Une femme de 35 ans, originaire de Grenoble, "revenante" de Syrie et ex-épouse d’un émir du groupe Etat islamique, va être jugée en France pour génocide et crimes contre l’humanité. Elle est soupçonnée d’avoir, en 2015, réduit en esclavage une adolescente yézidie en Syrie.
Sonia M., "revenante" de Syrie, ex-épouse d'un émir du groupe Etat islamique sera jugée en France pour génocide et crimes contre l'humanité. Elle est notamment soupçonnée d'avoir, au printemps 2015, réduit en esclavage une adolescente yézidie en Syrie, retrouvée par les enquêteurs. Selon nos confrères de franceinfo, Sonia M. est originaire de Grenoble.
Un juge d'instruction antiterroriste a ordonné mardi, conformément aux réquisitions du Parquet national antiterroriste (Pnat), ce procès pour génocide et crimes contre l'humanité à l'encontre de Sonia M., a appris l'AFP de source proche du dossier.
"Garante de l'enfermement"
Cette femme est soupçonnée d'avoir "infligé des souffrances mentales aiguës", des "privations de nourriture et d'eau" et des violences physiques à une jeune Yézidie, achetée par son ex-mari qui est lui accusé de l'avoir violée.
Sonia M., salariée de l'EI, est décrite dans l'ordonnance du juge consultée par l'AFP comme "la garante de l'enfermement" de l'adolescente de 16 ans : elle détenait la clef de l'appartement et portait, selon le magistrat, une arme pour la dissuader de fuir.
Sonia M. conteste les accusations
Au contraire, la mise en cause, qui conteste les accusations, s'est présentée comme une "femme soumise" à son mari. Il était le "propriétaire, moi, je n'avais aucun droit sur elle", s'est-elle défendue au cours des investigations.
Lors de l'un de ses dix interrogatoires, elle a aussi assuré avoir été "déçue" par l'EI, "notamment par l'esclavage des Yézidies, le fait que les Européens de Daech (acronyme arabe de l'EI) se sentaient supérieurs aux Syriens et les traitaient comme des moins que rien". Son avocat, Me Nabil Boudi, a indiqué qu'elle allait faire appel de cette ordonnance.
Son ex-mari jugé en son absence
L'ex-mari de Sonia M., Abdelnasser B. alias "Abou Mouthana", est considéré comme l'un des créateurs de la cellule opérations extérieures de l'EI et avait déjà été condamné en son absence en France pour l'attentat avorté de Villejuif de 2015.
Le Franco-Algérien est présumé mort en 2016 dans la zone syro-irakienne. Visé toutefois par un mandat d'arrêt, il sera aussi jugé en son absence notamment pour génocide, crimes contre l'humanité ou direction d'une association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Abdelnasser B. "savait qu'en acquérant" la Yézidie "et en la soumettant à un enfermement, à des viols répétés et à des privations graves, il participait à l'attaque dirigée par l'EI contre la communauté yézidie", a justifié le magistrat dans son ordonnance.
Violée pendant six années
La jeune Yézidie a été "séquestrée, humiliée et violée par plusieurs jihadistes pendant six années", parmi lesquels Abdelnasser B. qui l'a revendue à un autre "tortionnaire" et haut responsable de l'EI. "Le cœur du génocide des Yézidis, ce sont ces viols perpétrés par des jihadistes", a rappelé une source proche du dossier.
L'ordonnance détaille ainsi la propagande retrouvée sur zone, notamment "15 commandements relatifs aux relations sexuelles" ou encore des stérilisations forcées (pilules ou injections).
La victime entendue par la justice
En l'absence d'Abdelnasser B., l'information judiciaire s'est resserrée autour de Sonia M. Les investigations se fondent essentiellement sur le témoignage de la Yézidie, aujourd'hui âgée de 25 ans.
Elle a affirmé avoir été séquestrée pendant plus d'un mois au printemps 2015 en Syrie, au cours duquel elle n'aurait pu ni boire, ni manger, ni se doucher sans l'autorisation de Sonia M. Elle a aussi accusé cette dernière de l'avoir violentée et d'avoir été au courant que son mari la violait. Le juge a ainsi ordonné que Sonia M. soit jugée pour complicité de viols constitutifs de crimes contre l'humanité.
Dans ce type de dossiers, il est rare de retrouver des victimes. Des partenaires internationaux, comme l'agence onusienne UNITAD, ont recoupé d'autres témoignages jusqu'à identifier la Yézidie. Elle a ensuite été entendue par des magistrats irakiens et français, sa parole constituant une riche mine d'indices. Toutefois, plusieurs sources proches du dossier ont estimé auprès de l'AFP que la force de preuve de ces accusations restait limitée.
Deux autres "revenantes" poursuivies
Depuis fin 2016, la justice française cherche à documenter les crimes de l'Etat islamique à l'encontre des minorités et a ouvert fin 2016 une enquête préliminaire dite "structurelle".
Outre Sonia M., au moins deux femmes, parmi les "revenantes" poursuivies en France, ont également été mises en examen pour des chefs relevant du pôle crimes contre l'humanité.
Pour Romain Ruiz, avocat de la Yézidie, le procès de Sonia M. et d'Abdelnasser B. doit pousser à la "création d'un fonds d'indemnisation des victimes de crimes contre l'humanité".