"On aborde ce lundi avec beaucoup impatience". Stéphane Erbs, co-président de l'association "Promenade des anges", a perdu son épouse Rachel dans l'attentat de Nice du 14 juillet 2016. Le procès débute ce lundi 5 septembre, un peu plus de six ans après le drame. A la veille de ce rendez-vous avec la justice, le père de famille endeuillé raconte sa vie après le drame.
C'est l'une de ses photos préférées. La jeune femme blonde, souriante, pose seule au bord d'une petite rivière de l'Ain. C'était un jour de randonnée. Un de ces instants de bonheur immortalisés et envolés. Dans son ordinateur personnel, Stéphane Erbs n’a pratiquement que des photos de Rachel, son épouse disparue, son "âme sœur".
La famille installée à Cessieu, dans le nord-Isère, a été brisée par ce sanglant attentat qui a également fait de nombreux blessés, plus de 450. La jeune femme est l'une des 86 victimes de l'équipée meurtrière du camion conduit par Mohamed Lahouaiej-Bouhlel. Ce tragique 14 juillet 2016, Rachel avait réservée à la toute dernière minute un séjour familial en Corse. La traversée en bateau devait se faire au départ de Nice.
Un traumatisme au quotidien
Depuis six ans, Stéphane Erbs ne cesse de revivre ces instants. Le traumatisme est présent au quotidien.
"C'est comme voir la vie au-travers d'un voile. Et sur ce voile se projettent les images en permanence. Dès que l'esprit se détache un petit peu - dès qu'on se perd en conduisant, en marchant, en faisant du sport - ça revient en boucle. Le pire, c'est le soir, avant de s'endormir ou si on se réveille dans la nuit. Je dors très peu et dés que je suis réveillé j'ai beaucoup de mal à me rendormir. Ça tourne en boucle : le camion, les bruits, les sons, les images, l'atrocité, les corps... " confie Stéphane Erbs.
On serre les dents et on bosse, c'est tout ! Je n'ai pas le luxe de pouvoir m'arrêter. Je n'ai pas eu ce luxe-là et heureusement parce que la résilience est passée par le travail.
Stéphane Erbs, époux d'une victime de l'attentat de Nice
Le père de famille endeuillé s'est accroché à son travail.
"Je connais des personnes, six ans après, qui ne sont pas en état de travailler. Je connais une personne qui était chauffeur et qui me dit : je ne peux pas travailler, il faut conduire des camions. Moi j'ai des camions qui passent. Des fois ça fait pleurer, des fois ça donne envie de vomir. On serre les dents et on bosse, c'est tout ! Je n'ai pas le luxe de pouvoir m'arrêter. Je n'ai pas eu ce luxe-là et heureusement parce que la résilience est passée par le travail".
"Il va falloir que je les élève seul"
Malgré le deuil et les blessures, un mois et demi après l’attentat, Stéphane est revenu dans son entreprise celle qu’il a lui-même créée. Ses deux enfants étaient présents le jour de l’attentat, alors continuer d’avancer est pour lui une évidence même s’il n’oublie pas et si la colère est toujours présente.
"Il y a beaucoup de personne qui ont réussi à passer ce cap et être maintenant dans le pardon. Moi, je suis désolé, pour le moment, vous n'aurez pas mon pardon. Il y a toujours ma haine. Je suis toujours dans cette colère. Mes gamins n'ont plus leur mère. J'arrive à prendre sur moi mais quand je regarde mes enfants, je suis désolé pour eux. Après l'attentat, le premier constat que j'ai fait en mettant les pieds à la maison, c'est : il va falloir que je les élève sans leur mère. Ils ne la reverront jamais."
Six ans ont passé et avec les victimes, on est dans une colère noire et froide. Ce n'est plus une colère explosive, c'est pire.
Stéphane Erbsvictime de l'attentat de Nice
Au moment de l'attentat, les enfants du couple, un petit garçon et une fille, avaient 7 et 12 ans. Au-delà du deuil, le père de famille évoque l'injustice qui frappe ses enfants confrontés à l'absence de leur mère : "Ce n'est pas un cadeau que la vie leur fait. Ils ne méritaient pas ça".
"Leur expliquer le mal qu'ils nous ont fait"
Stéphane est devenu co-président de l’association de victimes "Promenade des anges". Chaque 14 juillet il retourne à Nice. Le procès de l’attentat qui s’ouvre ce lundi 5 septembre 2022 devant la cour d’assises spéciale de Paris, il l’attendait avec impatience. Pour connaître la vérité, mais pas seulement.
"La première chose, c'est de mettre des visages sur les noms dont on entend parler depuis six ans. On aura une seule fois l'occasion de s'adresser à eux, de s'adresser à la cour, pour leur expliquer comment ils ont détruit 86 familles, combien de victimes souffrent encore à cause d'eux", explique le père de famille. "Il y a eu 86 familles détruites" précise-t-il.
Le procès de l'attentat de Nice est hors norme. Il rassemble plus de 850 parties civiles et 133 avocats. Au final 8 personnes jugées mais un grand absent demeure : l'auteur du massacre abattu le soir du drame par la police.
"On juge des personnes qui ont eu des rôles secondaires, qui vont peut-être avoir comme stratégie de défense, leur non-conscience de ce qui s'est joué ce jour-là et du projet du terroriste. Il faudra aller chercher leur responsabilité, leur niveau de connaissance du projet du terroriste du 14 juillet", précise Me Fabien Rajon, l'avocat de l'association "Promenade des anges".
Deuil et résilience
De ce procès, Stéphane Erbs ne le cache pas, il s'attend aussi à être "déçu". "La première chose à laquelle on s'attend, c'est à être déçu car les peines que risquent les prévenus ne sont pas forcément très élevées. On est préparé à ça. Il y a des personnes qui encourent jusqu'à 6 ans de prison. Ça veut dire que le soir du procès, elles peuvent ressortir libres" explique-t-il.
Stéphane est ingénieur de formation. La résilience est passée par le travail. La résilience, c'est aussi son domaine et une réalité de chaque instant. "En mécanique, c'est la capacité d'un corps à absorber un choc et à y résister. La transposition est simple : entre la barre métallique qui subit un choc et un bonhomme qui se fait cartonner par un camion ou subit un deuil, c'est pareil. C'est la capacité d'une personne à se relever d'un trouble, d'un stress, d'un deuil, d'une douleur physique. La résilience, c'est pas être costaud, c'est faire face à ses responsabilités".
Le procès qui débute ce lundi 5 septembre 2022 doit s'étirer jusqu'au 16 décembre. La première journée est consacrée à l'interrogatoire d'identité des accusés et à l'actualisation des constitutions de partie civile. Elles étaient d'ores et déjà 865 avant le procès. Le procès sera retransmis simultanément dans une salle du palais des congrès Acropolis de Nice. Comme celui du 13-Novembre, le procès de l'attentat de Nice sera filmé et enregistré pour les archives historiques.