Stéphane Erbs, père de famille installé dans le Nord-Isère, a témoigné vendredi au procès de l'attentat de Nice. Il a perdu sa femme, Rachel, ce 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais. Dans la salle d’audience, il a retracé chaque minute de cette soirée.
C'était le jour qu'il attendait depuis plus de six ans. Stéphane Erbs a perdu son épouse, Rachel, le 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais. Il témoignait vendredi 30 septembre lors du procès de l'attentat de Nice dans l'espoir de "partir plus léger".
Accompagné de sa fille, une survivante elle aussi, il a décrit ses blessures physiques et morales, sa vie d’après. "Malheureusement, il reste beaucoup de haine. On a besoin de la sortir. On a besoin de sortir tout ce qu'on a gardé à l'intérieur", explique le père de famille avant de franchir les portes du palais de justice.
Stéphane Erbs a témoigné pendant 50 minutes. A la barre, il a demandé la projection d’un diaporama des photos de son épouse. "Le message que je voudrais que l'on retienne, c'est qu'il faut profiter du bonheur tant qu'on l'a, tant qu'on peut le palper", lance-t-il. Sur le dernier cliché, Rachel apparaît souriante aux côtés de son fils. C'était le 14 juillet 2016, quelques heures avant le feu d'artifice sur la Promenade des Anglais.
L'insouciance puis le chaos
Le matin même, la famille Erbs, installée à Cessieu, dans le Nord-Isère, avait réservé à la dernière minute des vacances en Corse. En attendant la traversée en bateau du lendemain, le couple vivait une soirée insouciante à Nice aux côtés de ses deux enfants, alors âgés de 7 et 12 ans.
"Le menu du restaurant, le prix de l'addition, le parfum des glaces… Toute cette soirée s'est imprimée. Tous les détails sont présents, tous, insiste Stéphane Erbs. C'est infinitésimal par rapport à ce qui nous trotte dans la tête et qui tourne en permanence."
Dans la salle d’audience, Stéphane retrace chaque minute de cette soirée. Le chaos, les corps, les blessés évacués dans tous les hôpitaux de la ville. Rachel est alors introuvable. Pendant quelques instants, alors qu’il l’a vue se faire percuter, un espoir fou naît en lui.
Quand je suis rentré chez moi, je me suis dit que j'allais devoir élever mes deux enfants tout seul. Je pensais au mariage de mon fils, au mariage de ma fille plus tard.
Stéphane Erbsà France 3 Rhône-Alpes
"C'est l'espoir du désespoir. On se dit que s'il reste une chance sur un milliard, il faut la saisir. Et finalement, le verdict est tombé par un test ADN. On compare l'ADN de la sœur de Rachel à l'ADN d'un corps qui matche. C'est un couperet qui tombe. Correspondance, donc le corps qui se trouve ici, c'est bien le sien, se rappelle-t-il. C'est le destin de Rachel comme le destin de plus de 80 autres victimes qui sont décédées sur la Prom."
Le ton précis mais jamais froid, émouvant mais jamais larmoyant. Stéphane Erbs a captivé l’auditoire en parlant surtout de la vie. "J'ai dit que la vie n'était pas belle. A ce moment-là, quand je suis rentré chez moi, je me suis dit que j'allais devoir élever mes deux enfants tout seul. Je pensais au mariage de mon fils, au mariage de ma fille plus tard. Chaque étape cruciale. Les Noëls qui allaient passer sans elle."
"C'était cette bête à l'intérieur qui parlait"
Ce procès hors norme, sous haute surveillance, Stéphane y assiste presque tous les jours et répond quotidiennement à la presse en tant que co-président de l’association de victimes Promenade des anges. Il est désormais connu des médias pour son côté posé. Pourtant, à la toute fin de son témoignage dans le prétoire, il a pour une fois craqué. Son sac de haine était trop pesant.
"Je suis venu pour dire ce que je ressens, pour me lâcher la voix, l'esprit et le corps. En lisant ces phrases, j'ai senti une colère noire monter, décrit-il. J'étais crispé au pupitre. J'aurais pu le casser. C'était juste le naturel qui sortait. Ce n'est pas de la façon la plus entendable mais c'est sorti. C'était en moi. C'était cette bête à l'intérieur qui parlait."
Stéphane attend désormais le 15 décembre, dernière journée du procès. Sept hommes et une femme, âgés de 27 à 48 ans, sont jugés devant la cour d'assises spéciale de Paris. L'auteur des faits, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans, a été tué par la police le soir de l'attentat. Le 14 juillet 2016, au volant d'un camion de 19 tonnes, il avait foncé dans la foule, faisant 86 morts et plus de 450 blessés.