"Le pire, c'est le bruit du silence", 50 ans après la tragédie du "5-7", le souvenir et le chagrin sont toujours intacts

Le 1e novembre 1970, 146 jeunes ont péri dans l’incendie du dancing "Le 5-7" en Isère. Cinquante ans après, le souvenir de ceux qui ont assisté au drame est toujours intact ainsi que le chagrin des proches des victimes.
 

Ils avaient entre 14 et 27 ans, ils voulaient danser, s’amuser, profiter. Il y a 50 ans jour pour jour, le 1er novembre 1970, 146 jeunes – dont de nombreuses fratries - sont décédés dans un violent incendie qui a ravagé la boîte de nuit iséroise "Le 5-7" à Saint-Laurent-du-Pont. Cette nuit-là, au moment où le feu s’est déclaré, les jeunes qui ont tenté de s’échapper se sont heurtés à des issues de secours bloquées par les gérants de la boîte - pour éviter la resquille - et ne pouvaient sortir par l’entrée, où le tourniquet, haut de deux mètres, était à sens unique. L’enquête menée à l’époque avait révélé 68 infractions aux normes de sécurité : des manquements qui ont coûté la vie à tous ces jeunes, pris au piège à l’intérieur du dancing.
 

Ce fut l'une des catastrophes les plus meurtrières de l'après-guerre en France. Elle a marqué tout le pays et même au-delà, et surtout cette génération des Trente Glorieuses qui avait soif de liberté et de rock. Cette tragédie a bouleversé à jamais la vie des familles des victimes mais aussi celles des rescapés. Cinquante ans plus tard, le souvenir est intact et la peine également.

"Une scène d’horreur"

Créé quelques mois avant le drame par trois amis du village, qui ne s'étaient pas embarrassés des normes et autorisations en vigueur, le dancing – l’un des seuls de la région à l’époque - était devenu l’endroit incontournable pour les jeunes. Des bus étaient même affrétés de Grenoble et de Chambéry pour y amener les festoyeurs. L'intérieur de ce vaste hangar comportait une piste de danse et des petits salons surmontés d'un balcon circulaire. Le décor évoquait des grottes, construites en polyester, et le mobilier était en carton durci. Tous hautement inflammables.
 

Ce samedi-là, Pierre Montillo, alors âgé de 20 ans, décide d’aller danser avec Marie-Josée, sa "première petite fiancée". Aux alentours d’une heure et demie, elle lui demande d’aller lui chercher un verre à la crêperie située à l’extérieur de la boîte. Quand Pierre revient devant le 5-7, c’est le chaos. Tout est en flammes, les gens hurlent. Asphyxiés par les fumées toxiques des matières plastiques, brûlés par les décors qui fondent comme du beurre, les jeunes n’ont aucune chance de s’en sortir. Il a suffi d’une dizaine de minutes pour que tout et tout le monde soit emporté par le feu. Pierre ne reverra plus jamais sa petite-amie.

Aujourd’hui, il garde encore en tête les images de la scène, comme si le drame était survenu hier. "Le pire, ce sont les cadavres brûlés, complètement noirs, calcinés, l’odeur. Puis ce silence, le bruit du silence, se souvient-il, avec émotion. Les pompiers étaient choqués, j’en ai vu qui tournaient de l’œil. C’était une scène d’horreur."

Des vies bouleversées

Le septuagénaire a gardé de nombreuses séquelles de cette tragédie. Depuis ce 1er novembre 1970, il vit avec la peur constante de rester bloqué. Il supporte mal le noir, la foule, les ascenseurs, les lieux clos comme les cinémas. "Je ne suis pas tranquille, je regarde où sont les issues de secours, explique-t-il. J’examine toujours comment je vais faire pour m’en sortir s’il y a un problème."
 

De même, il aménage les logements dans lesquels il habite afin de pouvoir fuir en cas d’incendie. "Dans certains appartements où j’ai habité, si c’était à l’étage, il y avait toujours une corde à nœuds attachée au lit, raconte-t-il. Je savais que, s’il se passait quelque chose, je pouvais passer par la fenêtre avec la corde." Des précautions qui ne sont d’ailleurs pas toujours très bien comprises par ses proches. "Des fois, on se moque de moi, on dit que je fais du cinéma. Donc maintenant, je ne dis plus rien."

Et puis il y a aussi le syndrome du survivant. "Souvent je me dis : pourquoi moi ? A quelques secondes près, je ne suis pas mort, alors que j’étais en plein dedans. Et pourquoi les autres sont morts ?, s’interroge-t-il. Pourquoi Marie-Jo est morte ? C’est elle qui me dit "va me chercher un verre au bar" et c’est ce qui me sauve. Ça, c’est difficile."

Cinq inculpations

Le procès a eu lieu deux ans après la catastrophe. Cinq personnes ont été inculpées pour avoir "involontairement causé la mort de 146 personnes" par leur "imprudence, négligence, inobservation des règlements" : le co-propriétaire survivant ; les responsables des installations de chauffage; le fournisseur des matériaux des décors et enfin le maire de Saint-Laurent.
 

Lors des débats, l'hypothèse d'un attentat (pour chantage) avait été définitivement écartée, mettant fin à des rumeurs. En juillet 1973, la cour d'appel de Lyon avait définitivement fixé les peines : 6 mois de prison ferme pour le co-propriétaire ; 4 mois avec sursis pour le fournisseur de matériaux. Pour les trois autres, 15 et 13 mois avec sursis pour les installateurs du chauffage à l'origine du drame, 10 mois avec sursis pour le maire.

Une commémoration annuelle

"Depuis 50 ans, on a toujours le même chagrin", témoigne Odette Delvaux, aujourd'hui âgée de 91 ans, qui a perdu ses deux fils de 17 et 19 ans dans l’incendie. Tous les ans, pour honorer leur mémoire mais aussi celle de tous les jeunes qui ont péri dans l’incendie, elle participe aux côtés d’autres proches de victimes à la cérémonie organisée par L'association des familles des victimes du "5-7", dont elle est présidente. Une cérémonie qui a lieu à l'endroit-même où se dressait le "dancing", au bord d'une route départementale longeant les flancs boisés de la Chartreuse. Un mémorial y a été érigé pour préserver la mémoire de la tragédie. Cet imposant monument de marbre gris égrène une longue liste de prénoms, noms. Le tourniquet de l’entrée est également présent à côté du mémorial, comme un souvenir accusateur.
 

Mais à présent l'association va être dissoute, faute de combattants. "Des parents directs, il n'y en a presque plus", confie Odette Delvaux. Une manière de tourner la page mais pas d’oublier. "On gardera la mémoire toute notre vie. Mais maintenant, on va laisser la place aux jeunes", expliquait l’an dernier cette mère endeuillée.

Le 1er novembre, cinquante ans jour pour jour après la tragédie, le maire de Saint-Laurent inaugurera des totems explicatifs près du mémorial. "Cette catastrophe a fait évoluer les normes", rappelle l'actuel édile de la commune, qui n'est "plus là, 50 ans après, pour revenir sur les manquements administratifs mais pour honorer les morts".
 

Retrouvez le reportage de Léa Kebdani et Yves-Marie Glo : 
 
 
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