupart des gens qui passent et qui croient que c'est un énorme chien. Elle fait rire, elle attendrit, elle est gardienne."
Sarah Anton s'est installée il y a plus de trois ans dans ce local situé dans le quartier Saint-Bruno, à Grenoble. L'ourse, elle, est arrivée plus récemment. "Avant, la porte était complètement libre, on pouvait entrer. Ca a été très compliqué. Cette ourse me protège d'abus, de violences et de désagréments. Si on la pousse, ça fait du bruit."
A l'ouverture de son atelier et depuis qu'elle peint, Sarah avait l'habitude "de peindre la réalité en face" d'elle : des portraits, des nus... "Aujourd'hui, je peins ce que je pense, ce que je ressens avec émotivité, recherche de sensations, dans les couleurs, les traits..."
Une chute de quatre étages
Un déclic explique cette métamorphose. Il y a deux ans, son petit ami d'alors la pousse violemment dans l'escalier. Une chute de quatre étages. "Il me poussait beaucoup, dans la rue, devant les terrasses de café... Je me faisais violenter, mépriser, en permanence, que ce soit verbal ou physique."
Leur déni, leur fuite ou la pauvreté du débat sur les violences faites aux femmes, que j'ai vécues et que j'ai cherchées à comprendre, ça m'a révoltée.
Ce tableau, sans doute le plus personnel qu'elle ait jamais peint, "est le plus éprouvant" pour elle. D'autant qu'elle n'a que très peu été soutenue autour d'elle. "Les gens n'étaient pas dupes de son agressivité (de son ex-compagnon). Leur déni, leur fuite ou la pauvreté du débat sur les violences faites aux femmes, que j'ai vécues et que j'ai cherchées à comprendre, ça m'a révoltée. Tant de gens observaient ce que je vivais, avec si peu de bienveillance, de dialogue, d'intérêt. Là, j'ai complètement changé ma manière de peindre." Elle ne perd pas son sourire, à la fois empreint de bienveillance et de colère. "J'ai mis au point quelque chose qui parle à tout le monde. Les gens qui voient la série voient autre chose que la violence : la vitalité, la joie, la créativité, l'amour."
Elle a représenté ces témoins sur sa toile, nommée "Show me" : "Ce sont des yeux sans bras, sans bouche, sans mains, sans coeur. C'est l'Homme réduit à sa faculté de voir", confie t-elle, malgré tout avec optimisme. "C'est aussi cet oeil qui peut changer les choses. Je suis persuadée que le seul moyen de faire avancer les choses concrètement, c'est de regarder. Quand je me fais agresser, si les gens passent s'arrêtent, montrent qu'ils voient, ça change tout. Les policiers ont montré qu'ils avaient vu, lu, entendu."
"Plus j'avance, plus j'ai la rage"
Sarah n'a pas seulement subi des violences conjugales. Elle s'est également fait agresser au sein de son atelier grenoblois : l'arrivée de l'ourse n'y est pas étranger, tout comme l'installation de miroirs, "pour éviter d'avoir des angles morts. A chaque fois que j'ai été atouchée, embêtée, agressée, c'était par derrière, c'était insupportable", raconte Sarah, passée par l'école de Beaux-Arts de Grenoble puis à l'Université des Arts de Berlin, de 2007 à 2012.
Longtemps, elle n'a pas voulu mêler art et vie personnelle. "Dans mon, art j'ai beaucoup transformé par pudeur. Je suis artiste, peintre, musicienne, auteure, je ne voudrais pas qu'on dise que je suis seulement une femme victime de violences." La donne a changé. Celle qui ne s'est jamais considérée féministe l'est par les orientations qu'elle a prises. "J'ai la rage de plus en plus. Plus j'avance, plus j'ai la rage. On est dans des situations extrêmement compliquées, difficiles, éprouvantes, fatiguantes, injustes, cruelles, stupides en ayant ce sexe entre les jambes."
Sarah Anton a prévu d'exposer sa série de six toiles, où la femme est mise à l'honneur, en novembre.