Italie : alors que nos musées sont toujours fermés, le retour à la vie du "vilain" fort alpin, honni par Napoléon

Un goût de liberté. C'est le sentiment des visiteurs et des personnels du fort de Bard, en vallée d'Aoste. Un fort militaire transformé en musée de la montagne qui vient de rouvrir ses lourdes portes... pour une poignée de visiteurs.

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"Comme elles nous ont manqué ces expositions, si vous saviez!" Pour un peu, Roberta  en aurait presque les larmes aux yeux. "C'est la première fois depuis l'été dernier que nous remettons les pieds dans un musée. Nous habitons dans la région de Milan, à Varese. C'est une petite ville, il n'y a pas énormément de chose à faire au niveau culturel. Par contre, nous étions abonnés à la saison théâtrale de Milan, aux expositions de peinture du palais royal...Et puis depuis octobre tout est arrêté!"

C'est à la faveur d'un séjour dans leur résidence secondaire en vallée d'Aoste, que le couple de retraité a retrouvé le chemin des musées. Enfin...des musées de la région vallée d'Aoste en tous cas. Car chez nos voisins, seules les régions de couleur jaune, ou blanche; c'est à dire avec un taux de contamination bas, peuvent prétendre rouvrir leurs musées. 

Un musée de la montagne pour les valdôtains...mais surtout pour les autres

Le 3 février dernier, a peine classifiée en jaune, la petite région francophone a donc sauté sur l'occasion pour ouvrir à nouveau les portes du plus grand de ses musées: son musée de la montagne. Un musée unique en son genre. Pas pour sa thématique, mais pour sa situation: il a investi une forteresse spectaculaire, maintes fois construite, et reconstruite au cours des siècle pour barrer le passage aux invasions françaises...et posée sur un verrou glaciaire!

"Alors que dans sa vie militaire, elle était conçue pour barrer la route aux armées venues nous envahir, ce fort s'est voué, depuis 15 ans, à être un vrai point de rencontre des valdôtains, des italiens, des français et des suisse", explique Ornella Badéry, la présidente de l'association du fort de Bard qui gère pour la région autonome de la vallée d'Aoste, la forteresse.

Après des années de restauration, grâce à des financements de la région, l'Etat italien et l'Europe, le grand corps de près de 14 000 mètres carrés a donc changé de vocation, en profitant de sa situation géographique unique. 

"Il a été construit à l'endroit de la vallée le plus étroit. On ne peut manquer de l'apercevoir ni de la route nationale, ni de l'autoroute, ni même du train: tous les axes de communication passent à ses pieds. Et puis, on est ici dans la basse vallée d'Aoste. A 2 kilomètres du piémont, à peine à une heure de Milan. Et pas si loin des frontières de la Suisse et de la France", poursuit-elle.

C'est bien ce qui depuis 15 ans, a assuré des dizaines de milliers de visiteurs à l'ouvrage...mais pas en ce moment. "Depuis le 3 février, on en est à même pas 1300 visiteurs! Le même mois, l'an dernier on en avait accueilli plus de 20 milles", se lamente la présidente." Ce n'est pas étonnant. Nos clients de Milan, ou du piémont sont en zone rouge. Du coup, il leur est interdit de sortir de leur propre région. Quant aux français et aux suisses, vous connaissez les misères qu'on leur fait (test PCR obligatoire entre autres à l'entrée en Italie... et à la sortie en cas de séjour de plus de 72 heures ) pour les décourager de passer la frontière!"

Une réouverture loin d'être rentable financièrement

Ce sont donc des valdôtains que nous avons surtout vu se promener dans les collections de la forteresse. Ugo, par exemple, qui est venu avec sa nouvelle compagne, d'origine étrangère, visiter une seconde fois le fort. "Cela faisait au moins 10 ans que je n'étais pas venu! explique-t-il. Mais on en a tellement assez de tourner en rond chez nous à Aoste, que je me suis dis: allons faire un tour au fort!"

"Si cette réouverture nous a tellement fait plaisir, ce n'est certainement pas parce qu'elle est de nature à renflouer nos caisses vidées par les confinements", souligne Ornella Badéry. "Mais c'était tellement triste de voir cette grande bâtisse vide, fantômatique...Et puis, ce qui me manquait à moi, c'était le chahut des enfants. Avec tous les scolaires qui viennent au fort en temps normal, nos grands espaces sont souvent peuplés de cris, de rire...alors, quand je n'étais pas en télétravail et que je venais ici travailler, il régnait un silence vraiment pesant, presque mortifère", se souvient-elle.

Ignazio: le nouveau "Seigneur" du confinement

Un jugement que n'est pas loin de partager, Ignazio, le seul des 45 employés du musée a n'avoir jamais cessé d'occuper les lieux.

"Après plusieurs mois passé seul, ou entouré certains jours de pas davantage que 2 ou  3 colègues, on en arrive vite à se prendre pour le Seigneur des lieux", explique-t-il avec humour. Un maître des lieux en tous cas très occupé par la maintenance de l'édifice. "Vous n'imaginez pas les nombres de kilomètres de tuyauteries, d'implantations électriques qu'il faut pour éclairer, chauffer des espaces pareils! Rien que pour faire monter l'eau de la vallée. Il faut des pompes, des cuves de rétention...S'il n'était resté personne ici en présentiel, je peux vous dire que le 3 février à la réouverture, on aurait tous eu les pieds dans l'eau"! Et de joindre immédiatement l'image à la parole. Ignazio nous emmène voir les dernières traces de l'éclatement d'une conduite d'eau. Elle s'est produite dans les anciennes prisons. Elles servent aujourd'hui de lieu d'expositions de photos, de gravures. Mais sur les murs et sur le sol, une lègère différence de couleur indique encore les travaux de réparation de la conduite et de maconnerie qu'il a fallu faire en urgence.

"Eh oui," explique Ignazio en refermant volontairement la lourde grille de la cellule derrière lui: "j'étais le Seigneur du fort pendant le confinement"...et secouant avec énergie les barreaux: "mais j'étais aussi son prisonnier"!...(éclat de rire!!)

Rassurez-vous, chaque soir, Ignazio rentrait tout de même dans son piémont voisin dormir...chez lui! Et presqu'envié par ses collègues, pour la plupart en télétravail.

"Vous savez, ces mois de fermeture ont été une véritable révolution pour nous, comme pour notre public", concède Maria Cristina Ronc, la directrice des collections du fort. "Tout a été changé dans la relation que nous avons avec nos visiteurs. A commencer par l'accueil. Vous avez vu les écrans de prise de température corporelle, obligatoire aux caisses. La signalétique, la désinfection, le contingentement des personnes avant la montée dans le funiculaire d'accès...Nous avons même créé une application smartphone que le visiteur peut charger sur son portable et qui vibre s'il s'approche trop d'un autre visiteur. C'est lourd, tout ça! Mais en même temps, c'est grâce à ces garanties que nous avons donné au ministre de la culture que nous avons pu obtenir l'autorisation de rouvrir", conclut-elle.

Napoléon "chassé" par les pré-impressionistes italiens"

Une réouverture qui ne suffira pas non plus, à effacer le grand "raté" occasionné par les confinements de l'an dernier. Une exposition "Napoléon" qui devait commémorer le 320 ème anniversaire du franchissement du col du Grand Saint Bernard par celui qui n'était encore que le premier Consul, en route pour sa seconde campagne d'Italie. Une histoire qui rencontre alors celle de l'imprenable fort de Bard. Arrivée à ce point géographique, l'armée du premier Consul ne réussit pas à prendre le "vilain fort". Et après des jours de siège, il se doit de le contourner au plus vite pour rejoindre le Piémont et la Plaine du Po. 

A cette occasion, la directrice du fort de Bard avait réussi à convaincre des musées aussi prestigieux que ceux du Louvre, ou les musées des Armées, de Vincennes... de prêter des pièces rares. Las! Les premiers et seconds confinements de 2020 en ont décidé autrement.

"Pourtant, je suis convaincu que c'est des lieux de culture comme les musées qu'il faut réapprendre à regarder l'avenir," professe Maria Cristina Ronc. "Prenez une exposition comme celle que nous proposons actuellement: celle sur l'école de peinture des "Macchiaioli". Ces peintres sont tous des jeunes d'une vingtaine d'années, lorsque la première guerre d'indépendance italienne les envoie livrer bataille. C'est une période au moins aussi difficile que celle que nos jeunes vivent actuellement...En choisissant de chercher les thèmes de leurs tableaux en dehors de leur quotidien guerrier, en "plein air" dans la nature, ce groupe de jeunes gens bon vivants et florentin, vont poser les premières "taches" de couleurs (en italien tache se dit : macchia)  sur leurs toiles dont s'inspireront plus tard dans le 19ème siècle, vos si fameux impressionnistes!

Une démonstration qu'écoute avec attention Rachele, une visiteuse de l'exposition temporaire. "Je suis d'autant plus d'accord avec vous que je n'ai toujours pas compris pourquoi l'on a pas rouvert les musées plus tôt. Depuis le temps que je visite des expositions, je peux vous dire que le public des musées n'est pas du genre "chien fou". Quand on voit comment le gens se comportent le samedi soir dans les grandes villes, à chahuter, à se marcher les uns sur les autres sur les bords du Po, (Turin) ou du Tibre, (Rome) dès que l'étau du confinement se dessère un peu, c'est là qu'il faut faire la police; pas dans les musées!"

La petite dame a ensuite tourné les talons. Visiblement heureuse de sa visite au musée. Une bouffée d'air pur: "en plein air", comme l'affiche le sous-titre de l'exposition sur les "macchiaioli" florentins...avant peut-être de voir à nouveau les musées valdôtains refermer leurs portes. A Aoste, cette semaine, on parlait d'un possible retour de la petite région alpine en zone rouge contagion: comme ses voisines lombardes et piémontaises.

 

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