3,2,1... plongez ! Pour ouvrir les yeux dans le noir de votre tasse de café, il n'y a pas meilleur accompagnateur que Roberto Messineo. Depuis l'enfance, il a voué sa vie à la recherche de l'or noir de ses rêves. Une référence pour s'y retrouver dans les 800 marques de "caffè" italiennes.
Les yeux fermés. C'est ainsi qu'au comptoir parfois, mais plus souvent assis, roberto Messineo cherche la trace du café de ses rêves. Des songes en noir qui ne le quittent pas depuis sa plus tendre enfance. Même si le premier d'entre eux avait plutôt des allures de cauchemar.
"Entre le café et moi, ça a plutôt mal commencé. Je n'avais même pas 10 ans lorsque, voulant faire plaisir à ma Maman, j'ai pris la "Moka" (la Moka express Bialetti, la cafetière présente dans tous les foyers italiens) sur le feu pour lui servir son café... et je me le suis renversé presqu'entièrement sur le visage", se souvient-il.
Une brûlure sans trop de conséquences sur sa figure. Sur son esprit en revanche... "A Turin, mes parents habitaient dans un quartier où il y avait de nombreuses brûleries. L'odeur était enivrante et m'a donné, tout petit, l'envie d'aller trainer chez les artisans. Ils me connaissaient tous !"
Des artisans qui lui donnent aussi le matériel pour brûler lui même ses premiers grains de café. "Le soir, c'était facile de savoir quand j'étais dans la cave de mes parents occupé à faire mon café de contrebande... ça embaumait tout le quartier".
"Artigiani della qualità": artisan de la qualité
Un parfum. Un cadeau que Roberto se fait chaque jour. A lui-même mais aussi aux riverains du petit local de Sant'Antonino di Susa, dans le Piémont, qu'il occupe désormais avec sa poignée d'employés. Au centre, trône sa fidèle compagne : une machine à torréfier le café des années 1940... et fonctionnant encore au bois.
"Ce n'est pas par respect pour la tradition que nous continuons de l'utiliser", précise Roberto. "Mais simplement parce qu'elle permet de torréfier chacune des 30 variétés de café que nous vendons exactement comme nous le voulons. Certes, elle est beaucoup plus lente que les machines industrielles. Hors temps de chauffe pour qu'elle soit à bonne température, nos grains restent à chauffer dans son ventre entre une demie-heure et trois quart d'heure : c'est 10 minutes chez Lavazza ou Vergnano, les géants piémontais du café", conclut-il sous le regard approbateur de son "chef machiniste" Luciano.
Cela fait cinq ans, pas davantage, que lui aussi est tombé dans le café. "Le Maître le dit souvent, il faut qu'il y ait une vraie symbiose entre la machine et celui qui s'en occupe. Je ne peux pas la laisser 5 minutes sans surveillance une fois les 150 degrés affichés sur son thermomètre. Une minute d'inattention et mes 24 kilos de café brûlent au-delà de ce que l'on a décidé avec le Maître", conclut Luciano, un air désolé sur le visage rien qu'à évoquer une aussi tragique issue.
A ce train là, ce sont à peine 30 tonnes de café que la brûlerie du "caffè San Domenico" produit chaque année. L'équivalent de la production hebdomadaire de l'une des multinationales, italiennes ou autres, du secteur.
Ambassadeur du "bon, propre et juste"
Pendant que Luciano veille au four, prêt à rajouter deux ou trois buchettes de bouleau qu'il a lui-même taillé, au moindre signe du Maître... Roberto respire. "Pompetta" en main, une petite pompe translucide en plastique remplie de grains extraits du four, il hume lentement l'odeur dégagée par la cuisson de ce Harena Forest, un café éthiopien des origines de l'arabica.
"Ce n'est pas seulement un plaisir de respirer cette odeur", prend le temps d'expliquer Roberto. C'est surtout très utile pour ne manquer aucune des étapes de la torréfaction du café. De sa dessication dès les premières minutes de chauffe et jusqu'à sa caramélisation, qui ne doit jamais durer au point de brûler les grains. Certains peuvent aimer. Mais en ce qui me concerne, mon meilleur indicateur pour savoir si un café me convient ce n'est pas seulement mon nez, mais surtout son effet sur mes intestins. S'il me donne mal au ventre... c'est un café fichu!", conclut le Maître, en remettant sa petite pompe dans la poche interne de sa veste.
Une "pompetta" qu'il a, au passage, mise au point et faite breveter. Et c'est loin d'être la seule innovation sortie de la petite brûlerie alpine. "Notre structure est en permanence en contact avec la pépinière de start-up de l'école Polytechnique de Turin".
C'est grâce à la collaboration avec quatre jeunes ingénieurs de cette école qu'en 2016, Roberto a mis au point le premier processus de traçabilité au monde d'un aliment, basé sur le "blockchain".
Une découverte qui aura permis à Roberto d'arriver au rendez-vous (incontournable pour tous les gastronomes italiens) du "Salon du goût " de Turin, avec sous le bras, 60 kilos d'un café tropical à la transparence parfaite : de sa coopérative de provenance, jusqu'au bar où il était servi en passant par la brûlerie qui l'avait torréfié. Le tout, traçé par un algorithme et un Qr code figurant sur chaque sac !
Mais son "coming out" d' "Ambassadeur du Caffè all'italiana", Roberto l'avait déjà gagné l'année précédente à l'Exposition universelle de Milan. Choisi par le mouvement "Slow-food" comme référent "caffè italiano" pour exposer la vision "bonne, propre et juste" (selon le titre du livre de Carlo Petrini, le fondateur de "Slow food") des "sentinelles du goût", il se plaît à multiplier les interventions, les collaborations avec le monde de la recherche. Que ce soit avec les grandes écoles, ou les services "recherche et développement " de multinationales d'ailleurs. C'est ainsi qu'il a développé avec l'une d'entre elle une capsule de café 100% compostable réalisées avec une matière végétale mise au point en France, un opercule en papier inventé en Hollande et un procédé d'estampillage créé en Espagne.
"Chacun a droit au café de ses rêves"
"Luciano, c'est bon. Fais nous un café !" La voix du Maître se fait plus grave pour surmonter le volume sonore dégagé par la machine.
"Ma passion pour le café est sans limite. Dès que j'ai commencé à m'occuper de café, j'ai toujours cherché à apprendre de ceux qui en savaient le plus dans ce domaine...Maintenant, c'est à moi de donner. J'ai des tas d'idées à développer : ça va de la conception d'un café-restaurant anti-Covid, jusqu'à celle d'un bar dans lequel chaque façon de faire, de boire le café aurait son comptoir : café long à l'américaine ou à la Scandinave, café à l'italienne, à la française...".
Et puis, dans la tête de Roberto, il y a ce rêve, qui ne le quitte jamais: faire venir dans sa brûlerie, ce qui reste pour lui, le meilleur café au monde : un Baraona double A de Saint Domingue !
"Parce que le café, c'est comme une femme, conclut-il. Chacun de nous cherche toujours celle de ses rêves".