Isère : l'escalade désormais interdite sur une grande partie des falaises de Presles, haut lieu de la grimpe en France

Une importante partie des falaises de Presles, haut lieu de l'escalade en France, est interdite d'accès aux grimpeurs depuis le début de l'année. En cause : une bataille entre la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME), le propriétaire et le département de l'Isère autour de la prise en charge des lieux.

Les falaises de Presles devaient fêter, cette année, le 70e anniversaire de sa première ascension. Mais, à la place, l'année 2023 devrait marquer un tournant dans l'histoire de ce prestigieux site d'escalade. Pour cause : la SARL des Rochers de Choranche, qui possède près de 1,5 km des falaises situées dans le Vercors, a annoncé, en fin de semaine dernière, l'interdiction de "la pratique de l'escalade sous toutes ses formes sur l'ensemble de (ses) parcelles".

Un coup dur pour la communauté de la grimpe : les falaises de Presles représentent un mythe, peut-être moins connu du grand public que les gorges du Verdon, mais tout aussi considéré par les amoureux des grandes voies et les professionnels du milieu.

Une décision historique

La fermeture de ces falaises calcaires hautes de 200 mètres découle du déconventionnement des sites naturels opéré par la Fédération française de la montagne et de l'escalade (FFME). Pour tout comprendre, il faut remonter en 2010 lorsqu'un guide de montagne est tombé d'une falaise à Vingrau (Pyrénées-Orientales), à cause d'un bloc de roche qui s'est détaché de la paroi. Conséquences : une lourde blessure pour le guide, mais aussi pour sa compagne qui l'assurait en contre-bas et qui a dû se faire amputer d'un bras.

Après cet accident, le couple a intenté une action en justice pour être indemnisé. La FFME, considérée comme le "gardien de la chose" par la convention qui la lie au site, a été jugée responsable sans faute et condamnée à payer 1,6 million d'euros. Cette première a poussé l'assureur de la Fédération à ne plus prendre en charge le risque lié à ces conventions, à moins d'augmenter la cotisation des licenciés de la FFME.

Cette dernière option a été balayée par la Fédération, qui a préféré mettre fin à la quasi-totalité des conventions avec les propriétaires des sites naturels, avec une entrée en vigueur fixée au 1er janvier 2023...

"Ce n'est pas comme ça qu'on fait les choses"

Depuis le début de l'année, le pratiquant peut désormais se retourner vers le propriétaire du site en cas d'accident ou autre événement. "A priori, la loi est désormais moins sévère si le propriétaire fait le nécessaire sur son site en termes de prévention. Ma décision de fermer les falaises est surtout un message contre la Fédération", explique Laurent Garnier propriétaire des terrains où se trouve une grande partie des falaises.

Il poursuit : "J'ai interdit l'ensemble des voies pour marquer mon très fort mécontentement contre la décision de la Fédération après 40 ans de bons et loyaux services. Ce déconventionnement a été fait sans considération pour les propriétaires. Je trouve que la Fédération n'a pas été politiquement et diplomatiquement correct. Ce n'est pas comme ça qu'on fait les choses."

Depuis quelques années, Laurent Garnier accueille sur son terrain des grimpeurs toujours plus nombreux depuis la fin de la crise du Covid-19. Malgré quelques dérives et des comportements inappropriés, il a maintenu sa route et son parking ouverts gratuitement. "Mon objectif n'a jamais été d'interdire l'escalade. J'ai des rapports cordiaux avec les professionnels du coin. Mais, je n'ai pas envie de gérer les grimpeurs, leur comportement, leur sécurité, les chutes de pierres..."

Un "transfert de responsabilité"

Dans son courrier adressé à la FFME, il fait même savoir qu'une entreprise était "actuellement sur site" pour démanteler les équipements accrochés aux parois de la "partie anciennement conventionnée".

Ce courrier a bien été reçu au plus haut de l'instance : "J'ai été extrêmement choqué par le ton de ce courrier alors que nous avons eu toujours eu de bonnes relations avec Monsieur Garnier", raconte Alain Carrière, président de la FFME.

L'idée, c'est que les collectivités territoriales, comme le département de l'Isère, reprenne la garde de ces sites.

Alain Carrière, président de la FFME.

Ce dernier préfère évoquer un "transfert de responsabilité" plutôt qu'un "déconventionnement" des sites naturels : "Les conventions ont commencé à être établies dans les années 1980, alors que l'escalade en falaise connaissait un important essor. On était la seule fédération sportive en France à assurer la responsabilité des sites. Mais, la société a changé et il faut s'adapter. Les recours en justice pourraient devenir de plus en plus nombreux, alors qu'on estime à un million le nombre de grimpeurs en falaise."

"Nous avons discuté pendant près de deux ans afin de préparer la transition. L'idée, c'est que les collectivités territoriales, comme le département de l'Isère, reprennent la garde de ces sites", explique-t-il. Après examen du site, le département a fait savoir qu'il ne voulait, pour le moment, pas reprendre cette responsabilité. Ses arguments : plusieurs voies ne seraient pas assez sécurisées et des chemins d'accès seraient exposées aux chutes de pierres.

"Nous sommes toujours en discussion avec le département. Nous sommes convaincus que nous allons trouver une issue positive. Les discussions sont un peu rompues avec le propriétaire du terrain, mais nous espérons renouer contact et que les choses rentreront dans l'ordre", témoigne Alain Carrière, qui se veut rassurant.

"On préfère accuser le coup"

Quoiqu'il advienne des falaises de l'accès aux falaises de Presles, une partie de la communauté des grimpeurs s'est rangée du côté du propriétaire, Laurent Garnier. "On préfère jouer le jeu et accuser le coup. On demande aux grimpeurs de ne pas aller sur le site, même sur les parcelles qui n'étaient déjà pas conventionnées", fait part Ludovic Pin, vice-président de l'association Vercors Territoires du Nord-Ouest (VTNO), qui y organise de nombreuses sorties.

"On n'a pas proposé de solution au propriétaire, faute d'engagement de la part du département. On attend de la collectivité qu'elle signe la convention. Les craintes de Laurent Garnier sont fondées, il peut craindre que des pratiquants peu formés, des amateurs d'escalade, se retournent contre lui", poursuit-il. 

Le gîte de Bernard Gravier domine les falaises de Presles. Ce guide, ouvreur bénévole, fait aussi part de son incompréhension : "C'est important de faire la différence entre les hommes et les institutions. Il y a des personnes formidables dans cette fédération. Mais les personnes qui sont à sa tête ont fait n'importe quoi."

Des conséquences sur le tourisme

"Cette fédération ne me représente pas du tout. Avec ces déconventionnements, ils mettent en avant l'escalade en salle et en oublient même l'essence de notre activité. Les sports en pleine nature n'ont jamais autant compté de pratiquants. C'est une décision qui va à contresens, selon moi", continue-t-il.

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Reportage réalisé en 2020 sur les parois des falaises de Presles. ©FTV

Il reçoit de nombreux grimpeurs à l'année, même hors période touristique. Une fermeture de la falaise pourrait avoir des conséquences sur son activité mais aussi sur le bassin de vie : "Ca touche de nombreuses personnes. Des jeunes sont attirés par cette commune parce qu'il y a ces falaises et l'escalade. Certaines personnes dépendent de ce tourisme. La fermeture de ces falaises pourrait changer beaucoup de choses pour elles."

"Certains disent que cette décision est temporaire. Je vous l'assure : ces falaises sont fermées jusqu'à nouvel ordre", assure de son côté Laurent Garnier.

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