En Isère, Sébastien Raichon a marqué l'histoire de la Chartreuse Terminorum, une course d'ultra-trail de près de 300 km et 25 000 mètres de dénivelé positif, organisée chaque année. Après 71 heures et 26 minutes de course, ce spécialiste des longues distances est le premier homme à avoir fini cette épreuve depuis sa création en 2017.
Elle est considérée comme la course d'endurance la plus dure de France, avec ses quelque 300 km et 25 000 mètres de dénivelé positif. Mais la Chartreuse Terminorum, qui s'est déroulée ce week-end du 16 au 19 juin dans le massif isérois, non loin de Grenoble, a finalement trouvé plus fort qu'elle. Au total, cinq coureurs sont parvenus à dompter le monstre. Dont le Vauclusien Sébastien Raichon, arrivé premier de l'épreuve.
L'adepte de l'ultra-trail et des courses de raid aventure a bouclé les cinq tours du parcours en 71 heures et 26 minutes. Une première : en cinq éditions, personne n'était venu à bout de cette épreuve, largement inspirée de la Barkley Marathon, organisée tous les ans sur les sentiers de Frozen Head, un parc du Tennessee, aux États-Unis.
Après un repos mérité, Sébastien Fraichon revient en longueur sur son expérience et sa course :
France 3 Alpes : "Comment avez-vous connu cette course, qui est organisée en petit comité (40 participants pour cette édition 2023, NDLR) ? Et comment est-elle devenue un objectif ?
Sébastien Raichon : Je suis l'actualité du trail et j'en fais depuis vingt ans. Quand elle a été créée, elle m'a interpellé. Je suis la Barkley depuis toujours. Quand, ce format en France a été créé, ça m'a intéressé. J'ai regardé le format et je me suis dit que ça avait l'air vraiment compliqué à boucler. J'ai observé ça lors des premières éditions. J'avais d'autres courses à mon programme, je n'avais pas la place de la caser.
Cette année, je me suis dit que c'était le moment. J'avais déjà fait des courses solos qui me permettaient d'y postuler et d'y croire. C'était ma première participation.
Comment vous êtes-vous préparé à cette Chartreuse Terminorum, qui mélange trail et orientation (les participants doivent s'aider d'une carte pour trouver des livres disséminés à plusieurs endroits et qui servent de points de passage, NDLR) ?
Ça fait quinze ans que je me prépare pour cette course. Je n'ai pas fait une préparation spécifique. C'est une épreuve qui correspond à ce que je pratique en permanence. Je fais des raids aventure et des ultra-trails avec toujours beaucoup de distance et de dénivelé positif. J'ai déjà fait deux fois la traversée des Alpes, le Tor des Glaciers, une course de 500 km en Sicile en avril, un raid en Croatie... Je suis un très grand fan de l'ultra endurance.
Je suis donc arrivé sur cette Terminorum avec la préparation de l'année. Je fais toujours beaucoup de dénivelé chaque semaine... J'habite au pied du mont Ventoux, c'est mon terrain de jeu. Les sorties en montagne, c'est ce que je préfère. Je suis donc venu sans entraînement spécifique, mais avec beaucoup d'envie et de détermination. Je crois que sur ce genre de course de plusieurs jours, c'est ce qui compte : avoir un gros mental.
Comment l'orientation se gère sur cette course ?
Je suis un spécialiste de la course d'orientation depuis 20 ans. Je la pratique en club. J'ai une énorme habitude de lire des cartes. Dans les raids aventures en équipes, c'est moi l'orienteur. C'est quelque chose qui ne m'a pas vraiment inquiété.
On a bénéficié de conditions météo juste parfaites. Le terrain était sec, alors que les orages créent souvent des champs de boue sur la Terminorum à cette période de l'année.
Sébastien Raichon.
En plus, j'ai effectué les deux premiers tours avec François Devaux, un ancien de la Terminorum, qui connaissait déjà bien le parcours. Ça a été super confortable. Je m'attendais à quelques difficultés pour trouver des livres, mais en tout, on a dû perdre seulement deux fois cinq minutes sur le premier tour. Je t'avoue que j'ai même rangé la carte au cours du deuxième tour, j'avais l'impression de connaître le parcours par cœur. Quand tu as l'habitude, tu prends des repaires que tu arrives à mémoriser. La seule difficulté, c'est qu'entre le premier et le deuxième tour, le sens de la course change. Puis, on les effectue de jour comme de nuit.
Vous aviez fait des repérages avant le début de la course ?
Non, c'était une découverte de la Chartreuse. J'étais déjà venu une fois ou deux mais pas plus. J'avais de très lointains souvenirs. C'était super, j'aime bien venir dans de nouveaux endroits et de les découvrir avec la carte.
Le terrain est réputé pour être assez technique, avec un important ratio kilomètre/dénivelé positif. Qu'en avez-vous pensé ?
On n'est que sur des chemins et des sentiers. Parfois, nous sommes sur des vieux sentiers pas très bien marqués, c'est super sympa. On a bénéficié de conditions météo juste parfaites. Le terrain était sec, alors que les orages créent souvent des champs de boue sur la Terminorum à cette période de l'année. Il faisait 20 ou 23 degrés en forêt avec un petit vent frais de la Chartreuse... C'était idéal.
La course est en petit comité au milieu du massif de la Chartreuse. Quelle est l'ambiance avant le départ ?
Je suis arrivé tard sur le camp de base, sur les coups de 20 heures le vendredi. C'est très fraternel comme ambiance. Tout le monde s'encourage, s'entraide. Même sur le premier tour, tout le monde reste bien ensemble pour s'aider à trouver les livres.
Le départ est donné à 4h48 du matin. Vous vous élancez tous. Comment se passent les premières heures de la course ?
Ça part très vite. Sur les trois ou quatre premières heures, je m'accroche un peu. Au vu du rythme de la course et des autres participants, je me suis même dit que je n'étais pas en forme. Au milieu du premier tour, ça s'est un peu calmé.
Au fur et à mesure des tours, les abandons s'enchaînent. Comment avez-vous géré cette pression et le rythme de la course ?
C'est un peu ma force, je suis tellement habitué aux efforts très longs que je n'ai pas trop diminué en vitesse au long de la course. Très vite, je me rends compte qu'on a beaucoup d'avance, notamment après le premier et le deuxième tour. Après le deuxième tour, je comprends que ça peut le faire pour rentrer dans la barrière horaire des 80 heures.
Le cinquième tour s'est fait sur la troisième nuit. Là, c'était terrible. Le sommeil t'envahit, tu titubes.
Sébastien Raichon.
Par contre, j'ai des soucis d'alimentation. Comme souvent, je n'arrive pas à m'alimenter sur les tours 2, 3 et 4. Du coup, j'ai puisé sur mes réserves énergétiques. J'ai ce problème-là et ce n'est pas agréable car j'ai des nausées et des envies de vomir mais je reste serein. Après le deuxième tour, j'ai quand même un sentiment de bien-être et de sérénité qui m'envahit.
D'autres douleurs arrivent-elles avec la distance ?
Il y a les pieds qui commencent forcément à chauffer à certains endroits, sous la voûte plantaire, sur le talon. J'avais prévu le coup et j'ai pris soin de mes pieds. J'ai la chance de ne pas avoir trop de problèmes articulaires et musculaires. La difficulté, c'est les nuits. La deuxième nuit était un peu plus dure. On a envie de dormir, j’ai juste fait deux petites 'siestes flash' de cinq minutes.
Le cinquième tour s'est fait sur la troisième nuit. Là, c'était terrible. Le sommeil t'envahit, tu titubes. T'as l'esprit qui divague. Sur la dernière nuit, j'ai fait trois siestes de 20 minutes.
On parle souvent d'hallucinations et de perception du réel altéré avec la fatigue sur des courses d'ultra. Est-ce que ça vous est arrivé ?
J'étais seul et j'avais envie de voir un peu de monde pour discuter. Les rochers se transformaient donc en personne. Mais plus je me rapprochais, plus je m'apercevais que ce n'était pas quelqu'un d'assis, mais juste une grosse souche ou un caillou. C'est toujours étonnant. Ton esprit voit des choses qui ne sont pas réelles.
Ce n'est pas la course la plus difficile que j'ai faite en termes de durée, de douleur physique et d'émotions.
Sébastien Raichon.
J'ai l'habitude de ces choses. Je ne suis pas trop triste ou déçu quand je m'aperçois qu'il n'y a personne. Ça me fait rigoler. Sur certaines courses, quand tu meurs de soif, tu as l'impression d'entendre de l'eau un peu partout.
La cinquième boucle arrive. Comment vous sentez-vous à l'approche de la fin de la course ?
Bien sûr, je suis fatigué. Mais je suis très serein, j'ai énormément de marge par rapport aux 80 heures. Mon objectif, c'est alors d'être premier. Et quand je croise mes partenaires de jeu, je vois bien que j'ai trois ou quatre heures d'avance. Donc je gère, je m'autorise des siestes. J'étais juste inquiet d'oublier un livre par étourderie, étant donné qu'il y en a quand même quinze.
Quelles sont vos impressions en arrivant premier au camp de base ?
Je suis content d'arriver. J'ai envie de m'asseoir et de boire un coup. C'est une immense fierté. Je ne m'en rends pas bien compte sur le coup. Mais avec le recul, je commence à réaliser, notamment avec la médiatisation.
Ça aussi c'est une fierté : je trouve que dans les médias, on tourne en boucle sur certains sports. Alors que notre sport, l'ultra-distance, véhicule des valeurs humaines. Je suis super heureux de pouvoir mettre ça en lumière. Je suis très heureux pour mes proches. Avoir un article dans Le Monde, c'est quelque chose. Mon père n'est plus là, mais quand j'étais gamin il lisait le journal tous les jours. Ça me touche donc.
Vous avez déjà remporté d'autres courses de longue distance. Où placez-vous ce succès dans votre palmarès ?
C'est difficile de répondre. Ce n'est pas la course la plus difficile que j'ai faite en termes de durée, de douleur physique et d'émotions. Mon record sur la traversée complète des Alpes est la chose la plus difficile que j'ai faite.
Mais, cette Chartreuse Terminorum va être placée très haut parce qu'elle marque les esprits. Je trouve que c'est chouette. Elle va avoir une belle place dans mon for intérieur.
Après la Chartreuse Terminorum, la prochaine étape est-elle la Barkley Marathon ?
J'avais candidaté cette année, mais Laz (le créateur de la course américaine, NDLR) ne m'avait pas sélectionné. Je n'étais pas déprimé, mais j'ai regardé la course avec amertume cet hiver. J'avais vraiment envie d'y être.
Les critères de sélection sont assez difficiles. C'était ma première candidature et il ne m'a pas pris. La Barkley, c'est un rêve depuis longtemps. J'espère qu'il a suivi la Terminorum et qu'il répondra à ma demande cette année pour pouvoir participer en 2024."