Témoignage. "C'est de la maltraitance", "une violence institutionnelle" : sans solutions, des parents d'enfants handicapés crient leur désespoir

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Manon, 8 ans, a enfin pu intégrer un institut médico-éducatif au mois d'avril après des années sur liste d'attente.
La détresse de familles iséroises face au manque de structures pour prendre en charge leurs enfants en situation de handicap ©France 3 Alpes / JC Pain - A. Kebabti - M. Ducret
Publié le Mis à jour le Écrit par Cécile MathyJean-Christophe Pain et Jordan Guéant
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En Isère, des familles se fédèrent pour demander des solutions adaptées pour la prise en charge de leurs enfants en situation de handicap. Parcours du combattant administratif, manque d'accompagnement, pénurie de places en instituts médico-éducatifs : des parents, désemparés, témoignent de leur détresse.

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Ils sont polyhandicapés, ont des troubles du spectre autistique ou présentent une déficience mentale. Il faut de l'abnégation, de la pugnacité et une mobilisation de tous les instants pour s'occuper de ces enfants pas comme les autres. Au-delà de la gestion de leur handicap, leurs parents font face à un long parcours du combattant pour obtenir une prise en charge adéquate.

Au quotidien, ils jonglent parfois avec plusieurs emplois pour leur payer des soins, certains sont contraints d'arrêter de travailler pour se dédier à leur accompagnement. Car les ressources manquent, l'école - que le gouvernement veut "inclusive" - n'a pas toujours les moyens humains d'accueillir ces enfants et les places en instituts spécialisés sont rares.

"On prive nos enfants de leurs droits", s'insurge la maman de Jules. Le garçon a 7 ans. Il a été diagnostiqué autiste. Ses parents ont d'abord voulu le scolariser en milieu dit "ordinaire", à l'école avec les autres enfants de son âge.

"Tout était fait, les dossiers, les rencontres avec la directrice, et puis, arrive septembre, et on nous dit qu'on va décaler la rentrée de Jules pour ne pas le perturber", témoigne sa mère, Viriginie Marini, sur le plateau de France 3 Alpes, dans l'émission Dimanche en Politique.

"A 3 ans, mon fils est déjà rejeté par la société "

"Début octobre, on va rencontrer le médecin scolaire. Et là, le médecin et la directrice de l'école, nous annoncent que non, ils ne prendront pas Jules, parce qu'il n'a pas sa place et que cela n'est pas adapté pour lui", poursuit-elle.

"Je suis ressortie en pleurant, je me suis dit : 'mon fils a trois ans et il est déjà rejeté par la société'".

Après plusieurs tentatives infructueuses de scolarisation autour de son domicile dans le nord-Isère, Virginie multiplie les démarches pour trouver une solution.

"C'est beaucoup d'administratif. Nos enfants sont des numéros de dossiers. On a l'impression que ça manque un peu d'humanité. On a écrit un peu partout, et même à la Première dame de France et on a reçu des réponses sous forme de courriers-type", se désole cette mère de famille.

Le temps passe, les années à la maison s'accumulent pour Jules. Mais ses parents ne baissent pas les bras, ils continuent de chercher par eux-mêmes et finissent par trouver une place... en Belgique.

Faute de solutions en France, Jules part en Belgique

A 7 ans, le petit garçon vit désormais loin de ses proches, à l'étranger. "C'est un déchirement, séparer une famille, l'éloigner de ses repères. Cela nous brise le cœur", raconte Virginie Marini.

Cette maman se raccroche aux photos et aux nouvelles positives envoyées par l'équipe soignante chaque semaine. Jules est dans une structure spécialisée où il semble s'épanouir. 

"Il s'adapte vraiment très bien. Il joue avec des copains. Le fait qu'il interagisse avec d'autres enfants, pour nous c'est génial parce que malheureusement, depuis cinq ans, il n'avait pas cette chance de pouvoir être en société, avec d'autres enfants de son âge, et d'avoir des relations avec d'autres adultes que nous", dit cette mère dans un sourire lourd de tristesse.

Un enfant handicapé sur 10 en Isère en attente de prise en charge

Près de 10 000 enfants étaient en attente d'une solution en France, en 2021, d'après les chiffres du Gouvernement et les études de la direction de la recherche des études de l'évaluation et des statistiques (Drees).

En Isère, ils sont plus de 600, soit 10% de la population de jeunes en situation de handicap dans le département.

Les structures les plus adaptées, les Instituts médico-éducatifs (IME), sont débordés. En leur sein, les enfants sont scolarisés, bénéficient d'enseignements adaptés, mais aussi de prise en charge par des ergothérapeutes, des orthophonistes, des psychomotriciens.

Gabriel a 8 ans. En 2020, les autorités décident qu'il devra être scolarisé en IME du fait de son handicap. "Naïvement, à l'époque, j'ai appelé les IME et là on m'a annoncé 3 à 4 ans d'attente", indique Frédérique Huwer. 

"En tant que parent, on ne peut pas le laisser sans rien, c'est de la maltraitance de le laisser sans rien", estime cette mère.

On ne voit pas le bout du tunnel. Gabriel aura peut-être une intégration en IME à l'âge de 12 ans, alors qu'il aurait dû y entrer à 6 ans.

Frédérique Huwer

"Du coup, on s'est débrouillé à lui trouver des thérapeutes et une classe Ulis, qui est quand même à 25 km de chez nous". Quelques heures de cours combinés à des séances de kiné ou d'orthophonie que les parents payent de leur poche. Frédérique Huwer a, petit à petit, dû renoncer à un emploi à temps plein pour pouvoir emmener son fils à ces rendez-vous, essentiels à son développement. 

Une solution temporaire, un système D en attendant une place en IME. "Mais, du coup, cette solution se retourne maintenant contre nous", dit-elle, "Gabriel n'est plus prioritaire pour intégrer un IME parce qu'on a trouvé cette solution". 

"En fait, il aurait fallu dire que Gabriel était isolé, à la maison, enfermé, à taper contre les murs. Peut-être que là, on aurait gardé notre position dans la liste d'attente", se désole Frédérique Huwer.

"On ne voit pas le bout du tunnel. Gabriel aura peut-être une intégration en IME à l'âge de 12 ans, alors qu'il aurait dû y entrer à 6 ans. Il y a peu d'enfants qui sortent des IME donc les enfants de 6 ans ne peuvent pas rentrer. On ne s'en sortira jamais si cela ne change pas. C'est à cause des autorités, à cause du manque de moyens, qu'ils infligent tout cela à nos enfants. Je le répète, c'est de la maltraitance", s'insurge cette mère.

"Une violence institutionnelle"

Aurélie Perez, parle elle "de violence institutionnelle". Son fils, Valentin, a 17 ans et n'est plus pris en charge depuis deux ans.

"Il est privé de tous ses droits : à la scolarité, à la sociabilisation. Il n'a pas de copains, pas de loisirs. Tout cela, il en est privé. Et il est dans un âge un peu charnière où on lui dit qu'il est trop grand pour être dans un IME mais trop jeune pour être dans le secteur adulte", raconte-t-elle.

"Valentin a une déficience intellectuelle. Je ne le vois pas entouré d'adultes puisque dans sa tête, il a 7 ans, dans un grand corps de jeune homme de 17 ans. Donc ce n'est pas simple de trouver la bonne place, la place adaptée à ses besoins"

Mariane Lefèvre a, elle, retrouvé le sourire depuis peu. Sa fille Manon ne communique pas verbalement. Ses troubles du spectre autistique l'ont conduite à retripler la grande section de maternelle dans l'école de son village. En avril dernier, Manon a eu la chance d'obtenir une place en IME à Bourgoin-Jallieu. Et depuis... tout a changé.

"Elle est beaucoup plus calme", explique Mariane Lefèvre, face à notre caméra, Manon lovée dans ses bras. "Là, elle reste là, alors qu'avant elle n'aurait pas pu".

Une place en IME pour Manon... après 5 ans d'attente

La petite fille semble apaisée et faire des progrès dans la communication. "Chose importante, cet été, on a pu faire trois restaurants en famille alors que jamais, avant, on aurait pu le faire", se réjouit sa mère, qui raconte, émue avoir entendu deux fois le son de la voix de son enfant.

Pour la première fois, en 7 ans, "j'ai eu deux fois 'Maman'. J'ai entendu 'Maman' et ça c'est extraordinaire !"

L'Isère compte 19 IME, la Savoie 6 et la Haute-Savoie 7. Le projet n'est vraisemblablement pas d'en créer de nouveaux. L'Etat veut changer le paradigme en misant sur "l'école inclusive", autrement dit en permettant aux enfants en situation de handicap d'être scolarisés en milieu dit "ordinaire".

L'école inclusive, un projet réaliste ?

En juillet dernier, la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées estimait que les "établissements médico-sociaux pour enfants [devaient] se transformer pour devenir des plateformes, en partenariat avec les écoles, les collèges et les lycées".

"L'ambition que nous portons est une transformation majeure : celle de l'Ecole pour tous, qui accueille tous les élèves en situation de handicap, en leur apportant les aménagements et les accompagnements nécessaires", explicitait le ministère dans une réponse écrite à un sénateur.

Mais ces transformations ne se font évidemment pas d'un coup de baguette magique. Les agents spécialisés dans l'accompagnement, les AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap), sont sous-payés, pas assez nombreux, et parfois insuffisamment formés. En attendant, des milliers d'enfants restent à la porte de l'école, ou des IME. 

Et pour les professionnels du secteur, l'école inclusive est loin d'être la panacée.

"L'inclusion, c'est très à la mode mais ce n'est pas du tout adapté à tous les cas. Il faut arrêter de chercher une solution unique pour tous les enfants, ils sont tous différents", estime Audrey Loudot-Bour, orthophoniste.

"Pour certains, l'inclusion c'est merveilleux, je vois des cas qui fonctionnent super bien et on est tous enchantés mais on sait qu'il y a des enfants qui ont un handicap qui est trop important, et pour ceux-là, l'inclusion c'est violent. Pour certains, j'appelle cela de la maltraitance", affirme-t-elle. 

"Plus il y aura de familles à se battre, plus on arrivera à faire bouger les choses"

Certains parents lancent des pétitions, Mariane Lefèvre a, elle, créé un groupe Facebook pour faire bouger les choses et se faire entendre. Des solutions individuelles, faute de schéma collectif suffisant.

C'est à son initiative que des familles iséroises se sont rassemblées fin octobre, pour échanger sur leurs expériences lors d'une réunion du collectif "IME les enfants oubliés de Rhône-Alpes", à Saint-Romain-de Jalionas, en Isère (voir notre reportage vidéo en tête d'article).

"Il faut se battre. Il faut se faire entendre. Cela demande beaucoup de temps et d'énergie. C'est prenant psychologiquement et physiquement mais on y arrive. Plus il y aura de familles à se battre, plus on arrivera à faire bouger les choses pour ces enfants extraordinaires", conclut-elle.

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